Genève utilise abondamment les outils de la démocratie directe
Ce dimanche, les Genevois votent sur pas moins de quatre objets, en plus des deux questions posées au niveau fédéral.
Selon le politologue Pascal Sciarini, le canton de Genève connait une croissance continue du nombre d’objets soumis au vote depuis la fin des années 80. Une conséquence de la polarisation de la scène politique locale.
Une initiative pour des établissements publics sans fumée, une autre pour l’interdiction des chiens dangereux, une 3e pour la gratuité des transports publics genevois, sans oublier une loi permettant de lancer une révision totale de la Constitution cantonale.
Tel est le copieux programme soumis aux Genevois ce dimanche, en plus des votations fédérales (une initiative contre les nuisances sonores des avions de combat et une loi en faveur d’un allégement fiscal pour les entreprises et les investisseurs).
Directeur du Département de science politique de l’université de Genève, Pascal Sciarini donne les raisons de cette pléthore de votation.
swissinfo: Quelle est l’évolution à Genève du nombre de votations cantonales?
Pascal Sciarini: Entre 1985 et 1989, seuls 12 objets ont été soumis au vote. Mais dès la fin de cette législature, on assiste à une augmentation progressive qui abouti à 30 votations entre 2001 et 2005. Une croissance que se poursuit durant la législature actuelle.
Cette augmentation vaut pour les 3 institutions de démocratie directe, soit l’initiative populaire, le referendum facultatif et le referendum obligatoire.
A ma connaissance, on n’observe pas une telle tendance dans les autres cantons. La dernière étude sur ce sujet portait sur 20 cantons (sur un total de 26) et sur la période 1971-1995. Elle montrait une relative constance du nombre de votations cantonales.
swissinfo: Comment expliquez-vous ce particularisme genevois?
P.S. : Ce qui est curieux, c’est de constater que cette évolution vaut, quel que soit le type de gouvernement, qu’il soit monocolore ou non, avec ou non une majorité identique au parlement. La couleur politique du gouvernement et du parlement n’a pas d’incidence sur le nombre de votations.
Ce qui est particulier à Genève, c’est l’existence de mouvements et de petits partis présents ou non au parlement qui – soit par l’initiative ou le referendum facultatif – contestent les décisions prises par le parlement.
swissinfo: C’est donc la polarisation de la scène politique genevoise qui explique la multiplication des votations?
P.S. : Très vraisemblablement. L’existence de petits partis à la gauche de la gauche et à la droite de la droite contribue à l’augmentation de votations populaires.
Reste que ces votes n’aboutissent pas en général à une sanction du gouvernement ou du parlement genevois.
Ce qui me frappe dans cette affaire est le contraste entre la vivacité de la démocratie directe par l’utilisation qui est faite de ses instruments et l’absence ou la platitude des campagnes référendaires. Les groupes politiques ont les moyens de lancer des initiatives ou des référendums, mais visiblement, ils n’ont pas les ressources suffisantes pour animer une campagne en faveur de leurs propositions.
Si bien qu’un certain nombre de citoyen se prononcent sur un objet dont ils n’ont jamais entendu parler, en se basant sur les recommandations des partis.
swissinfo: Mais ces votations permettent quand même aux petites formations politiques d’exister?
P.S. : C’est en effet une caractéristique assez évidente de la démocratie directe. Elle permet l’expression des groupes minoritaires qui profitent de la caisse de résonance que constituent ces votations.
Une caractéristique que l’on retrouve au niveau fédéral. Les petits partis et les mouvements sociaux utilisent la démocratie directe pour faire entendre leur position dans l’espace politique.
swissinfo: Qu’apporte l’expérience suisse dans le débat en cours dans plusieurs pays sur la démocratie participative?
P.S. : La démocratie directe est effectivement une forme de démocratie participative. Les citoyens suisses sont fortement attachés à ces droits populaires qui peuvent s’exercer au niveau communal, cantonal et fédéral. La Suisse est donc clairement un laboratoire de démocratie participative.
swissinfo: Mais le taux d’abstention relativement élevé ne montre-t-il pas les limites de la démocratie directe?
P.S. : Ce n’est pas forcément un problème. L’existence d’un droit est souvent plus important que l’exercice de ce droit.
Le taux de participation varie fortement d’un objet à un autre, en fonction de son importance et de l’intensité de la campagne qui précède le vote. Une forte campagne donne plus d’information aux citoyens, signale l’importance de l’enjeu et réduit de la sorte la tentation de s’abstenir.
Cela dit, en Suisse, la participation est sélective. Chacun vote au cas par cas, en fonction de son intérêt et de la capacité de l’élite politique à motiver cette participation. Le fait qu’il y ait une participation de 45% en moyenne en Suisse n’est pas une manifestation des défauts de la démocratie directe et n’obère pas la légitimité de ces scrutins.
En outre, les votations populaires en Suisse n’ont pas le caractère de plébiscite qu’elles ont dans un pays comme la France où les occasions de voter sont très rares. Les référendums se transforment dans ce pays en vote de confiance à l’égard du président ou de son gouvernement. En Suisse, les citoyens votent clairement sur les objets qui leur sont soumis.
Interview swissinfo: Frédéric Burnand à Genève
Les droits politiques sont des instruments démocratiques, qui permettent d’assurer une participation collective de la population à la gestion et au contrôle des affaires publiques. Ils comprennent en Suisse le droit d’élire, de voter et de signer.
Le droit de voter, synonyme de référendum, concerne l’acceptation ou le rejet d’un acte normatif ou d’une décision par le corps électoral (constitution, loi, certains traités internationaux).
Le droit de signer porte sur la faculté d’appuyer une demande de référendum (50’000 signatures sur le plan fédéral), une initiative populaire tendant à la révision de la Constitution (100’000 signatures au niveau fédéral), ou encore une liste de candidats à une élection (entre 100 et 400 signatures dans le cadre de l’élection du Conseil national).
Pour être fréquemment usités sur le plan fédéral, les droits politiques sont plus largement répandus et plus développés encore sur le terrain cantonal et même municipal. Les cantons et les communes apparaissent historiquement comme le berceau de la démocratie en Suisse. Ils y jouent, aujourd’hui encore, le rôle de laboratoires et de pionniers dans l’apparition et le développement de nouvelles formes de participation de la population à l’exercice du pouvoir (par exemple: droits politiques en faveur des étrangers, initiative populaire législative, référendum administratif et financier).
(source: dictionnaire suisse de politique sociale)
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