La mort de Kadhafi soulage tout le monde
«Enfin», «Ils l’ont eu !», «Happy end pour la Libye»: les titres de la presse suisse ce matin traduisent bien le soulagement de voir se terminer le règne sanglant du «guide» de Tripoli. Les experts auraient toutefois préféré le voir devant un tribunal.
«La mort du tyran», titrent ensemble le Tages-Anzeiger de Zurich et le Bund de Berne, pour qui la fin de Kadhafi signifie «la rédemption de la Libye». Et de rappeler que l’homme dont le règne a tant fait couler de sang a fini lui aussi dans une mare de sang. Plus radicale, La Liberté de Fribourg écrit que celui «qui voulait chasser son peuple comme des rats […] est mort dans un tunnel, comme un rat».
Le tabloïd romand Le Matin compare carrément Kadhafi à Hitler et Mussolini et prédit que sa sinistre mémoire subsistera «plus durablement que celles des dictateurs tunisien Ben Ali ou égyptien Moubarak, qui ont aussi dû laisser la place à des régimes, espère-t-on, plus démocratiques».
Il n’est pas un journal ce vendredi en Suisse qui ne salue la fin de Kadhafi, qualifié de «chien enragé du Proche-Orient» par le Landbote de Winterthour, ou de manière plus factuelle de «tyran qui a ruiné son pays» par la Neue Zürcher Zeitung. Un sentiment général face à cette mort (dont les circonstances exactes restent à préciser) que la Basler Zeitung résume bien en un seul mot: «enfin !»
L’impossible tribunal
Soulagé lui aussi, l’ancien otage suisse en Libye Rachid Hamdani s’est exprimé dès jeudi soir sur les ondes de la Radio Suisse Romande. «C’est sa fin, il l’a bien mérité, a-t-il dit. J’ai souffert d’une injustice qu’il avait lui-même conduite. Pour moi, sa mort est un soulagement». L’homme qui a été retenu plus d’une année à Tripoli aurait néanmoins préféré que le «Guide suprême» passe devant un tribunal.
Jean Ziegler va dans le même sens. «Je trouve bon qu’il ne puisse plus sévir», a-t-il dit au site 20minuten.ch. Pour l’avoir rencontré plusieurs fois (ce qu’il a dit regretter par la suite), le sociologue genevois sait que le dictateur déchu avait encore énormément d’argent et rêvait de créer son propre Etat dans le sud de la Libye, avec ses soldats touaregs.
«Cela aurait déstabilisé toute la région durant des années et menacé l’existence de la Libye», estime Jean Ziegler, qui aurait lui aussi espéré que Kadhafi soit jugé, de préférence par la Cour pénale internationale.
Interrogé par Le Temps, Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen, estime aussi que «pour la justice, un procès aurait été préférable». Il aurait notamment «aidé les Libyens à faire le deuil de l’ancien régime».
Toutefois, juge l’expert, la mort du dictateur arrange pas mal de monde, «elle met la Libye à l’abri du casse-tête incroyable d’un interminable procès qu’elle n’est pas à même d’assurer. Et cela arrange aussi les pays européens et les Etats-Unis, qui n’auraient certainement pas aimé laisser à Kadhafi une tribune pour dénoncer les relations douteuses qu’ils ont entretenues avec la Libye pendant des années».
Arnold Hottinger, ancien correspondant au Proche-Orient pour la radio et divers journaux alémaniques, se dit lui aussi soulagé et espère que le message sera assez clair pour les derniers soutiens de l’ancien régime, qui devraient déposer rapidement les armes. Il ne voit par ailleurs pas qui dans le clan Kadhafi oserait se réclamer de son héritage. Le colonel était trop détesté pour que son nom puisse encore faire recette.
S’exprimant dans la Berner Zeitung, Arnold Hottinger aurait lui aussi préféré voir le tyran passer devant un tribunal. De préférence un tribunal spécialisé dans les crimes de guerre, car selon lui, «un procès en Libye aurait été politiquement très difficile».
L’avenir incertain
Reste les questions sur l’avenir d’un pays qui sort de 42 ans de dictature et dont, comme le soulignent les quotidiens lémaniques 24 heures et La Tribune de Genève, il serait «absurde» d’attendre «qu’il adopte la démocratie à l’occidentale dans les six mois».
La révolution, pour La Liberté, reste «fragile». Pour qu’émerge une Libye nouvelle, il faudra «nettoyer le CNT, dont la majorité des cadres sont d’anciens suppôts de Kadhafi. Ils vendaient avant les vertus du Livre vert. Les voilà convertis en marchands de liberté, faisant miroiter des richesses en or noir à un Occident sans les bombes duquel le colonel n’aurait jamais quitté la scène».
«Le pays a des atouts, souligne Le Temps: une population jeune, urbaine, éduquée et des hydrocarbures en abondance, garants de généreux revenus. Mais la tentation des règlements de comptes, la soif de vengeance, le contrôle de ces mêmes richesses et les ambitions des islamistes seront autant de défis périlleux pour un pays totalement dépourvu d’institutions stables et de tradition étatique».
Révolution verte. Né en 1942, Mouammar Kadhafi a dirigé la Libye d’une main de fer de 1969 à 2011. Suite au coup d’état de 1969, il devient de facto le dirigeant de la Libye qu’il transforme en Jamahiriya («Etat des masses») théoriquement gouvernée par un système de démocratie directe.
Attentats. Il aura été l’un des dirigeants les plus longtemps en place en Libye. Son régime était à la fois l’un des plus répressifs et des plus corrompus du monde arable. Sur le plan international, il a milité pour le panarabisme et le panafricanisme, n’hésitant pas à financer des actions terroristes, comme les attentats de Lockerbie en 1988 et contre le vol 772 UTA en 1989, qui ont fait 440 morts.
Soulèvement. En février 2011, suite aux révolutions tunisienne et égyptienne, la contestation prend à son tour forme en Libye. Elle sera soutenue par des frappes de l’OTAN. Après la prise de Tripoli par les rebelles en août 2011 et l’arrivée au pouvoir du Conseil national de transition (CNT), il prend la fuite.
Abattu. Depuis la fin juin, Mouammar Kadhafi était sous le coup d’un mandat d’arrêt international pour crimes contre l’humanité. Il a finalement été tué le 20 octobre 2011 près de sa ville natale de Syrte.
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