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La Suisse veut désamorcer la crise avec la Libye

Mouammar Kadhafi, ici lors d'une visite officielle en Egypte cet été, est très prompt à protéger son clan. Reuters

L'inculpation de l'un des fils du colonel Mouammar Kadhafi et de son épouse la semaine dernière à Genève a provoqué «des mesures de rétorsion préoccupantes» en Libye, a dénoncé mercredi le ministère suisse des affaires étrangères.

Les liaisons aériennes entre Tripoli et la Suisse ont par exemple été réduites. Par ailleurs, deux employés de groupes suisses sont en garde à vue en Libye depuis samedi dernier. L’un d’entre eux travaille pour le groupe industriel ABB.

Les bureaux d’un certain nombre d’entreprises helvétiques ont en outre été mis sous scellés et d’autres semblent sur le point d’être fermés. Le responsable du bureau de représentation de Nestlé, d’origine égyptienne, a par exemple été interrogé par la police durant quelques heures, selon le porte-parole de la multinationale vaudoise.

Sur le plan diplomatique, la Libye a suspendu l’octroi de visas pour les ressortissants suisses. Elle a également rappelé son chargé d’affaires à Berne. En l’absence de l’ambassadeur, il est l’interlocuteur des autorités fédérales.

Empêcher l’escalade

Le porte-parole du Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE) Jean-Philippe Jeannerat, a indiqué mercredi que la cheffe de la diplomatie helvétique Micheline Calmy-Rey avait suivi la situation en temps réel depuis la semaine dernière. Elle a interrompu ses vacances mercredi pour rejoindre Berne.

Mardi, Micheline Calmy-Rey a fait part de «sa ferme protestation et de sa vive préoccupation face à ces développements» par téléphone à son homologue libyen Abderrahman Shalgan.

Selon le DFAE, elle a aussi exprimé le souhait de la Suisse d’éviter toute escalade et de maintenir de bonnes relations entre les deux pays. D’entente avec le ministre libyen, il a été convenu de régler la situation de façon à prévenir les complications.

Une mission suisse à Tripoli

Afin de «prévenir une crise», la Suisse a dépêché une délégation diplomatique à Tripoli. Selon le porte-parole du DFAE, des discussions seront menées avec les autorités au plus haut niveau. Dirigée par l’ambassadeur Pierre Helg, cette mission doit tenter d’obtenir la libération des deux Suisses placés en garde à vue et empêcher d’éventuelles sanctions économiques.

En Suisse, une cellule de crise interdépartementale a été mise sur pied. Elle est dirigée par l’ambassadeur Markus Boerlin, chef de la division politique VI des Suisses de l’étranger.

Directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen, Hasni Abidi a jugé sur les ondes de la Radio romande qu’il était «très important» d’entamer des démarches diplomatiques auprès de la Libye.

«Il s’agit surtout d’un baroud d’honneur de la part de la famille Kadhaffi, qui a perçu les péripéties de son fils comme une humiliation», a-t-il expliqué, estimant qu’«il y a plusieurs lignes rouges que le régime libyen ne pourra pas franchir».

Eviter la Libye pour l’instant

Par mesure de précaution, le DFAE recommande toutefois aux citoyens suisses de renoncer jusqu’à nouvel avis à tout déplacement à destination de la Libye. L’ambassade de Suisse sur place précise que plus d’une quarantaine de Suisses résident dans ce pays, la plupart étant binationaux.

«Il n’y a pour l’instant pas de plan en vue d’une évacuation de ces personnes de Libye. Nous sommes néanmoins en contact étroit avec les citoyens suisses sur place», a rassuré Jean-Philippe Jeannerat.

Selon un sondage auprès des agences de voyage Kuoni, Hotelplan, TUI Suisse et Globetrotter, il n’y a aucun touriste suisse sur place.

Pas de pénurie de pétrole

A Tripoli, l’ambassadeur de Suisse en Libye Daniel von Muralt a reçu dans l’après-midi une délégation de manifestants qui s’étaient rassemblés devant la représentation helvétique. Aucun désordre n’a cependant été signalé.

Selon Jean-Philippe Jeannerat, la Suisse n’envisage pas pour l’heure pas de raison de prendre des mesures de rétorsion contre Tripoli. Pour sa part, Markus Boerlin a admis ne pas se souvenir de décisions comparables d’un pays contre la Suisse ces dernières années.

Ce conflit diplomatique avec la Libye pose la question d’éventuelles représailles économiques. Même si plus de la moitié du pétrole suisse provient de ce pays, les experts ne craignent pas de pénurie en cas d’interruption des livraisons. «L’approvisionnement de la Suisse peut être adapté en quelques jours», a par exemple relevé Rolf Hartl, directeur de l’Union pétrolière suisse.

Un précédent

Pour mémoire, ce n’est pas la première fois qu’un des fils du colonel Mouammar Kadhafi est à l’origine de tensions diplomatiques entre la Suisse et la Libye.

Le 12 novembre 1997, Tripoli avait interdit aux citoyens suisses l’accès à son territoire. Cette mesure faisait suite au refus d’un visa à un fils du «guide de la révolution» qui voulait étudier à Genève.

La délivrance de visas suisses à des citoyens libyens avait alors été limitée à des raisons humanitaires. Le conflit avait été résolu en avril 1998. La Libye avait alors levé son interdiction et la Suisse était revenue à la pratique antérieure en matière de visas.

swissinfo et les agences

Le fils cadet du colonel Kadhafi, qui se fait appeler Hannibal, et son épouse ont été arrêtés le mardi 15 juillet dans un hôtel à Genève.

La police est intervenue après avoir été alertée par des employés de l’hôtel, révoltés par l’attitude des Kadhafi à l’égard de deux de leurs domestiques.

Ils ont été inculpés le lendemain pour lésions corporelles simples, menaces et contrainte.

Deux de leurs domestiques, une Tunisienne employée depuis un mois et un Marocain à leur service depuis cinq ans, ont déposé plainte.

Après deux jours de détention, les époux Kadhafi ont été libérés suite au versement d’une caution d’un demi million de francs.

Libres de leurs mouvements, ils ont quitté Genève. Ils se sont engagés implicitement à se présenter aux audiences d’instruction.

La Libye est le deuxième partenaire commercial de la Suisse sur le continent africain, derrière l’Afrique du Sud. Elle pèse près de 2 milliards de francs.

Elle est son principal fournisseur de pétrole brut.

En 2006, 48,8% des importations helvétiques de pétrole brut provenaient de Libye, selon les données du Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco), ce qui représente un sixième des besoins du pays en or noir.

La balance commerciale entre les deux pays penche nettement en faveur de la Libye.

En raison du pétrole, les importations se montaient à 1,677 milliard de francs en 2006 alors que les exportations suisses vers la Libye ne représentaient que 240 millions de francs.

La Libye achète surtout des machines, des produits pharmaceutiques et des produits agricoles helvétiques.

A fin 2007, les fonds libyens déposés dans les banques suisses se montaient à 5,784 milliards de francs, selon les statistiques de la Banque nationale suisse (BNS).

Selon la statistique 2007 de la Banque nationale suisse, l’argent libyen déposé dans des établissements bancaires helvétiques se monte à 5,78 milliards de francs.

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