La Suisse a aussi sa droite religieuse
Si l'UDC (droite conservatrice) est à la pointe de la campagne en vue de la votation sur les minarets, un autre parti – beaucoup moins connu – y est également très actif: l'Union démocratique fédérale (UDF / droite chrétienne). Présentation avec le politologue Hans Hirter.
La plupart des personnalités qui défendent l’initiative populaire visant à interdire la construction de minarets proviennent de l’UDC. Avec en tête d’affiche les députés Oskar Freysinger en Suisse romande et Ulrich Schlüer en Suisse alémanique.
Ce que le public sait moins, c’est qu’un autre parti fait également campagne, l’UDF. Plus encore, cette formation politique est même à l’origine de cette initiative.
Pourtant, le public ne connaît que très peu ce parti. Pour en savoir plus, swissinfo.ch s’est entretenu avec Hans Hirter, politologue à l’Université de Berne et auteur de l’article du Dictionnaire historique de la Suisse consacré à l’UDF.
swissinfo.ch: Comment expliquer que l’UDF soit si peu connue du grand public?
Hans Hirter: Tout d’abord parce que c’est un petit parti qui n’a même pas réalisé 2% des voix lors des dernières élections fédérales, même s’il se présentait dans une quinzaine de cantons.
De plus, il s’agit également d’un parti assez nouveau, puisqu’il n’existe que depuis 1975.
swissinfo.ch: Il y a tout de même des régions où l’UDF est davantage présente.
H. H. : Là où l’UDF est forte, c’est en principe dans le canton de Berne – où elle obtient plus de 4% des suffrages – ainsi que dans les cantons de Zurich, Thurgovie et Argovie.
Ce qui est caractéristique, c’est que ce sont des cantons majoritairement protestants. Ce parti vit spécialement bien dans les régions conservatrices protestantes, surtout là où une bonne partie de la population est membre des Eglises libres, c’est-à-dire de groupes évangéliques indépendants du protestantisme officiel.
swissinfo.ch: Comment est né ce parti?
H. H. : Il s’agit d’un amalgame. D’un côté, il y avait des gens qui venaient des Républicains, c’est-à-dire le parti xénophobe des années 1960 de James Schwarzenbach. Outre le côté xénophobe, les Républicains ont toujours été très conservateurs.
D’autre part, il y avait aussi – surtout dans le canton de Berne – des gens qui venaient du Parti évangélique et qui trouvaient que celui-ci était trop au centre, voire à gauche, notamment dans les domaines de l’environnement et du social.
Certains membres très conservateurs de ce Parti évangélique se sont donc réunis avec les Républicains pour fonder l’UDF.
swissinfo.ch: Peut-on dire qu’il s’agit d’un parti fondamentaliste au niveau religieux?
H. H. : Dans une certaine mesure oui, puisque dans toutes ses publications, l’UDF dit que le fondement de sa politique est la Bible. La Bible n’est pas à interpréter, mais doit être prise au pied de la lettre, et c’est d’elle que découlent toutes ses directives politiques.
swissinfo.ch: Est-ce un parti que l’on peut qualifier de clairement à droite?
H. H. : Pas tout à fait, car sur certaines questions, l’UDF est même proche de la position des syndicats. Je pense par exemple à la question de l’ouverture des commerces le dimanche. Comme la gauche, ce parti est également opposé aux aliments génétiquement modifiés.
Cela signifie que sur certaines questions, l’UDF n’a pas peur de se rallier à la gauche. Mais en général, il reste bien clair qu’il s’agit d’un parti conservateur en ce qui concerne l’ordre économique du pays.
swissinfo.ch: Plusieurs partis se réclament du christianisme. Quelle différence essentielle et quelles similitudes entre ceux-ci et l’UDF?
H. H. : Les chrétiens-sociaux (gauche) et les démocrates-chrétiens (centre-droit) sont des partis en majorité très fortement influencés par le catholicisme et les idées sociales du catholicisme. En revanche, l’UDF est à 100% protestante.
Il y a tout de même des similitudes, par exemple dans la politique familiale où tous ces partis sont très proches. Pour eux, la famille est le centre de la société; elle doit être protégée et même promue par l’Etat.
swissinfo.ch: L’UDF peut-être s’agrandir ou est-elle vouée à rester une toute petite formation?
H. H. : Un développement n’est guère envisageable, car beaucoup des ses idées conservatrices sont déjà défendues par l’UDC. C’est une concurrence presque imbattable.
Ensuite, l’UDF est trop liée à un évangélisme qui, en Suisse, ne peut faire force que dans certaines régions protestantes. Elle n’a presque aucune chance dans les villes et les agglomérations.
swissinfo.ch: Que pensez-vous de l’action de l’UDF contre les minarets?
H. H. : Je ne crois pas qu’il s’agisse de populisme afin de gagner des élections. Sur ce point, l’UDF diffère donc de l’UDC.
L’UDF croit réellement que l’islam représente une menace. On le voit dans ses positions. Ce parti défend par exemple très fortement l’Etat d’Israël.
swissinfo.ch: Les Eglises officielles sont hostiles à l’interdiction des minarets. L’UDF se singularise donc là aussi.
H. H. : Oui, mais cela s’explique par sa base. Ses adhérents ne font en effet partie ni de l’Eglise catholique ni des Eglises protestantes officielles, mais de petits groupes évangéliques libres qui sont indépendants de toute organisation nationale.
Olivier Pauchard, swissinfo.ch
L’Union démocratique fédérale a été fondée en 1975.
Elle est le fruit du rapprochement entre les Républicains – mouvement xénophobe des années 1960 – et de dissidents du Parti évangélique.
Au Parlement, l’UDF ne compte qu’un seul élu, le député bernois Andreas Brönnimann.
L’UDF fait partie du groupe parlementaire de l’Union démocratique du centre.
L’initiative populaire lancée par l’UDC demande que la construction de minarets soit désormais interdite en Suisse.
Le peuple doit se prononcer sur cette question le 29 novembre.
Il existe actuellement quatre minarets en Suisse. Ils se trouvent à Genève, Zurich, Wangen (Soleure) et Winterthur (Zurich).
Un cinquième a reçu une autorisation de construire à Langenthal (Berne).
Les minarets en fonction en Suisse sont silencieux. Décoratifs et symboliques, il ne servent pas à appeler les fidèles à la prière.
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