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La Loi sur l’électricité ne mettra pas fin à l’opposition aux éoliennes en Suisse

Charles Phillot (à gauche), Antoinette de Weck et Jacques Sottas
Charles Phillot (à gauche), Antoinette de Weck et Jacques Sottas s’opposent à la construction d’éoliennes dans les forêts de leur région du canton de Fribourg. swissinfo.ch

La transition énergétique est au cœur de la Loi sur l’électricité, soumise au peuple le 9 juin. Ses opposants craignent que sa mise en œuvre se fasse au détriment de la nature et des paysages helvétiques. Peu importe l’issue du vote, leur combat contre les éoliennes se poursuivra. Reportage dans leur camp.

«Défricher une forêt pour construire des éoliennes? C’est une aberration! Je me demande ce qui se passe dans la tête des gens qui ont de telles idées». Furieux, Charles Phillot ne mâche pas ses mots. Depuis qu’il sait que la région du canton de Fribourg dans laquelle il vit pourrait devenir un grand site de production d’énergie éolienne, il ne trouve plus le repos.

Jusqu’à quatorze éoliennes pourraient sortir du sol dans sa seule commune, certaines en pleine forêt. «Je suis vieux, mais j’ai quand même décidé de me battre», affirme-t-il. Face à lui, ce qu’il appelle le «puissant lobby de l’énergie éolienne».

Âgé de 76 ans, Charles Phillot est le président de Sauver les forêts du GiblouxLien externe, une association locale voulant empêcher la construction d’un parc éolien sur les crêtes de ce massif montagneux, au pied des Alpes. Il en est convaincu: les éoliennes entraîneraient des conséquences dévastatrices pour la faune, le paysage et la population.

«Une planification éolienne criminelle a été réalisée dans nos forêts», dénonce-t-il. Mais son combat ne s’arrête pas au parc éolien du Gibloux. Charles Phillot s’oppose également à la «Loi sur l’électricité», un paquet de nouvelles réglementations visant à simplifier les procédures d’autorisation pour les projets d’énergies renouvelables dans toute la Suisse.

Le peuple se prononcera sur ce texte lors du prochain dimanche de votations, le 9 juin. Pour Charles Phillot, la construction de centrales solaires et de parcs éoliens ne doit pas primer sur la protection de la nature et du paysage.

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Des éoliennes géantes sur les crêtes fribourgeoises

Le massif du Gibloux est l’un des sept sites du canton qui, selon les autorités fribourgeoises, pourraient produire de l’électricité grâce au ventLien externe. La stratégie énergétique du canton, qui selon une étudeLien externe de 2022 fait partie de ceux qui ont le plus grand potentiel éolien du pays, a pour objectif la production de 160 gigawattheures (GWh) d’énergie éolienne d’ici à 2035. C’est à peu près la quantité produite actuellement dans toute la Suisse.

Cette perspective ne réjouit pas Charles Phillot, qui craint d’être entouré d’éoliennes de plus de 200 mètres de haut. Des installations qui, selon lui, défigureraient le paysage de cette région préalpine. Leurs pales seraient une menace pour les oiseaux et les chauves-souris, alors que leur bruit et l’ombre qu’elles projettent au sol détérioreraient la qualité de vie des riverains.

Une éolienne au Mont-Crosin, dans le canton de Berne.
Une éolienne au Mont-Crosin, dans le canton de Berne. JEAN-CHRISTOPHE BOTT/© KEYSTONE

Les éoliennes peuvent effectivement être source de pollution sonore, mais elles ne présentent aucun risque pour la santé humaine, selon une revue de la littérature scientifiqueLien externe datant de 2014. Une étudeLien externe plus récente estime toutefois que des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer leurs conséquences potentielles sur la qualité de vie.

Place au ciment et aux bulldozers en forêt

Mais ce n’est pas seulement le bruit des éoliennes et la défiguration d’un paysage aujourd’hui dominé par le Moléson, montagne emblématique du canton de Fribourg, qui irrite Charles Phillot. «Le pire, c’est ce qui se passerait à l’intérieur de la forêt», précise-t-il.

Chaque éolienne nécessiterait de créer de vastes zones de terrain plat et de déboiser l’équivalent d’un terrain de football, affirme-t-il. Des tonnes de béton seraient utilisées pour la construction des fondations et l’élargissement des routes d’accès. Les chemins de terre actuels ne permettent pas le passage de véhicules lourds et le transport des éoliennes.

Des hectares de forêts et d’espaces naturels seraient ainsi sacrifiés avec des effets néfastes sur la biodiversité, ajoute Charles Phillot. «Il est absurde de laisser une forêt être détruite par des bulldozers et transformée en une immense zone industrielle».

Contactées, les autorités fribourgeoises indiquent que «la planification cantonale du parc éolien a été réalisée dans le respect des réglementations en vigueur, y compris le cadre légal sur les forêts, relativement contraignant en Suisse».

Cette planification a été validée par la Confédération et 20 à 25 éoliennes sur trois ou quatre sites devraient suffire pour atteindre l’objectif de 2035, explique Pierre Vaudan, porte-parole de la Direction cantonale de l’économie, de l’emploi et de la formation professionnelle. Et de souligner que pour l’instant il n’y a pas de projets concrets dans le canton et que le potentiel de chaque site devra être confirmé ou infirmé par des études détaillées.

La Suisse n’est «pas propice» à l’énergie éolienne

Antoinette de Weck, vice-présidente de l’association Paysage libre suisse, qui milite contre l’énergie éolienne, s’oppose également à toute intervention dans la nature. «On ne peut pas penser protéger le climat en détruisant une forêt qui absorbe du CO2», affirme-t-elle.

La députée au parlement cantonal fribourgeois précise toutefois ne pas être totalement contre l’énergie éolienne. Elle serait favorable à des installations en plaine, dans des zones déjà occupées par l’activité humaine. Par exemple, sur des sites industriels ou, pourquoi pas, sur des terres agricoles.

Mais elle estime que dans son canton, et en Suisse en général, les conditions ne sont pas réunies pour une production d’énergie éolienne économiquement et écologiquement judicieuse. «Fribourg n’est pas une région propice à l’éolien et, à quelques exceptions près, la Suisse ne l’est pas non plus», ajoute-t-elle.

Moins de 1% de l’électricité en Suisse

Les chiffres semblent lui donner raison. Le vent ne compte que pour 0,3% de l’électricité produite en Suisse. Et si la production éolienne est en augmentation, celle-ci reste négligeable par rapport à d’autres pays européens.

Infographie
Kai Reusser / swissinfo

Pour Lionel Perret, directeur de l’association Suisse Éole, le retard de la Suisse s’explique par la lenteur des procédures d’autorisation pour les parcs éoliens. Il faut ainsi environ quinze ans pour installer une éolienne en Suisse. Une attente due aux lenteurs bureaucratiques et judiciaires, ainsi qu’aux recours de citoyens et d’associations. En Allemagne, ce délai est généralement de cinq ans.

Cet aspect ainsi que les conditions de vent et la géographie expliquent la nette différence entre le nombre d’éoliennes en Suisse et dans les régions voisines.

Infographie
Kai Reusser / swissinfo.ch

Assurer l’approvisionnement en hiver

Mais cette situation pourrait changer. La Suisse souhaite porter la part de l’énergie éolienne dans la production d’électricité à 7% d’ici à 2050. L’éolien permettrait surtout de fournir de l’électricité pendant l’hiver, une période où le pays dépend des importations.

La Loi sur l’électricité doit favoriser le développement de l’énergie éolienne et des énergies renouvelables. Ces nouvelles réglementations, approuvées par le Parlement suisse à l’automne dernier, permettent de faciliter la construction de centrales hydroélectriques, solaires et éoliennes jugées d’importance nationale. L’objectif: promouvoir la production indigène à partir de sources d’énergies renouvelables.

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Où des éoliennes devraient-elle voir le jour en Suisse?

Ce contenu a été publié sur La Suisse aurait besoin d’environ 760 éoliennes pour opérer le virage énergétique. Un nombre plus réduit pourrait également suffire, en utiliser des terres agricoles.

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La Loi sur l’électricité autorisera, sous certaines conditions, la construction de centrales solaires dans les zones vierges des Alpes et de parcs éoliens dans les forêts. Lors du choix de l’emplacement des éoliennes, la présence de routes d’accès primera sur l’état de la forêt et de la biodiversité.

Les forêts ont un potentiel éolien intéressant, car elles permettent des installations loin des habitations, dans des zones déjà exploitées, note Lionel Perret de Suisse Éole. «Il ne s’agit pas de placer des éoliennes dans des réserves forestières, mais dans des forêts de production de bois où l’homme a déjà un fort impact», ajoute-t-il.

L’énergie éolienne est une alternative aux combustibles fossiles. Une éolienne qui produit 8 GWh d’énergie permet d’éviter l’émission d’environ 3’000 tonnes de CO2 par an, affirme Lionel Perret. C’est la quantité de CO2 absorbée par 150’000 arbres.

Sur les bâtiments plutôt que dans la nature

Les principales organisations environnementales, dont le WWF et Greenpeace, soutiennent le texte. Toute production d’énergie a des effets indésirables, mais les avantages de la Loi sur l’électricité l’emportent nettement sur les inconvénients, estime Patrick Hofstetter, expert en climat et en énergie au WWF.

Les cantons, en concertation avec les organisations de protection de l’environnement et les populations locales, définiront des zones clairement délimitées propices aux installations d’éoliennes, précise l’organisation. Les biotopes d’importance nationale et les réserves d’eau et d’oiseaux migrateurs ne seront pas touchés. À l’avenir, souligne le WWF, il ne sera plus possible de défricher à grande échelle et sans discernement pour construire des éoliennes.

Contenu externe

Mais deux petites associations de protection de la nature et du paysage – la Fondation Franz Weber et Paysage libre suisse – s’opposentLien externe à la loi, qu’elles jugent dévastatrice pour les biotopes protégés et les plus beaux paysages du pays. Leur référendum ayant abouti, le peuple aura le dernier mot.

Pierre-Alain Bruchez, membre du comité référendaire, est d’accord qu’il faut miser sur les énergies renouvelables. Mais pas au détriment de la nature et du paysage. «Il n’y a pas de raison de construire des parcs solaires en pleine nature tant qu’il y a un grand potentiel d’économie d’énergie et de production d’électricité photovoltaïque sur les bâtiments et les infrastructures», affirme-t-il.

Et d’ajouter que les panneaux solaires installés sur les toits et les façades des bâtiments, le long des autoroutes et au-dessus des parkings produiraient suffisamment d’électricité, même en hiver. «Les arguments du changement climatique et de la sécurité de l’approvisionnement en électricité ne doivent pas servir d’excuse pour ne rien faire alors qu’il existe de meilleures alternatives».

Le combat contre les éoliennes se poursuivra

Charles Phillot et Antoinette de Weck craignent que la Loi sur l’électricité ne facilite la destruction des forêts de leur région. Mais il semble peu probable que les urnes leur donnent raison. Selon un premier sondage publié début mai, la loi serait acceptée à 75%.

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Quoi qu’il en soit, le combat des opposants contre les éoliennes et pour une plus grande implication de la population ne s’arrêtera pas le 9 juin. Paysage libre suisse a déjà lancé deux initiatives populaires: la première pour interdire les éoliennes dans les forêts et les pâturages forestiers, la seconde pour que les populations concernées par la construction d’éoliennes aient un droit de regard démocratique.

L’association a jusqu’à l’été prochain pour récolter les 100’000 signatures nécessaires à chaque initiative et convaincre le plus grand nombre que, comme elle l’écrit sur son site, «réduire les espaces verts pour protéger le climat est un non-sens».

Texte relu et vérifié par Samuel Jaberg, traduit de l’italien avec l’aide de DeepL/dbu

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