L’Europe cinquantenaire s’est construite sans la Suisse
Il y a cinquante ans, les six pères fondateurs de l'Europe signaient le Traité de Rome. Aujourd'hui, l'Union compte 27 membres et la Suisse n'en fait toujours pas partie.
Au lendemain de ce 25 mars 1957, la presse helvétique est mi-enthousiaste mi-sceptique face à la nouvelle CEE. Et elle n’évoque pas le moindre lien possible avec le destin de la Suisse.
Ce dimanche, le gratin de l’Union européenne (UE) est réuni à Berlin, à l’invitation de l’Allemagne, qui exerce en ce moment la présidence des Vingt-Sept, pour un sommet marquant les 50 ans des Traités de Rome.
De son côté, dans les colonnes de la Neue Zürcher Zeitung, la présidente de la Confédération a rendu hommage aux réalisations historiques de l’UE, telles que «la restauration de la paix après le conflit mondial, le rassemblement de l’Europe après la Guerre froide, la création d’un marché intérieur qui est aujourd’hui le plus puissant espace économique du monde».
Et Micheline Calmy-Rey de préciser dans sa chronique que la Suisse a, «elle aussi, énormément bénéficié de ces développements».
Premiers pas laborieux
A l’origine, encore avant la Communauté économique européenne (CEE), il y avait la CECA, pour Communauté européenne du charbon et de l’acier.
Dès 1951, la France et l’Allemagne, rejointes par l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg, mettent en commun les industries lourdes qui ont servi à fabriquer les fusils et les canons de la Seconde Guerre mondiale.
Emportés par l’élan, les Six tentent de créer une armée commune. Mais les mentalités ne sont pas mûres: le projet de Communauté européenne de défense se heurte en 1954 à l’opposition des gaullistes et des communistes du Parlement français.
Union plus étroite
Les Six vont néanmoins de l’avant. Trois ans plus tard, dans le cadre somptueux du Capitole de Rome, les représentants de leurs gouvernements signent l’acte de naissance de la CEE.
Le traité a pour ambition d’établir une «union sans cesse plus étroite entre les peuples européens».
Mais en attendant, la nouvelle Communauté se contentera d’établir un «marché commun» (on la désignera longtemps par ce terme), basé sur la libre circulation des personnes, des marchandises et des services, avec la suppression des barrières douanières entre les Etats membres.
Enthousiasme et scepticisme helvétique
En Suisse, la presse qualifie la signature du Traité de Rome d’événement historique. Pour la Neue Zürcher Zeitung, c’est «une étape significative sur la voie de l’Europe unie».
Mais le correspondant romain du quotidien zurichois voit tout de même les signataires «conscients des difficultés et des résistances qui font encore obstacle à la concrétisation des différents paragraphes de l’accord».
Pour le Journal de Genève, «l’Europe est, malgré tout, en marche». Le Traité donne une sorte de «directoire provisoire à l’Occident et va entraîner le regroupement nécessaire des assemblées européennes».
«Pour la première fois dans l’histoire récente de l’Europe, on a eu l’impression d’une vraie appartenance et d’une véritable coopération de la famille des peuples européens», écrivent pour leur part les Basler Nachrichten.
«Crises de croissance»
A Bâle également, le quotidien de gauche Basler AZ, tout en saluant «l’événement du jour» prédit des «crises de croissance» à la nouvelle Communauté.
Pour le Tages Anzeiger de Zurich, seules les générations futures seront à même de juger si l’événement qui s’est déroulé au Capitole était vraiment historique.
Sceptique également, la Gazette de Lausanne écrit que «cette Europe ne peut croire en elle-même que si les cloches des églises de Rome ont véritablement salué le début d’une nouvelle époque».
La Suisse hors-jeu, voire hostile
Les commentateurs se rejoignent par contre tous sur un point: quelle que soit son importance pour l’Europe, l’événement n’a aucun lien avec le destin de la Suisse neutre. Dans leurs colonnes, on n’en parle simplement pas.
Dans les milieux politiques, c’est même parfois l’hostilité qui prévaut.
Selon Georg Kreis, directeur de l’Institut européen de l’Université de Bâle, «La Suisse a participé à cette époque à une tentative de sabotage pour empêcher la création de la CEE».
Avec la Grande-Bretagne et quelques autres, la Confédération a milité pour la création d’une vaste zone européenne de libre échange censée couler le projet politique européen. Laquelle aboutira trois ans plus tard à la création de l’Association européenne de libre-échange (AELE).
«Il est évident que la Suisse n’avait aucun intérêt à avoir un colosse, bien structuré dans son entourage immédiat, poursuit Georg Kreis. Les uns voyaient dans l’accord des Six un ‘quatrième Reich’, les autres un sérieux coup porté à l’économie suisse par l’émergence d’une nouvelle barrière douanière.»
swissinfo et les agences
1948: la Suisse s’associe à la future Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), chargée à l’origine de répartir les crédits du Plan Marshall pour la reconstruction de l’Europe.
1949: création du Conseil de l’Europe, pour la promotion de la démocratie et des droits de l’homme sur le continent. La Suisse estime que sa neutralité l’empêche d’y adhérer. Elle ne le fera qu’en 1963.
1960: à l’initiative de la Grande-Bretagne, les pays qui ne veulent pas adhérer à la CEE (dont la Suisse) fondent l’Association européenne de libre-échange (AELE).
1972: la Suisse signe un accord de libre-échange avec la CEE.
1992: Berne dépose une demande d’adhésion à l’UE (aujourd’hui gelée).
La même année, le peuple suisse refuse l’entrée dans l’Espace économique européen (EEE), associant l’UE et l’AELE. Par contre, les 3 autres pays qui y demeurent (Liechtenstein, Islande et Norvège), participent à l’EEE.
1999 et 2004: Berne et Bruxelles signent 2 paquets d’accords bilatéraux, qui règlent l’ouverture des marchés et la coopération en matière de sécurité intérieure, d’asile, d’environnement ou de culture.
Aujourd’hui, l’adhésion de la Suisse à l’UE n’est pas à l’ordre du jour. Elle passerait obligatoirement par un vote populaire et l’opinion y est majoritairement défavorable.
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