L’accord sur la fraude fiscale ne profiterait pas à la Suisse
Les 27 Etats de l’Union européenne s’entendent sur un renforcement de la coopération administrative. Le secret bancaire ne sera plus une excuse pour refuser de partager des informations. C’est vrai au sein de l’UE et la Commission met en garde les Etats-tiers…
Tous contents! Les ministres des Finances de l’Union Européenne ont quitté Bruxelles mardi soir après avoir trouvé un accord sur la coopération administrative en matière fiscale. Un accord politique qui intervient après des mois de paralysie sur ce sujet des plus sensibles, puisqu’il touche aux rentrées d’impôts.
Un système à double détente
La nouvelle directive (loi) européenne sur «la coopération administrative dans le domaine de la fiscalité» met en place un système à double détente. Elle impose dès son entrée en vigueur en 2013 l’application des standards de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) sur l’échange d’informations à la demande entre les administrations fiscales des Vingt-sept Etats-membres.
Deux ans plus tard, l’échange d’informations devra se faire sur une base automatique, pour cinq catégories de revenus perçus par des non résidents: les salaires, bien sûr, mais aussi les retraites, certains produits d’assurance vie, la propriété immobilière et les jetons de présence.
«Le secret bancaire ne sera plus accepté comme excuse d’un Etat membre pour refuser de partager des informations importantes avec les autorités fiscales d’un autre Etat-membre», se réjouit Algirdas Semeta, Commissaire européen à la Fiscalité.
Une approche étape par étape
«C’est un pas important dans la démarche de lutte contre la fraude. Un pas important aussi dans la consolidation budgétaire, parce que dans la plupart de nos pays nous cherchons à mettre en place des règles plus efficaces de lutte contre la fraude ou l’évasion fiscale afin aussi de consolider les budgets», affirme de son côté Didier Reynders, ministre belge des Finances qui, en tant que président de la réunion, a réussi à vaincre les réticences de plusieurs collègues, dont l’Autrichien et le Luxembourgeois.
Ce dernier s’est également félicité de l’accord. Luc Frieden a retenu trois points importants. D’une part, l’interdiction des «fishing expeditions», qui permettrait d’aller à la pêche aux informations, d’autre part, la non rétroactivité des démarches, impossibles sur la période antérieure au 1er janvier 2011. Et un bonus: «seules les informations disponibles pour les autorités fiscales» devront être transmises à un pays tiers.
Mais, en bon défenseur du secret bancaire luxembourgeois, Luc Frieden a une autre raison de se réjouir. La directive prévoit «une approche étape par étape» pour, à terme, arriver à l’échange automatique d’information. Elle programme l’établissement d’un rapport en juillet 2017, pour «retirer les conditions de disponibilité des informations» et pour «élargir le champ d’application» de la directive «de cinq à huit catégories de revenus». Cela laisse du temps pour se préparer à la bataille.
La marche vers l’automatisme
L’Italie, elle, a sa propre lecture de l’accord. Différente aussi. «Cela va mettre un terme aux tentatives de conclure des accords bilatéraux», commente le ministre des Finances Giulio Tremonti: une allusion claire aux discussions que la Suisse mène avec le Royaume-Uni et l’Allemagne pour un système de retenue à la source, aux dépens de l’échange d’information.
Visions différentes, donc, de Rome à Luxembourg en passant par Vienne. «Ce sont des commentaires à usage politique interne destinés à couvrir les concessions que chacun a du faire pour adopter la directive à l’unanimité», affirme un haut-fonctionnaire de la Commission.
«L’Union n’a pas modifié sa position sur l’échange automatique d’informations. Elle a opté pour une approche progressiste, et dans ce cadre, on peux dire que l’Autriche et le Luxembourg ont réussi à contenir la marche vers l’automatisme, à gagner un peu de temps», analyse Jean Russoto, avocat qui représente les intérêts de la place financière suisse à Bruxelles.
«Mais, insiste ce fin connaisseur des affaires bilatérales, l’objectif reste le même: l’échange automatique d’information». Et l’entourage d’Algirdas Semeta de prévenir: «Les Vingt-Sept ont finalement décidé d’un certain nombre de standards européens ambitieux. La Commission mettra la même opiniâtreté à exporter ces standards vers les Etats tiers».
«Alors que Bruxelles reste orienté idéologiquement sur l’échange automatique d’informations pour lutter contre l’évasion fiscale, un nombre croissant de pays ont manifesté leur intérêt pour l’alternative suisse, qui propose d’imposer une retenue à la source sur tous les revenus de placement, ce qui rend pratiquement impossible l’évasion fiscale. La solution suisse est plus complète que la directive européenne sur l’Imposition des revenus de l’épargne, car elle recouvre tous les revenus du capital et, contrairement à la directive européenne, n’est pas truffée d’échappatoires.»
James Nason, porte-parole de l’Association Suisse des banquiers (ASB)
Février 2009: UBS est autorisée par Berne à livrer aux Etats-Unis l’identité de 255 clients qu’elle a aidé à échapper au fisc américain, en violation de la loi sur le secret bancaire.
Mars 2009: Dans le collimateur de l’OCDE, Berne décide d’assouplir le secret bancaire en suivant les standards en matière d’échange d’informations.
Avril 2009: Le G20 place la Suisse sur une liste grise des paradis fiscaux prêts à faire des efforts en matière d’échange d’informations.
Août 2009: La Suisse et les Etats-Unis trouvent un accord sur UBS. Les Américains ne chercheront plus à obtenir l’identification de 52’000 titulaires. Une entraide administrative est décidée sur 4450 comptes.
Septembre 2009: Après avoir signé 12 conventions élargies de double imposition, la Suisse est biffée de la liste grise de l’OCDE.
Novembre 2009: Le gouvernement propose au parlement de soumettre les nouveaux accords de double imposition au référendum facultatif. L’UE reporte à 2010 un projet d’accord sur la fiscalité de l’épargne impliquant l’échange automatique d’informations.
Position officielle: La Suisse est décidée à refuser l’échange automatique d’information. L’entraide administrative est accordée au cas par cas, en réponse à des demandes concrètes et justifiées. L’échange d’informations est limité aux impôts couverts par les conventions de double impositions concernées.
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