L’abstention reste le vainqueur des élections
En Suisse, seuls 4 citoyens sur 10 participent aux élections fédérales. Ce taux de participation est nettement inférieur à celui des autres pays européens.
Cet abstentionnisme tranche avec la traditionnelle image de démocratie modèle dans laquelle le peuple intervient fortement dans les décisions politiques.
Dans pratiquement tous les pays européens, les élections législatives attirent entre 50 et 90% des citoyens vers les urnes. En Allemagne, par exemple, plus de 70% des citoyens ont participé aux dernières élections législatives de 2009.
Pour retrouver de tels scores en Suisse, il faut remonter à 1919. Depuis cette date, le taux de participation n’a cessé de diminuer. Au cours des vingt dernières années, il a oscillé entre 42 et 48%.
La population suisse serait-elle saturée de politique? Et ce dans un pays qui est souvent considéré comme un modèle de démocratie directe en raison de son usage assidu des droits populaires (initiative et référendum)?
En Suisse, le peuple s’exprime au moins trois à quatre fois par an sur les thèmes les plus variés dans le cadre de votations de portée nationale, mais également cantonale et communale.
Fatigue de l’électorat
«Le fait d’être appelé aux urnes pratiquement tous les trois ou quatre mois contribue de fatiguer un peu l’électorat. Si la population ne pouvait donner son avis que tous les quatre ans, comme dans d’autres pays, elle le ferait alors avec davantage de zèle», explique le politologue Werner Seitz.
«Par ailleurs, les élections en Suisse n’ont pas la même valeur que dans les autres démocraties parlementaires, où chaque scrutin peut conduire à la désignation d’un nouveau gouvernement», ajoute le directeur de la section «Politique, culture et médias» auprès de l’Office fédéral de la statistique (OFS).
Le système politique suisse, rappelle le politologue, se base sur la concordance. Depuis un demi-siècle, les principaux partis se répartissent les sièges de l’Exécutif.
«Ce système de concordance au niveau du gouvernement constitue une institution très stable, mais également assez pesante, souligne Werner Seitz. L’élément plébiscitaire, qui se retrouve dans de nombreux autres pays, manque aux électeurs suisses.»
«En revanche, lorsqu’il s’agit de choix important, comme les votations fédérales sur l’adhésion à l’Espace économique européen ou sur l’abolition de l’armée, les citoyens ont participé à plus de 70%. Cela démontre que la démocratie fonctionne bien en Suisse, même si ce n’est que de cas en cas», dit le politologue.
Différence sociale
Selon des études de l’OFS, les jeunes désertent plus souvent les urnes que les plus âgés. De plus, les personnes ayant une formation limitée votent moins souvent que les plus qualifiées.
«Ces disparités laissent entrevoir une démocratie dominée par les classes sociales moyenne et supérieure et posent des questions quant à la qualité de notre système politique», relève Werner Seitz.
Selon le politologue, les institutions et les forces politiques devraient redoubler d’efforts pour impliquer davantage l’ensemble de la population. «Les partis sont appelés à présenter leurs positions et leurs objectifs de façon plus claire, dit-il. Je pense qu’il y a, là, un déficit à combler.»
L’usage prévu de nouveaux moyens électroniques, comme Internet, pourrait favoriser la participation au vote. Mais même dans ce cas, les experts ne s’attendent pas à une grande augmentation de la participation. Ce serait probablement les couches moyenne et supérieure de la population qui utiliseraient surtout les nouvelles technologies.
Manque d’intérêt
Mais comment s’exprimerait la majorité silencieuse si elle devait participer plus régulièrement aux scrutins?
«Longtemps, on a pensé que ce serait la gauche qui tirerait profit d’une plus large participation, en partant du principe que les classes sociales moins bien formée et payées votent plutôt à gauche», observe Georg Lutz, professeur des sciences politiques à l’Université de Berne.
«On a ensuite remarqué qu’il n’en était rien ou que les choses avaient changé, poursuit-il. Depuis des années, beaucoup de gens des clases les moins favorisées soutiennent par exemple l’Union démocratique du centre (droite dure).»
Selon le professeur, qui a consacré son doctorat à ce thème, les variations seraient donc minimes par rapport à la situation actuelle.
«Ceux qui votent peuvent être considérés comme plutôt représentatifs du reste de la population. Et ceux qui ne votent pas se distinguent surtout par leur manque d’intérêt pour la politique. Généralement, ils n’ont pas de véritables préférences: les partis leur semblent tous pareils», conclut Georg Lutz.
Au début des années 1900, environ 80% des électeurs (les hommes de plus de 20 ans) votaient pour le renouvellement des deux Chambres du Parlement.
Le taux de participation a régulièrement reculé depuis la 2e Guerre mondiale. Ces 20 dernières années, ce taux s’est stabilité entre 42 et 46% des personnes ayant le droit de vote.
Le pourcentage de ceux qui s’expriment dans le cadre des votations fédérales est plus irrégulier. En 20 ans, la participation a oscillé entre 27 et 78%, selon l’intérêt des objets soumis au peuple.
L’extension du droit de vote et d’éligibilité aux femmes (1971) et aux Suisses de l’étranger (1991) ainsi que l’abaissement de la majorité civique à 18 ans (1996) n’a pas amélioré la participation aux élections et aux votations fédérales.
Généralement, l’abstention est surtout répandu parmi les jeunes, les femmes et les personnes dont le niveau professionnel et de formation est peu élevé.
En ce qui concerne la 5e Suisse, environ 110’000 expatriés sont inscrits sur les registres électoraux, soit pratiquement un quart.
Suisse: 48% aux élections fédérales de 2007.
France: 59% à la présidentielle et 84% aux législatives de 2007.
Allemagne: 70% aux législatives de 2009.
Italie: 78% aux législatives de 2008.
Autriche: 78% aux législatives de 2008.
(Traduction de l’italien: Olivier Pauchard)
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