La Suisse fête le français… et le romand
La semaine de la francophonie a débuté le lundi 10 mars. Une belle occasion de revenir sur les différences frappantes qui existent entre la langue française en Suisse et en France. Reportage.
Alors que les Français ont tendance à trouver les helvétismes drôles, les Suisses en sont eux, paradoxalement, fiers et complexés à la fois.
«Ah bon, vous êtes Suisse! Mais vous n’avez pas d’accent?!», voilà la première réaction des Parisiens lorsqu’ils découvrent notre nationalité. S’ensuit l’inévitable imitation du soit disant accent, celui du skieur à la combinaison orange de la pub Ovomaltine: «C’est de la dynamite!»
Dans les années nonante (pardon, quatre-vingt-dix), cette publicité, diffusée dans toutes les salles de cinéma, a convaincu la très grande majorité des Français que les Helvètes parlent tous de cette manière: traînante et un peu chantante. Une idée fausse car il y a autant d’accents que de cantons romands. Demandez donc à un Genevois s’il parle comme un Vaudois ou un Neuchâtelois, la réponse outrée ne se fera pas attendre.
Le septante et le huitante
Par contre, les Suisses n’ont conscience que d’une petite minorité de leurs expressions: le septante et le huitante, le cornet de la Migros, la panosse… «Chaque semaine j’en découvre de nouveaux: le ‘croque’ pour dire la ‘morce’; garer la voiture au lieu de la parquer; ‘guigner’ n’existe pas en France», raconte Lucie Marcoz, une Valaisanne venue étudier à Paris, il y a deux ans. «Le pire, ça a été la ‘fourre de duvet’. Les Français appellent ça une ‘housse de couette’, et pour eux, ‘fourrer’ signifie ‘baiser’! Mes amis en rigolent encore».
Trop souvent, les Français donnent l’impression de mépriser ceux qui parlent différemment. «Il y a un vrai manque de tolérance de la part des Français», reconnaît Jade Lafragette, une Versaillaise installée à Genève depuis dix ans. En Suisse, c’est possible de ne pas faire d’efforts pour parler comme les locaux, on est compris et personne ne relève la gaffe. Dans un supermarché de Villacoublay [en région parisienne], par contre, il faut s’adapter: ils ne comprennent pas ‘nonante-cinq centimes’».
Littérature, rap et statalismes
Notre patrimoine ne s’arrête pas aux réalités de la vie quotidienne. Il suffit d’allumer la télévision ou d’ouvrir les journaux pour entendre parler de ‘relations intercantonales’, ou d »initiative’.
Des mots que nos voisins français pensent comprendre sans pour autant en saisir la portée politique. ‘Votation’, par exemple, semble transparent. Nos voisins sont persuadés qu’il signifie ‘élections’ et s’empressent d’ajouter «ça ne se dit pas comme ça en français.» Alors que le terme est correct en Suisse, et qu’il correspond notamment à un référendum en France…
Ces mots, symboles de notre démocratie directe, sont ce que les linguistes appellent des «statalismes»: des termes développés par chaque nation pour décrire son système politique et administratif.
Ces particularismes nourrissent aussi une plume suisse à travers la littérature et la musique. «Peut-être bien qu’il va chotter [arrêter de pleuvoir], tu ne pourrais pas marcher un peu, on va bientôt être à la maison ?», écrivait Charles-Ferdinand Ramuz, en 1953.
Malgré la globalisation et des générations nourries au Club Dorothée, les helvétismes ont la vie dure. Même les rappeurs lausannois de Sens Unik utilisent le vocabulaire local: «Il a appris, il s’en est sorti / Aujourd’hui son argent remplit les crousies [tirelires] de ce pays». Le suisse romand se porte bien, loin de statut de «français de seconde zone» que lui accorde Paris.
Souper contre petit-déjeuner
La Belgique et le Québec, aussi membres de la «périphérie francophone», souffrent des mêmes préjugés. Prenons le cas des noms de repas: dans les trois pays, ils se nomment ‘déjeuner, dîner, souper’ … comme en France jusqu’au début du 19ème siècle.
Depuis, comme les Parisiens mangeaient de plus en plus tard, les repas se sont décalés et une nouvelle collation est apparue: le petit déjeuner. Un nouveau mot qui ne s’imposa qu’en France métropolitaine: les Suisses, les Belges et les Québécois ont conservé l’ancien usage. Voilà ce que les linguistes appellent un archaïsme.
«Pourquoi la France définit-elle ce qui est archaïque?», s’interroge André Thibault, auteur du Dictionnaire Suisse Romand. Selon lui, le terme ne devrait pas exister: «Quand il y a une innovation sémantique au Québec, personne ne se demande pourquoi Paris n’a pas suivi… alors que du point de vue du Canada, ce devrait être un archaïsme d’avoir gardé l’ancien mot. C’est juste une question de point de vue.»
Toujours est-il que Paris sait se réapproprier les créations linguistiques qui l’intéressent. Exemple: le ‘ferroutage’. Ce néologisme a été inventé par deux ingénieurs suisses pour désigner cette nouvelle forme de transport qui allie trains et camions. Une telle récupération des expressions romandes se fait plutôt rare aujourd’hui, mais elle n’est pas nouvelle.
Jean-Jacques Rousseau, un écrivain suisse
Comme les habitudes gastronomiques, les mots voyagent … ‘Fondue’ et ‘raclette’ font partie depuis longtemps des dictionnaires parisiens comme des classiques de la cuisine française. Dernière arrivée culinaire dans les dicos: le ‘rösti’, présent depuis peu dans les rayons des supermarchés de la capitale.
Mais la langue de Ramuz et de Chappaz a offert des mots bien plus poétiques à la langue de Molière: au dix-huitième siècle, quand la France découvre la montagne, c’est la Suisse qui fournit le vocabulaire. C’est ainsi qu’en 1761, le ‘chalet’ entre dans la langue française grâce à la «Nouvelle Héloïse» de Jean-Jacques Rousseau.
swissinfo, Miyuki Droz Aramaki, Paris
La 13e semaine de la langue française et de la francophonie (10 mars – 20 mars) a pour thème la découverte des français parlés en Amérique (le québécois, l’acadien, le français de Haïti et des Antilles etc.)
Une soixantaine de manifestations sont proposées en Suisse.
Le français fait son apparition en Suisse au 15ème siècle, à travers les livres. Il cohabite pendant plusieurs siècles avec les patois locaux.
En France, après la Révolution, la langue devient le nouveau symbole de l’identité nationale, à la place du roi. Les régionalismes sont alors pourchassés.
Dans la foulée, la Suisse mène une politique anti-patois, sous prétexte que le patois empêche les enfants d’apprendre le français correctement.
Aujourd’hui, 90% de la langue française est commune à toutes les régions francophones.
1,5 millions de Suisses romands parlent français.
Il n’y a plus qu’un seul village où les enfants apprennent le patois: Evolène, dans le canton du Valais.
Les emprunts aux langues voisines (allemand en Suisse ou en Alsace, flamand en Belgique et anglais au Québec). Exemples : le ‘witz’, importé tel quel. ‘Je te tiens les pouces’, traduit mot à mot.
Les emprunts aux patois, parfois différents d’un canton à l’autre. Exemples : le ’boutefas’. L’usage du verbe ‘donner’ pour ‘produire’: ‘les vignes donnent bien, cette année’.
Les archaïsmes, termes auparavant communs à toute la francophonie, mais qui ont changé en France. Exemple: ‘déjeuner, dîner, souper’.
Les innovations, sous forme de création d’un nouveau mot ou d’un nouveau sens. Exemples: le ‘boguet’ (vélomoteur). Le ‘cornet’, pour signifier ‘sac’.
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