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L’homme fort du Kosovo accusé de trafic d’organes

Le premier ministre du Kosovo, Hashim Thaci est au centre des accusations portées par le rapport du Conseil de l'Europe. Keystone

Selon un rapport rédigé par le sénateur tessinois Dick Marty pour le compte du Conseil de l’Europe, le Premier ministre kosovar Hashim Thaci serait le «parrain» d’un réseau impliqué dans le trafic d’armes, d’héroïne et d’organes. Interview d'une ex-parlementaire suisse spécialiste de la question.

Dans son rapport, qui sera adopté jeudi à Paris par les diplomates européens, Dick Marty épingle férocement l’actuel Premier ministre kosovar Hashim Thaci, dont le Parti démocratique du Kosovo (PDK) est sorti vainqueur dimanche dernier des élections législatives.

Le rapport montre que ce dernier serait le «parrain» du «groupe de Drenica». Un réseau criminel qui peut être assimilé à une mafia, composé de puissantes personnalités de l’Armée de Libération du Kosovo (UCK). Le groupe contrôlerait depuis dix ans le commerce de l’héroïne dans le pays, serait responsable de nombreux assassinats et effectuerait de la contrebande d’armes et de munitions. Mais il serait avant tout lié à un vaste trafic d’organes.

Ce sanglant «commerce» aurait été rondement mené entre 1999 et 2000, à la fin du conflit armé au Kosovo. Des organes auraient été prélevés sur des prisonniers Serbes et des Kosovars Albanais, au cœur d’une clinique en territoire albanais, près de Fushë-Krujë. Dick Marty note d’ailleurs que le trafic s’est poursuivi jusqu’à aujourd’hui, sous d’autres formes.

Selon le rapporteur tessinois, les pays occidentaux et les organisations internationales, auraient fermé les yeux sur ces crimes, dont la mise à jour n’est pas nouvelle.

Le gouvernement du Kosovo a tout de suite réagi aux accusations, en notant que le rapport se fondait sur des «faits sans fondement, inventés avec pour objectif de nuire à l’image du Kosovo.»

Les dénonciations de trafic d’organes impliquant l’UCK, dont Hashim Thaci était le chef, avaient déjà été portées en 2008 dans un livre rédigé par Carla Del Ponte, ancienne procureure du Tribunal Pénal International (TPI) pour l’ex-Yougoslavie.

Fortement critiquée et «muselée» par le Département fédéral des affaires étrangères, l’ex-procureure avait été soutenue par l’ancienne députée socialiste Ruth-Gaby Vermot, qui avait encouragé la mise sur pied d’une enquête. Interview de cette ancienne parlementaire, auteure d’un rapport sur le trafic d’organes en Europe, qui prenait part lundi à Paris à une réunion pour la remise du Prix des droits de l’homme. Un endroit où elle a rencontré Dick Marty.

swissinfo.ch: Le rapport du Conseil de l’Europe qui fait des reproches massifs au gouvernement du Kosovo menace-t-il la stabilité du jeune Etat?

Ruth-Gaby Vermot: Comme je connais Dick Marty, il a uniquement rapporté des éléments qui sont vérifiés. La question de la stabilité ne doit pas amener à passer outre les conclusions terrifiantes de ce rapport. Sorti vainqueur des élections, Hashim Thaci va certainement être affaibli. Il doit faire face à ces critiques. On ne peut pas maintenir la stabilité d’un Etat lorsque l’on ignore les atteintes aux droits de l’homme perpétrées depuis la guerre jusqu’à aujourd’hui. Les accusations doivent être mises sur la table. Hashim Thaci doit s’assurer que l’Etat du Kosovo prenne en compte ces incriminations. Je crains que le Kosovo soit réellement ébranlé par ce rapport.

swissinfo.ch: La Suisse s’est beaucoup engagée pour l’indépendance du Kosovo. Elle a été un des premiers pays à reconnaître l’Etat indépendant et elle lui a fourni un fort soutien financier. Est-ce que la Suisse a fermé les yeux sur les agissements de l’UCK, en particulier sur l’actuelle direction du Kosovo, ou les ignorait-elle réellement?

R.G.V.: Je trouve toujours bien que la Suisse ait rapidement reconnu le Kosovo. Ce jeune Etat avait besoin de soutien et d’argent pour son développement. On sait depuis toujours que les Etats et les organisations de libération engagés dans le conflit ont violé les droits de l’homme. Mais désormais, on sait grâce à Dick Marty à quel point ces crimes étaient horribles. Le travail d’analyse peut commencer et on peut amener le pays à rendre des comptes.

swissinfo.ch: En 2008, Carla Del Ponte a été critiquée et réduite au silence par le DFAE pour ses déclarations sur les crimes commis par l‘UCK. Etait-ce correct?

R.G.V.: Je n’ai jamais compris pour quelles raisons on a muselé Carla Del Ponte. Je me suis toujours battue pour que ses propos soient pris au sérieux et que quelqu’un d’autre poursuive une enquête. Ce n’était pas juste de faire taire Mme Del Ponte, on le voit encore aujourd’hui avec le rapport de Dick Marty: beaucoup d’éléments que Carla Del Ponte a rapporté dans son livre sont vrais.

swissinfo.ch: Ce nouveau rapport du Conseil de l’Europe va-t-il renforcer la position de la Serbie?

R.G.V.: Je ne crois pas que la Serbie profitera de ce rapport, car beaucoup de choses terribles se sont déroulées au Kosovo. La blessure des crimes de guerre commis par la Serbie n’est pas encore cicatrisée. Je crois que personne ne peut se réjouir du fait que le Kosovo aille mal et soit incriminé de cette manière. Maintenant, il faut que les tribunaux et les organisations des droits de l’homme fassent leur travail, afin que toute la lumière soit faite sur les événements et que les coupables soient punis. L’impunité représente toujours le pire pour un pays qui a été ravagé par la guerre.

Le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) note que la Suisse «soutient de longue date les efforts en vue d’élucider les nombreux cas de personnes disparues lors des conflits en ex-Yougoslavie.»

 

La Suisse appelle les pays concernés à coopérer dans les enquêtes et à rassembler tous les éléments de nature à faire la lumière sur le sort de ces personnes.

Elle exhorte les autorités des pays concernés à mener si nécessaire des poursuites pénales contre les individus soupçonnés d’être responsables de ces disparitions.

Après la Seconde Guerre mondiale, la province du Kosovo a bénéficié d’un statut d’autonomie. Ce statut a été ancré en 1974 dans la Constitution de la Fédération yougoslave.

En 1989, le président serbe Slobodan Milosevic annule le statut d’autonomie et envoie l’armée au Kosovo pour faire cesser les protestations.

En 1998, des dizaines de milliers de Kosovars abandonnent leur maison suite à une offensive menée par Belgrade contre l’Armée de libération du Kosovo (UCK).

En 1999, l’OTAN lance une série de bombardements aériens contre la Serbie pour mettre fin au conflit entre les forces serbes et les indépendantistes albanophones. Après deux mois et demi de bombardements, 50’000 soldats de l’OTAN sont stationnés au Kosovo. La province est placée sous l’administration des Nations Unies.

En 2007, le leader séparatiste Hashim Thaci remporte les élections parlementaires et annonce que l’indépendance du Kosovo sera prochainement proclamée.

Le 17 février 2008 le parlement du Kosovo proclame l’indépendance. La Suisse la reconnaît dix jours plus tard.

Avec la collaboration de Laureline Duvillard et Stefania Summermatter

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