La responsabilité des entreprises suisses relancée sous l’impulsion de l’UE
Les compagnies siégeant en Suisse et qui commercent à travers le monde se doivent de respecter les droits humains et normes environnementales. Une initiative qui sera lancée en janvier réactive le débat alors que la Suisse doit s’adapter à la législation européenne.
En mai dernier, le Parlement européen a entériné une loi contraignant les entreprises d’une certaine taille, mais également leurs fournisseurs, à prévenir toute violation des droits humains et tous dommages environnementaux dans leurs chaînes d’approvisionnement. En outre, ces entreprises doivent expliquer comment elles comptent s’y prendre pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. En cas d’infraction, une autorité de surveillance indépendante peut dicter des sanctions.
Voilà qui correspond peu ou prou au message contenu dans l’initiative pour des multinationales responsables sur laquelle la population suisse avait dû se prononcer en novembre 2020. Si 50,7% du corps électoral avait accepté ce texte, une majorité des cantons l’avait refusé alors qu’un double oui était nécessaire. Seuls quelques milliers de voix avaient fait pencher la balance.
Arguant que la Suisse avait davantage intérêt à tabler sur une approche «concertée au niveau international» qu’à faire cavalier seul dans ce dossier, le Conseil fédéral avait rejeté cette initiative. Mais il avait fait alors la promesse que la Suisse allait s’aligner sur la réglementation européenne. Or la nouvelle directive de l’UE sur le devoir de diligence des entreprises y répond précisément.
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Une coalition s’organise
«Sans des réglementations efficaces, la Suisse sera bientôt le seul pays en Europe avec des entreprises sans responsabilité», tonne Dominique de Buman. L’ancien conseiller national fribourgeois est à la tête d’une coalition regroupant des représentants et représentantes d’ONG et du monde politique dont l’objectif est de placer, comme il y a quatre ans, les multinationales devant leurs responsabilités.
Selon ses membres, la loi suisse ne va aujourd’hui pas assez loin. Dès lors, elle demande a minima aux entreprises suisses, lorsque celles-ci achètent des matières premières, d’être en mesure d’ identifier et d’annoncer tout risque lié au travail des enfants ou inhérent à l’extraction de minerais en zones de conflit. Pour l’ancien parlementaire centriste, la réglementation en cours n’a aucun poids sans appliquer des sanctions. «La Suisse doit suivre le mouvement, sans quoi elle pourrait se laisser distancer au niveau international», prévient-il.
L’initiative qui sera lancée le 7 janvier obligerait les multinationales à s’engager. Le comité qui la soutient vise les 100’000 paraphes en un mois, alors que 18 mois sont accordés. Voilà qui peut mettre le gouvernement suisse sous pression, d’autant qu’il doit bientôt se prononcer sur le sujet.
Mais les chances d’aboutir sont cette fois plus grandes qu’il y a quatre ans, des multinationales ayant montré quelques manquements. Les exemples abondent. Ici, un pesticide d’un grand groupe d’agro empoisonne l’eau potable au Costa Rica. Là, une multinationale active dans les matières premières défriche la forêt tropicale à Bornéo pour le charbon. Ou une raffinerie achète de l’or dans une mine en Éthiopie. Avec à chaque fois des conséquences pour la santé des populations locales.
Initiative ou appel?
Environ 150 personnalités du monde politique et entrepreneurial ont signé aussi, dans le cadre de cette coalition, un «Appel pour une responsabilité des multinationales alignée sur le niveau international». Parmi les signataires, des élus et des élues du camp bourgeois hostiles au texte en 2020.
«Après la décision prise par l’UE, la situation de départ a fondamentalement changé», a relevé dans un communiqué l’ancienne conseillère nationale libérale-radicale (PLR, droite bourgeoise), Doris Fiala. «L’argument du Conseil fédéral selon lequel une loi suisse ad hoc nous laisserait à la traîne économiquement en nous empêchant d’être compétitifs n’est plus défendable», selon elle.
Même au sein de l’organisation faîtière des entreprises, Economiesuisse, souvent rétive aux règles en provenance de Bruxelles, l’appel a ses partisans. Personnifiée par la conseillère nationale Elisabeth Schneider-Schneiter, membre du comité directeur de cette coalition comme Dominique de Buman. La centriste a déclaré dans une interview au journal NZZ am Sonntag que «nous devrions mettre en oeuvre les directives de l’UE en douceur. Les entreprises pourront vivre avec».
De façon générale, cette loi qui s’occupe des chaînes d’approvisionnement concerne de fait déjà la Suisse. Et au premier rang, les entreprises suisses qui brassent plus de 450 millions d’euros par année dans l’Union européenne. D’autre part, un nombre conséquent de petites et moyennes entreprises (PME) établies en Suisse et distribuant leurs produits à des sociétés établies dans l’UE ont un rôle dans ces chaînes. Diligentée par le Secrétariat d’État suisse à l’économie (SECO), une étude de 2023 prédit que jusqu’à 50’000 PME pourraient être assujetties à un effet de cascade.
Bruxelles réglemente, Berne suit
Contrairement aux grands groupes qui jugent la relance de cette initiative avec scepticisme, nombre de PME demandent, elles, plus de stabilité et des règles plus unifiées. Quelque 600 entreprises suisses ont déjà rejoint l’Alliance pour les entreprises durables créée en 2023.
Celle-ci demande un statut juridique particulier pour les PME qui sont certifiées «durables», respectant les normes sur les conditions de travail, déchets et émissions de CO2. Avec ce statut, elles n’auraient plus besoin d’aller quêter des certificats d’honorabilité dans le privé par exemple.
Pour Jonathan Normand, de la fondation B Lab et porte-parole de cette Alliance, «de nombreuses PME peinent à savoir actuellement ce qu’elles doivent faire pour pouvoir continuer d’exporter en Europe», principal partenaire de la Suisse. «Elles ont besoin de clarté pour rester compétitives».
Cette exigence a été portée en septembre dernier au parlement fédéral par 84 responsables d’entreprises qui ont adressé une lettre aux parlementaires du Conseil national, les enjoignant de les soutenir pour s’adapter aux exigences de la durabilité. Patrick Semadeni, patron du groupe Semadeni Industry Group actif dans les matières plastiques, a été l’un de ces signataires. «La durabilité n’est pas une option pour les PME, mais une nécessité depuis longtemps. Cette perspective doit être prise en compte urgemment dans le débat politique», déclare-t-il.
Dans le prolongement de cette missive, un postulat du conseiller aux États PLR Josef Dittli a été adopté. Ce dernier demande au Conseil fédéral d’étudier les effets des directives européennes sur les PME en matière de développement durable. Un rapport et des actions sont annoncés en 2025.
Texte relu et vérifié par Balz Rigendinger, traduit de l’allemand par Alain Meyer/dbu
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