La Suisse veut préserver ses exportations d’armes
Le Conseil fédéral (gouvernement) recommande le rejet de l'initiative contre les exportations de matériel de guerre. A la suite de plusieurs polémiques et sous la pression du Parlement, il a néanmoins fixé des critères plus stricts en la matière.
Signé par plus de 109’000 citoyens suisses, le texte du Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA) avait été déposé en septembre 2007. Il a bénéficié du soutien de plus de 35 organisations, du parti socialiste et des Verts.
Mercredi, le Conseil fédéral (gouvernement) a appelé au rejet de cette initiative qui demande l’introduction dans la Constitution fédérale de l’interdiction des exportations et du transit du matériel militaire.
«Chaque guerre est atroce et doit être empêchée par tous les moyens, mais l’initiative populaire ‘Pour l’interdiction d’exporter du matériel de guerre’ n’est pas le moyen adéquat», a déclaré la ministre de l’économie Doris Leuthard en présentant son message au Parlement.
Milliers d’emplois menacés
Pour étayer son refus, le gouvernement a évoqué les menaces que ce texte ferait peser sur l’emploi s’il était accepté. RUAG (le groupe d’armement détenu à part entière par la Confédération, ndlr.) vend deux tiers de ses produits à l’étranger, a rappelé Doris Leuthard. «Sans ces débouchés, l’industrie de l’armement devra fermer boutique ou délocaliser», a-t-elle affirmé.
Selon elle, plus de 5100 emplois seraient menacés, un chiffre qui pourrait même être multiplié par deux en tenant compte de l’interdiction concernant les biens civils. Les cantons les plus concernés seraient ceux de Nidwald, Zurich, Thurgovie, Berne et Lucerne.
Prévu par l’initiative, le soutien aux régions économiquement touchées devrait être assuré par la Confédération pour une durée maximale de dix ans. «Cela pourrait coûter plus de 500 millions de francs», a souligné la ministre. Enfin, si une crise ou un conflit devait éclater, la Suisse ne pourrait plus assumer sa défense, faute d’industrie indigène, a-t-elle ajouté
Nouveaux critères pour l’exportation
Fort de ces arguments, le Conseil fédéral estime qu’il n’est pas nécessaire d’opposer un contre-projet au texte du GSsA. D’après lui, les mesures déjà prises suffisent à éviter des exportations sujettes à controverse.
A la suite de plusieurs polémiques et sous la pression du Parlement, le Conseil fédéral a toutefois revu l’ordonnance sur le matériel de guerre. Cinq nouveaux critères d’exclusion ont été ajoutés. Si l’un d’eux est rempli, l’octroi d’une autorisation d’exportation est absolument interdite.
Ce sera le cas si le pays de destination est impliqué dans un conflit armé interne ou international ou s’il viole systématiquement et gravement les droits de l’homme. Pas de vente non plus aux Etats les moins avancés parmi les bénéficiaires de l’aide publique au développement ainsi que s’il y a de forts risques que les armes soient utilisées contre la population civile ou transmises à un destinataire final non souhaité.
Pressée de questions sur l’application de ces critères à des pays comme les Etats-Unis, Israël ou encore le Pakistan, la ministre de l’Economie est restée vague. «Chaque demande sera étudiée au cas par cas, par trois départements fédéraux, en se basant sur les standards internationaux», a indiqué Doris Leuthard. Précisant que la pratique de la Suisse était «déjà restrictive», elle a cependant admis qu’elle ne changerait pas beaucoup.
Plus
Initiative populaire
Le GSsA critique
Pour sa part, le GSsA se montre très critique quant à ces nouvelles restrictions. Le groupe estime qu’il s’agit là d’un «durcissement de façade» et que les exportations d’armement helvétique continueront d’être autorisées dans des Etats en guerre ou violant les droits de l’homme.
Pour le GSsA, l’initiative a abouti suite à une large critique de la pratique d’exportation actuelle. Or la révision de l’ordonnance ne fait pas justice à cette critique. A ses yeux,
l’argument des emplois menacés ne tient par ailleurs pas, comme le montre l’exemple de RUAG, qui a su développer continuellement son secteur d’activités civiles.
Tout autre son de cloche du côté de l’économie: l’Union suisse des arts et métiers (USAM) et economiesuisse relèvent que la règlementation actuelle est déjà sévère. Une interdiction complète nuirait à la capacité d’innovation en Suisse, selon ces deux organisations.
Les Pilatus pas concernés
A noter que les fameux Pilatus – ces avions d’entraînement militaire qui peuvent aisément être transformés en appareils armés – ne sont pas concernés par ces nouveaux critères. Ils ne sont en effet pas soumis à l’ordonnance sur le matériel de guerre, mais à la loi sur le contrôle des biens.
Reste qu’après l’affaire qui a éclaté au début de cette année autour du PC-9 vendu au Tchad et vraisemblablement armé par ce pays, le gouvernement suisse a décidé de revoir également cette loi pour éviter les exportations controversées.
Concrètement, les exportations de ce type d’avions ne devraient plus être autorisées si l’Etat destinataire est en proie à un conflit armé interne ou international. L’interdiction s’imposerait aussi lorsque le risque existe que les avions soient utilisés contre la population civile.
swissinfo et les agences
L’an dernier, l’industrie helvétique a exporté pour 464 millions de francs de matériel de guerre.
Au premier semestre 2008, la Suisse a exporté pour 348 millions de francs de matériel de guerre. Le principal client a été le Pakistan.
En 2007, le groupe d’armement RUAG a réalisé un bénéfice net de 76 millions de francs, en hausse de 8,5% par rapport à l’année précédente.
Son chiffre d’affaire a quant à lui atteint 1,4 milliard.
L’armée suisse reste le plus grand client de RUAG.
L’initiative du Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA) concerne le matériel de guerre et les technologies destinées à fabriquer des armes.
Elle vise notamment à supprimer les exportations d’avions d’entraînement, comme le Pilatus, les armes de petit calibre et leurs munitions, mais aussi du matériel militaire obsolète qui n’est plus utilisé par les forces armées suisses.
L’interdiction toucherait également les biens immatériels, y compris les technologies revêtant une importance fondamentale pour le développement, la production ou l’utilisation des armements.
En revanche, l’exportation et le transit d’appareils destinés au déminage humanitaire ainsi que des armes de sport et de chasse ne seraient pas touchés.
Si l’initiative devait être acceptée, la Confédération devrait s’impliquer pour le désarmement et le contrôle des armes à l’échelle mondiale.
Par ailleurs, un soutien de dix ans est prévu pour les régions et les emplois touchés par les interdictions contenues dans le texte.
Pour mémoire, ce n’est pas la première fois que les mouvements pacifistes et la gauche tentent de mettre un frein aux exportations d’armes.
En 1997, une initiative similaire lancée par le Parti socialiste avait été rejetée par 77,5% des citoyens.
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