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L’eau est un droit, pas une commodité

Porteuse d'eau au Maroc. Dans certaines régions du monde, une femme peut consacrer jusqu’à un tiers de sa vie à cette tâche étreintante.. Keystone

L’accès à l’eau potable: l'un des enjeux majeurs du 21e siècle. Ce thème est très présent au Forum social mondial de Porto Alegre.

Avec d’autres, les ONG suisses défendent l’idée d’une convention internationale, pour garantir l’accès à ce bien vital, qui ne doit pas devenir une simple marchandise.

Passé le cortège, les concerts et les discours, le travail concret a commencé jeudi matin au Forum social mondial (FSM) de Porto Alegre

La veille, c’est dans une ambiance de carnaval et de manifestation révolutionnaire – mais totalement pacifique – que la foule a défilé dans les rues de la cité. Une foule peut-être plus nombreuse encore que les 120’000 participants officiellement inscrits au FSM.

Et de la nuit tombée aux premières lueurs de l’aube, l’immense terrain qui borde le campement des jeunes a retenti aux accords d’une dizaine de groupes des cinq continents, avec en vedettes planétaires le ministre de la culture brésilien Gilberto Gil, la star «alternative» Manu Chao et… l’ombre de Bob Marley, repris par pratiquement tous les artistes présents.

Le lendemain matin, les fans de Lula étaient moins nombreux dans l’amphithéâtre du Forum. Venu «en visite de promotion», comme le titrait un quotidien local, le président a justifié son voyage à Davos devant une foule cordiale sans être enthousiaste et un petit groupe de déçus qui criaient et sifflaient très fort.

L’enjeu du siècle

Pendant ce temps, ceux qui ne sont pas venus voir Lula entament leurs conférences, ateliers et séminaires qui constituent le plat de résistance du FSM.

Ceux-ci se tiennent sous des dizaines de tentes carrées, de tailles diverses. On y parlerait virtuellement toutes les langues de la terre, mais en fait, ce sont le brésilien et l’espagnol qui dominent. Les interprètes bénévoles font ce qu’ils peuvent et les pros de la traduction simultanée (qui viennent aussi bénévolement) sont réservés à un tout petit nombre d’événements choisis.

Sous la tente E 203, la Communauté de travail des œuvres d’entraide suisses et une dizaine d’ONG du reste du monde défendent leur idée d’une convention internationale sur l’eau, qui devrait être l’enjeu écologique, économique et social majeur de ce siècle.

L’eau est d’ailleurs très présente à ce FSM 2005, ce qui est une nouveauté. Et le séminaire des Suisses et de leurs partenaires n’est qu’une pièce d’un vaste puzzle.

Le constat est simple et les chiffres effrayants. Un seul suffit à prendre la mesure de la tragédie: chaque jour, 6000 enfants de moins de cinq ans meurent d’avoir bu une eau insalubre. Simplement inadmissible, dans un monde qui se dit civilisé.

D’énormes intérêts en jeu



«Au Sommet de la Terre à Rio en 1992, on a reconnu l’eau comme bien essentiel commun à l’humanité rappelle, Peter Niggli, directeur de la Communauté de travail. Pourtant, contrairement au climat, il n’y a toujours pas de convention internationale dans ce domaine».

Désormais, la source de toute vie n’est plus du domaine des Nations Unies, mais de celui du Forum Mondial de l’Eau, dont la dernière grande réunion à Kyoto à fin 2003 a marqué la clôture de l’Année internationale de l’eau.

A côté des gouvernements, ce Forum réunit également les grandes entreprises du secteur, et son vice-président est un délégué du groupe Suez (anciennement Suez-Lyonnaise des Eaux), numéro un mondial de la distribution d’eau potable.

Pourquoi ce glissement du secteur public au «partenariat public-privé». La réponse de Peter Niggli est claire: «Tout le monde s’attend à voir le prix de l’eau potable augmenter, et les intérêts privés en jeu sont énormes».

La privatisation, bien sûr, les ONG n’en veulent pas. Pour elles, le droit à l’eau potable doit être garanti comme un Droit de l’homme et c’est bien ce que devrait établir la convention qu’elles réclament.

Un enjeu que Rosemarie Bär, spécialiste de l’eau à la Communauté de travail résume par une question: «qui va fixer le prix de l’eau potable dans les bidonvilles de Manille? La direction financière de Suez à Paris ou le comité local désigné par la population du quartier concerné?»

«La Suisse suivra le mouvement»

Le combat contre la privatisation débouche parfois sur des victoires. Ainsi, en Uruguay et en Bolivie, les gouvernements ont accepté de bannir la gestion privée de l’eau, ici sous la pression de la rue et là en se soumettant au verdict des urnes.

Pour Peter Niggli, ces nouvelles sont porteuses d’espoir. Quant un nombre suffisant de gouvernements seront acquis à l’idée de garder strictement l’eau dans le secteur public, ils devraient amener la question à l’ordre du jour de l’ONU.

Quand? Dans trois, cinq ou dix ans, espère le directeur de la Communauté de travail. Qui compte bien continuer, avec les ONG du monde entier engagées dans cette lutte, à faire pression sur les gouvernements.

Y compris sur le gouvernement suisse. Il y a quelques années, celui-ci s’est vu prier par une intervention parlementaire de lancer aux Nations Unies l’idée d’une convention sur l’eau. Mais le dossier est actuellement bloqué. Ce qui n’affole pas Peter Niggli. Selon lui, il suffira que d’autres s’y mettent pour la Suisse suive le mouvement.

Rendez-vous à Genève

Et l’après-midi, la tente E 203 accueille les promoteurs du Contrat mondial de l’eau, une initiative parallèle à celle qui demande une convention internationale.

Il s’agit ici d’un document à faire signer par des organisations, mais également des provinces, cantons ou régions d’un Etat, ou encore par des particuliers.

Cette initiative est née du Forum alternatif mondial de l’eau (FAME), qui s’est réuni à Florence en 2003, en vue d’être l’anti-Kyoto, comme le FSM est l’anti-Davos. Et sa prochaine session est agendée du 17 au 20 mars à Genève.

swissinfo, Marc-André Miserez à Porto Alegre

L’inégalité mondiale face à l’eau scelle également une profonde inégalité entre les sexes. Partout où elle existe, la corvée d’eau est réservée aux femmes et aux enfants. Marchant pendant des heures, les porteuses d’eau peuvent charrier jusqu’à 60 litres par jour et on a calculé qu’une femme de 65 ans vivant dans la région terriblement aride du Nordeste brésilien aura passé un tiers de sa vie à porter des cruches, des seaux ou des bidons.

– 1,4 milliard d’être humains n’ont pas accès à une eau potable propre.

– D’ici 2025, on estime qu’elles et ils seront près de 3 milliards à souffrir du manque d’eau.

– De plus, 3 milliards d’habitants de la planète ne disposent aujourd’hui d’aucune forme d’installations sanitaires.

– 80% de toutes les maladies des pays en développement ont pour origine l’utilisation d’eau polluée.

– Chaque jour, 6000 enfants de moins de cinq ans meurent des suites de la consommation d’eau insalubre.

– Chaque année, les Européens et les Etatsuniens dépensent pour nourrir leurs chiens et leurs chats davantage d’argent qu’il en faudrait pour permettre à tous les humains d’avoir accès à l’eau potable.

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