Le casse-tête des doubles noms de famille en Suisse
Le Parlement suisse semble prêt à autoriser à nouveau les couples à utiliser un double nom de famille, dix ans après avoir interdit cette pratique. Le sujet est toutefois âprement débattu.
Depuis dix ans, mon nom de famille est une anomalie en Suisse. J’ai un double nom – Davis et Plüss (anglicisé en Pluess) – sans trait d’union. Je me suis mariée en Suisse à l’époque où de telles combinaisons de noms étaient autorisées. Cela a changé en 2013. Les couples étaient libres de choisir leur propre nom de famille, mais les doubles noms n’étaient plus autorisés. À l’époque, cette mesure a été saluée comme un pas en avant vers l’égalité des sexes, car elle mettait le mari et la femme sur un pied d’égalité.
«L’égalité des époux en matière de nom et de droit de cité est en passe de devenir réalité», écrivait le gouvernement dans un communiqué de presseLien externe en 2012, annonçant la mise en œuvre de la loi.
Aujourd’hui, le Parlement semble prêt à changer à nouveau la règle. Lors de la dernière session parlementaire, le Conseil national s’est prononcé en faveur du retour des doubles noms de famille, mais a eu un débatLien externe houleux sur la manière de le faire et sur la question de savoir si les mêmes règles devaient s’appliquer aux enfants. Pourquoi tous ces allers-retours?
Explication sur le projet débattu au Parlement dans les Téléjournal de la RTS du 24 janvier 2024:
Un coup d’œil à la loi
À l’heure actuelle, les couples mariés ou les personnes ayant des enfants disposent d’options limitées en ce qui concerne le choix du nom de famille, conformément à la loi de 2013. Chaque personne peut conserver son propre nom ou prendre le nom de son partenaire comme nom de famille commun. Cela signifie, par exemple, que le nom de ma famille pourrait être Plüss (celui de mon mari) ou Davis (le mien).
Les doubles noms avec trait d’union peuvent être utilisés de manière informelle, mais ils n’apparaissent pas dans le registre d’état civil. C’est le cas de la ministre suisse des Finances Karin Keller-Sutter (Keller étant le nom de son mari).
L’initiative parlementaire en discussion sous la Coupole veut donner aux couples plus de liberté pour choisir un nom de famille simple ou double, avec ou sans trait d’union. Cette initiative a été présentée pour la première fois en 2017 et a depuis lors fait l’objet d’une série d’allers-retours entre les deux Chambres du Parlement et leurs commissions respectives.
Au cours de ce processus, plusieurs garde-fous ont été introduits. Par exemple, le projet de loi actuel suggère que si un double nom est choisi, tous les membres de la famille doivent choisir le même ordre. En d’autres termes, je ne pourrais pas décider d’être Davis Plüss et ma fille Plüss Davis. Ce n’est pas possible.
L’un des conjoints pourrait choisir de porter un double nom de famille et l’autre un nom de famille simple. Mais l’ordre du double nom de famille dépend de l’existence ou non d’un nom de famille commun, qui viendrait en premier.
La situation se complique encore lorsqu’il s’agit d’enfants. Par exemple, que se passe-t-il si les deux partenaires ont un double nom? Lequel est transmis à l’enfant? Que se passe-t-il si l’enfant se marie? Certains médias suisses ont calculé que, sur la base de la proposition actuelle, les parents pourraient choisir entre quatre et dix variantes de noms pour leurs enfants. La télévision publique alémanique SRF a même développé un outil interactifLien externe pour permettre aux couples d’essayer les différentes combinaisons.
La question de l’égalité
L’une des questions clefs au cœur du débat est de savoir dans quelle mesure les lois sur le nom peuvent et doivent faire progresser l’égalité. Avant la modification de la loi en 2013, les couples devaient porter un nom de famille commun – soit comme nom de famille unique, soit comme nom de famille double, ce qui était mon cas. Dans la plupart des cas, le nom du mari devenait le nom de famille par défaut.
La loi de 2013 a supprimé l’exigence d’un nom de famille commun et chaque personne peut conserver son propre nom de famille, mais les doubles noms ne sont plus autorisés. Cette mesure visait à donner aux femmes, en particulier, une plus grande liberté de garder leur propre nom.
Selon une prise de positionLien externe du gouvernement, il y avait moins d’intérêt à exprimer l’unité de la famille par un nom commun. La modification de la loi a cependant eu un résultat surprenant. La plupart des femmes ont continué à prendre le nom de leur mari, abandonnant le leur. En 2019, l’Office fédéral de la statistique indiquait que sept mariées sur dix prenaient le nom de leur époux. Une majorité d’enfants portent également le même nom que leur père.
Il y a un autre hic. Comme les doubles noms n’étaient pas autorisés, les couples ont été obligés de choisir entre le nom du mari et celui de la femme. Un choix difficile pour beaucoup de couples.
«Pour parler franchement, ils doivent soit faire le choix de leur individualité, soit exprimer leur appartenance à la famille», expliquaitLien externe Fleur Weibel dans les colonnes de la Neue Zürcher Zeitung, lorsque le débat sur les noms a commencé au Parlement en 2021. Et cette sociologue de l’Université de Bâle qui a fait des recherches sur le mariage et les noms de famille en Suisse d’ajouter: «La majorité fait le second, volontairement, mais il y a toujours une certaine pression. Il n’est pas facile de jeter par-dessus bord les pratiques et les traditions établies».
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Inconvénients pratiques
Un récent rapport de la Commission des affaires juridiques s’est également inquiété du fait que l’obligation de choisir l’un des deux noms lors d’un mariage ou d’une naissance contredit le principe de l’égalité des droits pour les parents.
Mais il existe aussi de nombreux inconvénients pratiques. Si l’un des parents voyage à l’étranger et ne partage pas le même nom de famille que son enfant, il doit prouver qu’il est le parent. Par ailleurs, des exceptions étaient prévues pour les étrangers ou les Suisses qui s’étaient mariés à l’étranger en vertu de lois différentes.
Les formes de famille ont également évolué au cours de la dernière décennie. Depuis juillet 2022, les couples homosexuels ont le droit de se marier en Suisse dans les mêmes conditions que les couples hétérosexuels. Et en Suisse, de nombreux couples ne se marient jamais. Enfin, certains veulent changer de nom après un divorce ou se remarient.
Pas seulement en Suisse
La Suisse n’est pas la seule à repenser les conventions en matière de noms de famille. En mars, six couples ont intenté un procès au gouvernement japonais à propos d’une loi qui oblige les époux à porter le même nom de famille. Ils ont fait valoir que cette coutume perpétuait l’inégalité. De plus en plus de Japonaises travaillent et veulent conserver leur propre identité, dont un élément clef est leur nom.
L’année dernière, l’Allemagne a également lancé des discussions sur un projet de loi visant à libéraliser les règles relatives aux doubles noms de famille pour les couples et les enfants.
Mais il y a beaucoup de pays où les gouvernements ont été plus discrets. Au Brésil, c’est la tradition plutôt que la loi qui dicte les noms de famille. La plupart des gens ont un nom de famille composé du nom de leur mère et de celui de leur père. Ils transmettent l’un de ces noms à leurs enfants.
En Espagne, les enfants reçoivent le premier nom de famille de leur père et de leur mère, et les parents peuvent déterminer l’ordre. Les États-Unis et le Canada ont également des lois souples en matière d’attribution de noms. Dans la plupart des provinces canadiennes, les personnes sont libres de prendre le nom de leur conjoint ou d’avoir un double nom, sauf au Québec, où il est interdit aux femmes de prendre le nom de leur mari.
Au Royaume-Uni, les couples mariés peuvent également choisir entre plusieurs options, voire développer un nouveau nom: par exemple, Smith et Jones peuvent devenir Smones.
Le débat en Suisse n’est pas encore terminé. Le Conseil national a décidé de remettre l’ouvrage sur le métier en renvoyant l’initiative parlementaire à la Commission des affaires juridiques pour un examen plus approfondi. Si la réintroduction du double nom de famille pour les couples a fait l’objet d’un large consensus, de nombreuses voix ont appelé à une simplification des règles et à une plus grande clarté quant à leur application aux enfants.
Texte relu et vérifié par Virginie Mangin, traduit de l’anglais par DeepL/op
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