La droite dure pourrait torpiller les bilatérales
L’accord au sommet entre Berne et Bruxelles ne suffit pas encore à assurer le succès des bilatérales II. Le paquet doit maintenant être accepté en Suisse même.
La droite dure (UDC) entend bien soumettre au moins l’un des neuf accords au verdict du peuple.
La question de savoir comment la Suisse doit approuver les neuf accords bilatéraux représente un véritable casse-tête juridique. Dans les faits, il s’agira autant d’une affaire de crédibilité que de tactique et d’intérêts politiques et économiques.
Les accords doivent-ils automatiquement être soumis au verdict des urnes, et si oui, comment? Le Conseil fédéral (gouvernement) soumettra une proposition à ce sujet au plus tôt cet automne. Mais en dernier ressort, c’est le Parlement qui décidera.
Ici, deux questions centrales vont se poser:
Les neuf accords devront-ils continuer à être considérés comme un paquet, et donc traité dans leur ensemble?
Et devront-ils être soumis au référendum obligatoire ou au référendum facultatif?
Pas d’obligation de faire voter
De l’avis général, ces accords bilatéraux ne devraient être soumis qu’au référendum facultatif. La Constitution n’exige en effet même pas de vote populaire dans un cas comme celui-ci.
Le premier paquet d’accords avec l’UE n’avait déjà été soumis qu’au référendum facultatif. Les démocrates suisses (extrême droite) avaient alors réuni les signatures nécessaires, et le peuple avait dû se prononcer.
En 1992, par contre, le Conseil fédéral avait décidé de soumettre l’entrée de la Suisse dans l’Espace Economique Européen au verdict du peuple – avec le résultat que l’on sait, bien que rien dans la Constitution ne l’ait obligé à le faire.
Il est donc imaginable que le Parlement choisisse de soumettre également ces accords bilatéraux bis au référendum obligatoire, notamment pour des raisons politiques. Dans ce cas, le ou les objets devraient réunir en leur faveur la double majorité du peuple et des cantons.
En bloc ou séparément?
La question du traitement accord par accord ou en paquet est plus délicate. Si l’on veut rester crédible, la variante «paquet» est la seule envisageable.
La Suisse a en effet défendu dès le départ le parallélisme dans les négociations pour parvenir à un paquet équilibré. Ce n’est que de cette manière que les diplomates helvétiques ont pu obtenir des concessions sur le secret bancaire ou sur Schengen.
«Il serait paradoxal pour le gouvernement de faire maintenant volte-face et de vouloir traiter les accords séparément, alors qu’il a insisté sur l’aspect du paquet durant toutes les négociations», déclare le politologue René Schwok.
De son côté, l’UE n’a accepté cette notion de parallélisme qu’à contre-cœur. Mais elle s’est aussi prononcée pour une solution globale. Elle craignait qu’un morcellement du paquet ne bloque ses principales revendications sur la fiscalité de l’épargne et la lutte contre la fraude et que la Suisse n’accepte que ce qui lui était agréable.
Du coup, on peut penser que, lors du sommet réunissant la Suisse et l’UE, Bruxelles posera comme condition que les neuf accords soient traités comme un paquet.
La droite dure à l’attaque
Mais une solution globale contient des risques d’échec. Depuis longtemps déjà, l’Union démocratique du centre (UDC / droite dure) a annoncé qu’elle lancerait le référendum contre l’entrée de la Suisse dans l’espace Schengen.
Or il n’est pas exclu, qu’en cas de scrutin populaire, l’ensemble du paquet soit refusé à cause de Schengen. En effet, les questions de la protection des frontières et de la sécurité intérieure pourraient susciter des peurs et de l’incertitude au sein de la population.
Parmi les quatre partis gouvernementaux, les avis sont partagés. Socialistes et démocrates-chrétiens (PDC / centre-droit) se prononcent en faveur du paquet. De leur côté, démocrates du centre et radicaux (PRD / droite) exigent un traitement séparé.
L’Association suisse des banquiers et economiesuisse réclament également un traitement séparé. Leur demande montre clairement que les deux organisations économiques se soucient d’abord de leurs propres intérêts et ne veulent pas s’engager sur les autres questions.
Leur but leur plus urgent est de soumettre la question de la fiscalité de l’épargne au verdict populaire, afin de sauver le secret bancaire.
Blocher doit annoncer la couleur
Il sera intéressant de voir comment le ministre UDC Christoph Blocher se positionnera face à ces questions fondamentales.
En tant que ministre de la Justice et Police, il est sensé défendre l’espace Schengen devant le peuple et son propre parti. Mais on sait très bien que Christoph Blocher est un adversaire déclaré de ce projet.
S’il ne veut pas être accusé de double-jeu, le ministre devra donc clarifier sa position. Et pas seulement sur le dossier Schengen, mais aussi sur la question de la libre-circulation des personnes.
La libre-circulation des personnes est le seul accord du paquet des Bilatérales I qui doive être adapté à l’élargissement à l’Est. Mais, en relativement peu de temps, la Suisse et l’UE se sont entendues pour étendre cet accord aux dix nouveaux membres de l’Union.
Or l’Action pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN) – présidée jusqu’à fin 2003 par Christoph Blocher – et l’UDC veulent combattre cette extension par référendum. Elles craignent en effet que l’extension ne se traduise par un afflux d’immigrés en Suisse et par le départ des entreprises. Là aussi, le ministre devra donc clarifier sa position.
Le jeu dangereux du référendum
Un référendum contre l’extension de l’accord sur la libre-circulation des personnes menacerait en fait tout le paquet des Bilatérales I. Un refus populaire provoquerait en effet une discrimination par rapport aux nouveaux Etats membres de l’UE, ce qui ne serait pas accepté par Bruxelles.
Le refus de l’extension provoquerait l’annulation de l’accord sur la libre-circulation, qui elle-même aurait pour conséquence la fin des Bilatérales I. En effet, l’annulation d’un seul accord provoque l’annulation de tous les autres.
Ce faisant, des accords très importants pour la Suisse, notamment dans le domaine du trafic aérien et des poids-lourds, seraient caducs.
swissinfo, Katrin Holenstein
(traduction: Marc-André Miserez et Olivier Pauchard)
– Les Bilatérales I, entrées en vigueur le 1er juin 2002, sont constituées de sept accords.
– Ils concernent: la libre-circulation des personnes, le transport aérien, les transports terrestres, l’agriculture, les obstacles techniques au commerce, les marchés publics et la recherche.
– Les Bilatérales II – en cours de négociation – comprennent neufs chapitres: la fiscalité de l’épargne, la lutte contre la fraude douanière, la coopération de la Suisse aux traités de Schengen et Dublin, les produits agricoles transformés, l’environnement, les médias, l’éducation, les statistiques et enfin les pensions.
– Ce nouveau paquet comprend également l’extension de l’accord de libre-circulation des personnes aux nouveaux Etats membres de l’UE et la contribution de la Suisse au Fonds de cohésion de l’Union (un milliard de francs sur cinq ans).
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