Le chef de file des paysans ou le discret homme de dossier pour succéder à Viola Amherd?

La course à la succession de la ministre centriste Viola Amherd est plus serrée que prévu. Conseiller national depuis plus d’une décennie et à la tête de l’influent lobby paysan, Markus Ritter fait figure de favori. Le ministre zougois de la Santé Martin Pfister pourrait cependant créer la surprise.
Presque une heure avant de se présenter à l’assemblée des délégués du Centre, on trouve déjà Markus Ritter au café, en train de discuter avec les militantes et les militants de son parti. Son rival Martin Pfister, lui, arrive dix minutes avant le début de la manifestation organisée fin février au Centre de congrès de Viège (canton du Valais), salue brièvement les personnes présentes et se rend directement à sa place.
L’anecdote montre que les deux candidats qui figurent sur le «ticket» du Centre pour succéder à la ministre de la Défense démissionnaire Viola Amherd se différencient davantage sur la forme que sur le fond.
Sur le fond, les deux hommes expriment des positions similaires sur les grands dossiers politiques du moment. Tous deux ont notamment reconnu l’importance des accords conclus avec l’Union européenne, tout en insistant sur la nécessité d’examiner trois points, soit la protection des salaires, la clause de sauvegarde en matière d’immigration et le règlement des différends.
Sur la forme, Markus Ritter est décrit comme un redoutable lobbyiste, alors que Martin Pfister se présente plutôt comme la force tranquille.
Ces caractéristiques sont vues comme des atouts par certains parlementaires, comme des défauts par d’autres. Elles joueront un rôle important lorsque l’Assemblée fédérale devra trancher le 12 mars.
Markus Ritter, influent, mais clivant
«J’ai de bons amis à Berne, mais aussi des personnes avec qui j’ai dû avoir des discussions politiques difficiles», répond Markus Ritter, lorsqu’on lui demande si son statut de favori lui garantit un siège au gouvernement.
À 57 ans, le Saint-Gallois est un poids lourd de la politique fédérale. Élu au Conseil national Lien externe(Chambre basse du Parlement) en 2011, il est membre de la puissante Commission de l’économie et des redevances et préside l’Union suisse des paysans (USP) depuis 13 ans.
Grâce à cette dernière casquette, il a développé un vaste réseau à Berne et est devenu l’un des parlementaires les plus influents. Ses qualités de lobbyiste des agriculteurs sont louées au-delà des rangs de son parti.

La députée du Parti libéral radical (PLR /droite) Jacqueline de Quattro le décrit comme «redoutable et efficace» dans ce rôle. «Il nous a tous eus une fois et il nous aura encore», commente-t-elle. Elle salue ses compétences et «sa force de caractère», mais estime que le Conseil fédéral n’a pas besoin d’un lobbyiste en chef.
Markus Ritter se dit motivé à reprendre le Département de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS), actuellement géré par la conseillère fédérale démissionnaire. Il n’a pas peur des problèmes qui le minent: projets en retard, dépassements de budget et démissions successives du chef de l’armée et de celui du service de renseignement. «C’est là que se trouvent les tâches les plus intéressantes», affirme-t-il.
Dans un contexte géopolitique où les États-Unis se distancient des Européens, il prône «une neutralité armée forte». «Je m’engagerai pour que notre armée retrouve sa capacité de défense. C’est le grand défi», affirme-t-il.
Jaqueline de Quattro n’est toutefois pas persuadée que le chef de file des paysans soit prêt à changer de costume et à s’engager à long terme pour la défense. «Je crains que Markus Ritter ne reprenne à la première occasion la direction du Département de l’économie, dont dépend l’Office de l’agriculture. Son cœur bat pour l’agriculture et il ne pourra pas résister. Or, nous avons besoin de stabilité au DDPS», affirme la sénatrice.

Comme il l’admet lui-même, Markus Ritter s’est fait des ennemis sous la Coupole fédérale. C’est notamment le cas des écologistes. «Il nourrit une rancune contre les milieux écologistes depuis des années, à cause d’une campagne d’information sur les pesticides», constate le député écologiste Christophe Clivaz.
Il a ainsi torpillé plusieurs projets portés par les Vert-e-s, indique l’élu valaisan, citant notamment le contre-projet à l’initiative sur la biodiversité, dont le Parlement n’a pas voulu. «Il mène un combat de fond contre les organisations écologistes», affirme Christophe Clivaz.
Une rancœur qui peut sembler paradoxale, puisque Markus Ritter, agriculteur de formation, dirige une exploitation bio. Il a cédé la gestion opérationnelle de sa ferme à ses deux fils il y a quelques années, mais leur donne régulièrement un coup de main.
«Je connais beaucoup de Suisses de l’étranger qui travaillent dans l’agriculture au Canada, aux États-Unis ou en Amérique du Sud»
Markus Ritter
S’il devient conseiller fédéral, il dédierait d’ailleurs son temps libre limité à l’exploitation familiale. «Je serais heureux de pouvoir continuer à m’occuper de mes abeilles et à travailler un peu avec mes animaux. C’est une activité méditative, qui permet de bouger et de déconnecter», dit-il.
Markus Ritter se distingue également par une attitude conservatrice face aux questions de société. Très croyant, ce catholique s’est par exemple opposé à la dépénalisation de l’avortement et s’est abstenu lors du vote sur le mariage pour tous au Parlement. Il est également contre la légalisation du cannabis ou l’aide active au suicide. Un profil qui est de nature à séduire la droite conservatrice, mais à rebuter la gauche.
Le candidat au Conseil fédéral affirme aussi son attachement à l’électorat des Suisses de l’étranger. «J’en connais beaucoup qui travaillent dans l’agriculture au Canada, aux États-Unis ou en Amérique du Sud», dit-il.
Martin Pfister, méconnu, mais convaincant
La presse l’a surnommé le «grand inconnu». Martin Pfister s’en est amusé au moment de se présenter aux médias en faisant allusion à sa grande taille.
Ministre de la Santé du canton de Zoug depuis 2016, Martin PfisterLien externe s’est effectivement lancé avec un handicap de taille dans la course au Conseil fédéral: il ne siège pas sous la Coupole fédérale. Cela n’est pas anodin, puisque la dernière élection d’un non parlementaire au gouvernement remonte à fin 2007, lorsqu’Eveline Widmer-Schlumpf a accédé à la fonction suprême.

Le conseiller d’État de 61 ans a ainsi dû capitaliser sur son expérience d’exécutif cantonal pour compenser son manque de notoriété dans les travées du Palais fédéral. À Zoug, Martin Pfister jouit d’un bon capital sympathie jusque dans les rangs de la gauche, même si certaines voix ont critiqué son attitude «peu courageuse» face à la politique fiscale du gouvernement zougois.
Le Vert Andreas Lustenberger a l’habitude de travailler avec lui au sein de la Commission de la santé du Parlement cantonal. «La collaboration avec lui est agréable. Il s’efforce toujours d’informer de manière transparente, est à l’écoute et prend en compte les différents avis», confie-t-il.
L’écologiste zougois voit aussi en lui un politicien capable de trouver des majorités. «Les projets du gouvernement qu’il présente en commission sont en principe acceptés. Il est capable de discuter avec tous les partis et de trouver un compromis équilibré», estime Andreas Lustenberger. Une qualité qui pourrait lui servir pour succéder à Viola Amherd à la tête du Département de la défense, cette dernière ayant souvent échoué à convaincre ses collègues du gouvernement.
Pour prétendre à ce poste, Martin Pfister a un autre atout non négligeable: ses connaissances militaires de colonel. Le candidat zougois se dit ainsi armé pour reprendre le DDPS. «Je suis déjà en train de préparer mon entrée en fonction. Il faudra voir ce qui va bien et ce qui ne va pas bien, fixer des priorités et agir rapidement», affirme-t-il.

L’ancien colonel estime qu’il conviendrait de revoir la stratégie helvétique en matière de défense. «La Confédération doit réagir au changement de la situation géopolitique internationale. Les partenaires européens vont jouer un rôle important, car nous pourrons à l’avenir moins compter sur la puissance des États-Unis», analyse-t-il.
Sous la Coupole fédérale, si certains députés l’ont déjà croisé ici ou là, on le connaît peu. Les premiers échos dans les couloirs du Parlement étaient cependant positifs. «Je n’entends que du positif à son propos», déclarait Jacqueline de Quattro avant les auditions.
Le sénateur du Mouvement citoyens genevois (MCG) Mauro Poggia l’a côtoyé au sein de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux de la santé. Il le décrit comme un homme qui présente une solide connaissance de ses dossiers. «Il est discret, respectueux de l’ensemble et est capable d’argumenter sans un mot plus haut que l’autre», dit-il.
Malgré un caractère réservé et son manque d’expérience de la politique nationale, il estime que le Zougois est capable d’endosser le costume de ministre. «C’est la fonction qui fait l’homme», commente-t-il.
«J’ai moi-même étudié pendant une courte période aux États-Unis. Et si je devais donner un conseil à mon fils, je lui dirais d’aller vivre un moment à l’étranger et d’apprendre à connaître d’autre culture»
Martin Pfister
Martin Pfister se présente également comme un candidat plus urbain et moins conservateur que son rival. Historien et germaniste, il a enseigné à l’Université de Fribourg, ainsi qu’à l’école obligatoire, avant de diriger des organisations faîtières économiques, puis de travailler en tant que conseiller indépendant.
Dans son temps libre, il pratique le jogging, s’intéresse à la culture et accorde beaucoup d’importance à la lecture, ce qu’il compte continuer à le faire s’il est élu.
S’il devient conseiller fédéral, Martin Pfister devra en revanche probablement renoncer à jouer du trombone dans une fanfare de carnaval. Une fête qu’il affectionne, puisque c’est à carnaval qu’il a rencontré son épouse brésilienne, Cacilda. Celle-ci avait déjà deux filles, puis le couple a eu un fils et une fille. Aujourd’hui, ils ont quatre petits-enfants.
Avec une famille internationaleLien externe, il accorde une grande importance à l’électorat des Suisses à l’étranger. «J’ai moi-même étudié pendant une courte période aux États-Unis. Et si je devais donner un conseil à mon fils, je lui dirais d’aller vivre un moment à l’étranger et d’apprendre à connaître d’autre culture», confie-t-il.
>> Relire notre article sur les compétences linguistiques des deux candidats:

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Texte relu et vérifié par Samuel Jaberg

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