La politique des «quatre piliers» en question
En matière de drogue, la Suisse a instauré une politique innovante dite des «quatre piliers». Mais le peuple doit confirmer ce choix dans les urnes le 30 novembre.
A la fin des années 80, la Suisse était confrontée à une situation dramatique en matière de stupéfiants. Tout le monde se souvient des scènes ouvertes de la drogue, le cas le plus fameux étant celui de Zurich. Ces images, où l’on voyait des concentrations de drogués dans des espaces publics, avaient à l’époque fait le tour du monde.
Force était de constater que les mesures prises pour enrayer le phénomène se soldaient par un échec. C’est la raison pour laquelle la Suisse s’est alors engagée dans une nouvelle voie.
Quatre piliers
Les autorités ont réagi en mettant sur pied une politique de la drogue innovante se basant sur quatre piliers.
Premier pilier: de la prévention pour éviter la consommation de drogue. Deuxième pilier: la répression et le contrôle pour lutter contre de trafic de stupéfiants. Troisième pilier: la réduction des risques et l’aide à la survie des personnes fortement dépendantes. Quatrième pilier, enfin, la thérapie et la réinsertion des drogués.
Cette politique, qui prend en compte tous les aspects du problème de la drogue, a connu un certain succès. Des pays étrangers, l’Iran par exemple, se sont d’ailleurs intéressés de près à ce modèle.
Pas une révolution
Cette politique des quatre piliers aurait pu être inscrite dans la loi en 2004 déjà. Mais les parlementaires ont refusé la révision de la Loi sur les stupéfiants, car celle-ci prévoyait une libéralisation de la consommation de cannabis.
Suite à cet échec, le Parlement s’est à nouveau penché sur une nouvelle révision de la Loi sur les stupéfiants. Pour éviter un nouveau refus, cette nouvelle mouture évite soigneusement les points qui fâchent et constitue une solution de compromis autour des points sur lesquels tout le monde – ou presque – est d’accord.
Il n’est ainsi plus question du tout d’une libéralisation en matière de cannabis. Tout au plus les parlementaires ont-ils accepté un peu plus de flexibilité pour son usage médical.
La nouvelle loi améliore aussi le rôle de coordination de la Confédération, par exemple en matière de programmes nationaux de prévention, et détermine mieux la répartition des rôles entre Confédération et cantons en matière de drogue.
Enfin, et surtout, la nouvelle mouture ancre dans la loi le principe de la politique des quatre piliers.
Question de l’abstinence
Cette recherche de compromis n’a pas empêché l’Union démocratique fédérale (UDF / droite religieuse) de lancer le référendum. Ce qui heurte surtout les opposants, c’est que la loi ne pose pas clairement la question de l’abstinence.
«Au lieu de faire une loi qui affirme le principe selon lequel l’objectif visé est l’abstinence en matière de drogue, cette abstinence n’est vue que comme un but subsidiaire, ce qui constitue un très mauvais message pour les jeunes», explique le député libéral Claude Ruey.
Cette argumentation ne convainc pas les partisans de la nouvelle loi. «On peut bien prôner l’abstinence, mais on sait très bien que des drogues ont existé dans toutes les sociétés depuis la nuit des temps; il faut regarder la réalité en face et faire en sorte que les jeunes ne tombent pas dans cette dépendance, ce que permet cette loi», rétorque la députée socialiste Maria Roth-Bernasconi.
Pour cette dernière, la nouvelle loi va dans la bonne direction. Elle permet en effet de coller à la réalité du terrain et ne vise pas des objectifs impossibles à atteindre. De plus, la politique des quatre piliers a déjà montré son efficacité.
Cette efficacité n’est cependant pas évidente aux yeux des opposants à la loi. Malgré plus de 15 ans de mise en pratique, cette politique des quatre piliers n’a en effet pas fait disparaître la toxicomanie. «Cette loi ne fait que confirmer 20 ans d’errance de la politique de la drogue en Suisse», conclut Claude Ruey.
swissinfo, Olivier Pauchard
La politique des quatre piliers permet de distribuer de l’héroïne sous contrôle médical, afin de soulager les toxicomanes les plus dépendants.
Cette pratique a notamment l’avantage de diminuer les risques sanitaires (infections par les seringues) et d’éviter que les toxicomanes ne commettent des délits pour se procurer leur drogue.
La prescription médicale d’héroïne a été acceptée par le peuple suisse en 1999, mais cette autorisation n’était valable que pour une période de dix ans. Il est donc nécessaire que le peuple accepte la nouvelle Loi fédérale sur les stupéfiants pour que cette expérience se poursuive.
Cette question de la prescription médicale d’héroïne est sensible. Les opposants évoquent d’ailleurs souvent ce point pour dénoncer le laxisme de la nouvelle loi.
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