L’OCDE fait un pas vers la Suisse
Après cinq semaines de frictions provoquées par l'inclusion de la place financière suisse à la «liste grise» de l'OCDE, José d'Ángel Gurría a répondu à la lettre du président de la Confédération. swissinfo a obtenu une copie de ce courrier en exclusivité.
Sur un ton cordial, qui contraste avec la crispation des échanges précédents, le secrétaire général de l’organisation répète: «L’OCDE fait partie de la solution et non du problème».
L’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) a écrit jeudi un nouveau chapitre du feuilleton épistolaire entamé avec la Suisse il y a un peu plus d’un mois.
Le secrétaire général José d’Ángel Gurría répond à la missive que lui a fait remettre le président de la Confédération, Hans-Rudolf Merz, le 28 avril dernier. Il propose d’enterrer la hache de guerre en ces termes: «Je suis disposé à apporter mon aide mais, s’il vous plaît, ne tuez pas le messager, je suis du côté de la solution, non du problème.»
Le secrétariat de M. Merz a confirmé vendredi avoir reçu la missive de M. Gurrìa. Rappelons que la Suisse s’est insurgée de figurer sur la «liste grise» publiée par l’OCDE, le 2 avril lors du Sommet du G-20 à Londres. Un classement qui inclut les pays réticents à transmettre des informations fiscales et bancaires à d’autres gouvernements.
Berne avait annoncé un assouplissement de son secret bancaire deux semaines avant le sommet de Londres, en espérant rejoindre la «liste blanche», avec des pays comme les Etats-Unis, la France ou l’Allemagne, mais en vain.
OCDE indépendante
La lettre de José d’Ángel Gurría, dont la copie a été obtenue par swissinfo, revient en détails sur les questions techniques et politiques posées par Hans-Rudolf Merz. (Notons au passage que, dans ce courrier, Merz devient Mertz…)
Pourquoi la Suisse, pourtant membre de plein droit de l’OCDE, n’a-t-elle pas été informée préalablement de l’intention de l’inclure sur la «liste grise»?
M. Gurría répond que l’OCDE publie périodiquement des enquêtes sur tous les pays membres, sans solliciter à chaque fois leur consentement formel, comme l’y autorise son devoir d’indépendance, de crédibilité et d’autorité.
L’OCDE a apprécié à sa juste valeur l’intention manifestée par la Suisse d’échanger des informations fiscales, ainsi que M. Gurría l’a exprimé dans une lettre au ministre britannique des Finances Alistair Darling.
Cependant, la Confédération savait que, l’année dernière, la tolérance de la communauté internationale face à l’évasion fiscale n’a fait que diminuer et, si Berne a bien annoncé son intention d’assouplir le secret bancaire, elle ne l’a fait que quelques jours avant le sommet du G-20, et donc trop tard pour que son intention se traduise dans les faits.
José d’Ángel Gurría affirme ensuite qu’il est opposé à la décision du G-20 et rappelle que, le même 2 avril, il avait affirmé croire que «la Suisse ne méritait pas de figurer dans ce contexte (ladite «liste grise)».
Critères peu transparents
Evoquant des «zones d’ombre» dans la position de l’OCDE, le président de la Confédération demandait des détails sur les critères adoptés.
Réponse de l’économiste mexicain: l’OCDE s’est basée sur l’enquête menée sur 84 juridictions par le Forum Global de l’OCDE (qui regroupe les pays membres, les observateurs du Comité des affaires fiscales). Enquête sur les nations considérées comme des paradis fiscaux et des places financières jugées peu transparentes, qui avait été publiée lors du Forum mondial de Berlin en 2004. La Suisse était censée avoir connaissance de tout le processus qui a débouché sur le classement présenté à Londres en 2008.
Une autre question de Hans-Rudolf Merz portait sur les critères quantitatifs et qualitatifs utilisés pour inclure un pays sur la liste grise.
Dans sa missive de jeudi, le secrétaire général de l’OCDE précise que ce sont les standards internationaux, comme l’Article 26 du Modèle de convention fiscale de l’OCDE, qui ont été utilisés en toute objectivité. Lequel a fixé un seuil minimum qui consiste en la conclusion de douze accords d’échange d’information avec d’autres gouvernements.
Ce chiffre de douze a été fixé lors de discussions menées en 2008 et la décision a été communiquée aux 84 pays évalués.
Les «privilégiés»
Sur le plan politique, la lettre de Hans-Rudolf Merz demandait pourquoi certains membres du G-20 n’ont pas été intégrés à la liste grise, comme les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne lesquels comptent des territoires peu transparents en matière fiscale.
Le secrétaire général de l’OCDE répond que le mouvement de lutte contre l’évasion est global.
Et précise que Londres a exhorté toutes les juridictions du Royaume-Uni à appliquer les standards internationaux avant septembre. De son côté, le Congrès américain envisage des sanctions contre les Etats qui ne se plient pas aux réglementations internationales.
M. Gurría estime que la priorité va à la création de mécanismes légaux, afin d’améliorer l’échange d’informations fiscales entre pays.
Il répète que la Suisse est invitée à participer aux travaux qui vont commencer au niveau international, comme le Forum sur les pratiques fiscales dommageables (13-14 mai) ou le Comité des affaires fiscales de l’OCDE (28-29 juin).
José d’Ángel Gurría salue enfin la bonne volonté manifestée par la Suisse pour négocier les douze accords requis d’échange d’information avec d’autres pays avant le 31 décembre 2009. Et promet enfin que «ce sera une satisfaction pour l’OCDE».
Un pont a maintenant été jeté, la balle est maintenant dans le camp de la Suisse.
Andrea Ornelas, swissinfo.ch
(Traduction de l’espagnol: Isabelle Eichenberger)
Données. Depuis plus de 40 ans, l’Organisation de coopération et de développement économiques est une des sources de données statistiques, économiques et sociales comparables les plus fiables du monde.
Tendances. Outre ses activités de collecte de données, l’OCDE suit les tendances, analyse et prévoit les évolutions économiques.
Evolution. L’organisation étudie aussi les changements qui affectent la société ou l’évolution de la situation concernant les échanges, l’environnement, l’agriculture, la technologie, la fiscalité, etc.
Engagement. Mis sous pression par les poids lourds du G20, en avril, de nombreux pays, dont la Suisse et le Luxembourg, ont accepté d’écorner leur secret bancaire en s’engageant à appliquer les «standards de l’OCDE» en matière d’échange, sur demande, d’informations bancaires entre administrations fiscales.
Adapter. Ces Etats ont accepté dans ce cadre d’adapter les conventions de prévention de la double imposition qui les lient à une multitude de pays.
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