Karadzic arrêté, la Serbie est plus proche de l’Europe
A l'instar de la communauté internationale, la Suisse a salué l'interpellation de Radovan Karadzic. Intervenant sept mois après le départ de Carla Del Ponte du TPIY, celle-ci marque une étape décisive dans le rapprochement de la Serbie avec l'Union européenne.
Ancien chef politique des Serbes de Bosnie, Radovan Karadzic a été arrêté lundi soir à Belgrade par les services secrets serbes. Méconnaissable, les traits dissimulés par une longue barbe blanche, il se cachait sous une fausse identité.
«Très convaincante» selon la justice serbe, celle-ci lui permettait de vivre en pratiquant la «médecine douce» dans une clinique privée. Psychiatre de formation, Radovan Karadzic, 63 ans, est l’un des derniers grands criminels de guerre présumés recherchés dans les Balkans.
Le silence de Carla
Son arrestation met un terme à une traque qui aura duré treize ans au total, dont huit sous l’égide de la Suissesse Carla Del Ponte, procureure du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) de 1999 à 2007.
Aujourd’hui ambassadrice de Suisse en Argentine, elle n’a pas tenu à commenter cette arrestation. «Il n’est pas judicieux que l’ancienne procureure s’exprime parallèlement à son successeur», a de son côté fait savoir le ministère suisse des Affaires étrangères, rappelant néanmoins le «rôle historique» de Carla Del Ponte à la tête du TPIY.
Quant à l’ancienne porte-parole de la Tessinoise, Florence Hartmann, elle dit avoir souvent «dénoncé un manque d’entrain de la part des Occidentaux». Elle affirme aussi que les arrestations manquées de Radovan Karadzic par le passé étaient dues à «une absence de volonté».
Bémols de Moscou
Mardi, la communauté internationale a unanimement salué cette arrestation. En Suisse, les services de Micheline Calmy-Rey se sont félicités de «l’action résolue des autorités de poursuite pénale serbes».
Dans un communiqué, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) précise également qu’«il appartient maintenant à la justice internationale de se prononcer dans toute l’indépendance qui doit être la sienne, quelles que soient les circonstances.»
Seule voix discordante, Moscou a dénoncé le «parti pris» du TPIY. Cette arrestation a été effectuée «dans le cadre de l’accomplissement par Belgrade de ses obligations devant le Tribunal. Nous espérons que l’enquête et le procès sur le cas de R. Karadzic revêtiront un caractère impartial», ajoute le ministère russe des Affaires étrangères.
Un pas vers l’Europe
Tout autre ton à Bruxelles, où le président de la Commission européenne Manuel Barroso a indiqué que cette interpellation était «très importante pour les aspirations européennes de la Serbie».
Intervenant à peine dix jours après la formation à Belgrade d’un nouveau gouvernement pro-occidental qui réunit en une coalition surprenante les pro-européens du président Tadic et les socialistes du défunt Slobodan Milosevic, elle peut être interprétée comme le fruit d’un agenda caché.
«C’est une très bonne nouvelle, mais aussi un signal très clair des autorités de Belgrade», confirme à swissinfo Federico Andreu Guzman, conseiller général de la Commission internationale des juristes à Genève.
«Pendant plus d’une décennie, il a été impossible de le [Karadzic] localiser. Les rumeurs tendaient plutôt à dire qu’il s’était réfugié outre-Atlantique. Or cette arrestation démontre une nouvelle volonté politique de la part de Belgrade.»
Ce d’autant que les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne doivent se réunir pour évoquer le resserrement des liens entre l’Union européenne (UE) et la Serbie. Pour mémoire, la Serbie et l’UE ont signé en avril dernier un pacte de pré-adhésion, mais le bloc européen en avait conditionné l’application à la pleine coopération de Belgrade.
Une longue procédure
Directeur de l’Institut du fédéralisme de l’Université de Fribourg et conseiller du gouvernement serbe sur la question du Kosovo, Thomas Fleiner estime pour sa part que l’arrestation de Radovan Karadzic est «extrêmement importante à long terme» pour la stabilité des Balkans.
A condition toutefois que la justice internationale démontre sa capacité à traiter tous les criminels de guerre de la même manière. «Il faut garder à l’esprit que d’autres criminels de guerre, comme l’ancien leader de l’Armée de libération du Kosovo Ramush Haradinaj – que beaucoup de Serbes accusent d’avoir commis les mêmes crimes que Karadzic – ont été acquittés par manque de preuves.»
A Belgrade, une procédure d’identification est en cours. Radovan Karadzic sera entendu par un juge d’instruction dans la nuit, suite à quoi il devrait être transféré à La Haye. Son avocat a d’ores et déjà annoncé qu’il déposerait un recours, tout en faisant part de son pessimisme quant à son résultat.
Le TPIY, qui a promis un «procès équitable et public, selon les critères les plus élevés du droit international», s’attend quant à lui à un «transfert rapide» à La Haye.
Reste que Radovan Karadzic devra probablement rester plusieurs mois en détention avant son procès, comme ce fut le cas de Slobodan Milosevic. Une fois extradé, Radovan Karadzic sera installé dans le même centre de détention que l’ancien président yougoslave, retrouvé mort dans sa cellule le 11 mars 2006, peu avant la fin de son procès pour génocide.
swissinfo et les agences
Depuis sa création en 1993, le TPIY a inculpé 161 personnes.
Deux sont toujours en fuite. Il s’agit de Ratko Mladic et Goran Hadzic.
Ancien chef militaire des Serbes de Bosnie, Ratko Mladic, 66 ans, est en fuite depuis 1995. Le TPIY a dit à plusieurs reprises qu’il pensait qu’il était encore en Serbie.
Il risque la prison à vie s’il est reconnu coupable des quinze accusations de persécutions, exterminations, meurtres, déportations, actes inhumains, prises d’otages et recours à la terreur qui pèsent sur lui.
Goran Hadzic, 49 ans, ancien président de la République serbe auto-proclamée de Krajina, a disparu de son domicile peu après que son inculpation a été annoncée en juillet 2004.
Il doit répondre de quatorze chefs d’inculpation pour son implication présumée dans les meurtres de centaines de civils croates et la déportation de dizaines de milliers de Croates et autres non-serbes par les troupes serbes pendant la guerre de Croatie (1991-1995).
Né le 19 juin 1945 dans un hameau de montagne du Monténégro, Radovan Karadzic a grandi dans une famille pauvre et nationaliste hostile au régime communiste.
Son père, résistant nationaliste, a été blessé par les partisans de Tito pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Psychiatre de formation, amateur de poésie, nationaliste convaincu, il entre en politique et accède à la tête du Parti démocratique serbe de la République de Bosnie.
L’indépendance acquise, il est élu président des Serbes de Bosnie en 1992.
Entre 1991 et 1995, il est l’un des artisans du nettoyage ethnique qui a fait quelque 260’000 morts et 1,8 million de déplacés durant la guerre de Bosnie (1992-1995).
Inculpé en 1995 de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, il est notamment tenu pour responsable du siège de Sarajevo, où plus de 10’000 personnes ont perdu la vie.
Radovan Karadzic est aussi accusé du massacre de Srebrenica – enclave musulmane théoriquement sous la protection de l’ONU – dont la chute, en juillet 1995, a été suivie de l’exécution de quelque 8000 musulmans.
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