L’envoi de soldats suisses contre des pirates en débat
L'idée du gouvernement d'envoyer des soldats pour protéger les bateaux suisses contre les actes de piraterie au large de la Somalie suscite le débat. La critique prédomine, beaucoup de questions restent ouvertes et la décision finale ne sera prise que l'année prochaine.
«La Suisse n’a pas d’autre choix» que d’envoyer des soldats sur les bateaux suisses pour les protéger des attaques des pirates au large de la Somalie, avait déclaré le ministre de l’Intérieur et président de la Confédération Pascal Couchepin dans la presse dominicale.
Lundi soir, la ministre des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey a expliqué à la télévision que l’idée émanait de son département.
Appel d’un armateur
«Un navire suisse a été poursuivi la semaine dernière et j’ai reçu une lettre d’un armateur demandant la protection des navires suisses», a affirmé Micheline Calmy-Rey sur le plateau du 19:30 de la Télévision suisse romande (TSR).
La Suisse n’entend toutefois pas agir seule. Selon Micheline Calmy-Rey, le gouvernement examine la possibilité d’une participation de troupes spéciales au sein de la mission européenne Atalante, qui a pour objectif d’escorter les bateaux et de dissuader les pirates.
En contrepartie, l’Union européenne serait prête à protéger les bateaux battant pavillon suisse. «D’autres armées ne s’engageront pour nous que si la Suisse participe à l’opération», a relevé la ministre des Affaires étrangères, qui estime à trois mois le délai pour que l’opération Atalante soit prête.
Une idée «farfelue»
L’idée du Conseil fédéral (gouvernement) a été accueillie avec circonspection par la classe politique. A gauche comme à droite, des voix se sont élevées pour souligner le manque d’expérience des soldats suisses en haute mer ainsi que l’incompatibilité de cet engagement avec la neutralité helvétique.
Certains spécialistes ont également critiqué ce projet. L’expert en stratégie militaire Albert Stahel le qualifie même de «farfelu». Pour le professeur de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), il est nécessaire de trouver une «solution sérieuse», comme par exemple la protection des navires battant pavillon à croix blanche par les forces navales d’un autre pays.
Les craintes que des pirates puissent monter à l’abordage, couler un navire suisse, prendre en otage les occupants et même tuer les soldats à bord sont réelles, estime Albert Stahel. Au sein de l’armée, les sceptiques se sont également fait entendre. Ainsi, le président de la Société suisse des officiers Hans Schatzmann a qualifié ce projet d’«idée exotique».
Des forces spéciales suisses
Le gouvernement n’a pour l’heure pas précisé les détails de l’engagement des soldats suisses sur les bateaux au large de la Somalie. Mais plusieurs quotidiens mentionnent mardi l’existence d’une troupe d’élite susceptible d’être engagée pour cette mission. Composé d’une trentaine de professionnels et basé au Tessin, le «DRA 10» (Détachement de reconnaissance de l’armée) a déjà rempli quelques engagements à l’étranger, dont une mission à Téhéran en 2006.
Selon un expert français, cité par Le Temps, «Les compétences du DRA 10 sont similiaires à celles des SAS britanniques ou du GIGN français». Dans Le Matin, un autre expert estime que ce petit groupe de militaires suffirait à protéger le bateau le temps qu’il traverse le golfe d’Aden, où sévissent les pirates. Le commando, qui devrait encore suivre un entraînement spécial pour cette mission, passerait ainsi d’un navire à l’autre.
Décision en 2009
Si le gouvernement est prêt à faire monter des soldats suisses armés à bord de navires helvétiques, comme l’ont déjà fait d’autres pays dans le cadre des récentes résolutions de l’ONU, des questions juridiques, militaires et financières restent encore à approfondir.
La loi sur l’armée permet d’envoyer à l’étranger des volontaires pour une cause humanitaire ou la défense d’intérêts suisses. Le cas des actes de piraterie sur des navires au large de la Somalie entre-t-il dans ce cadre juridique? Qui doit payer pour des navires suisses qui appartiennent à des privés? Toutes ces questions doivent encore trouver réponse et la décision finale du Conseil fédéral ne tombera pas avant sa prochaine séance, agendée le 14 janvier 2009.
Le dernier mot reviendra ensuite au Parlement. Les débats s’annoncent d’ores et déjà houleux, le refus d’envoyer des militaires suisses à l’étranger étant depuis longtemps l’un des chevaux de bataille de l’UDC (Union démocratique du Centre / droite nationaliste). Pour le nouveau ministre UDC de la Défense Ueli Maurer, qui devra défendre la position du gouvernement face à ses camarades de parti, le début de mandat s’annonce difficile.
swissinfo et les agences
La Suisse est le pays non maritime ayant la plus grande flotte marchande du monde.
35 navires, dont des cargos, des portes-conteneurs, des pétroliers ou encore des bateaux pour les produits chimiques naviguent sous pavillon suisse. Au total, ces navires peuvent transporter plus d’un million de tonnes de denrées.
Parmi les 600 marins engagés sur ces bateaux, on ne compte que six Suisses, dont 3 Romands et 3 Alémaniques.
La flotte marchande suisse a une importance économique et stratégique essentielle. En temps de paix, elle participe au transport normal de marchandises à travers le globe.
En temps de guerre ou de crise, la Confédération peut utiliser les bateaux dans l’intérêt du pays et ainsi assurer l’approvisionnement de la Suisse.
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