Le financement des partis reste un domaine obscur
Les électeurs ont le droit de savoir qui finance une campagne électorale, estime la gauche. Depuis des années, Verts et socialistes réclament plus de transparence en matière de financement des partis, mais sans succès. Et cela n’est pas près de changer, selon un politologue.
Les moyens financiers sont très différents selon les partis. Selon une analyse publiée au printemps par le magazine L’Hebdo, et qui n’est contestée par aucun parti, l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) a dépensé environ 35 millions de francs de 2007 à 2010 pour de la publicité politique.
Durant la même période, le Parti libéral-radical (PLR / droite) a disposé de 19 millions, le Parti socialiste de 9 et le Parti démocrate-chrétien (PDC / centre-droit) de 8. Quant aux Verts, ils n’avaient un budget que de 2 millions.
Une vieille demande
La divulgation du nom des grands donateurs (personnes privées, groupes d’intérêt, entreprises) des partis est depuis des décennies une demande des socialistes. Mais au Parlement, toutes leurs motions en ce sens ont été repoussées par la majorité de droite.
C’est la raison pour laquelle apparaissent régulièrement des idées pour faire avancer les choses par le biais d’une initiative populaire. «La transparence est pour nous une question centrale, déclare Thomas Christen, secrétaire général du PS. S’il y a un comité d’initiative, nous soutiendrons alors cette initiative. Mais il n’est pas fondamental de lancer nous-mêmes une initiative.»
Thomas Christen laisse ouverte la question de savoir si une initiative demandant plus de transparence dans le financement des partis sera lancée encore avant les élections fédérales de l’automne. Cette position un peu en retrait du PS s’explique par le fait que ses forces sont pour le moment engagées sur quatre autres initiatives populaires.
Voies détournées
«Si le balancier de la morale oscille et indique ‘nous voulons cette transparence’, on peut alors, en tant que parti, momentanément parvenir à quelque chose, déclare le politologue Mark Balsiger. On place ainsi ce thème dans l’agenda politique et l’on retient l’attention d’une large partie de la population».
Cependant, pratiquement rien ne va changer à long terme. «Il existe en effet suffisamment de voies détournées pour financer des partis et pour soutenir la campagne électorale de candidats», estime Mark Balsiger.
Les campagnes autour de votations ou d’élections ne sont effectivement pas menées uniquement par les partis. Des comités de soutien à des candidats ou pour un Oui ou un Non à une votation représentent aussi des acteurs importants dans la lutte pour gagner des voix.
Par ailleurs, il n’est pas vrai que l’argent peut à lui seul faire remporter des élections ou des votations, juge le politologue. «L’argent est simplement un facteur parmi environ une vingtaine, explique-t-il. Ce qui est central pour les partis, c’est leur image, la présence dans les médias, des chiffres-clefs crédibles et une bonne gestion des thèmes auxquels la population est la plus sensible.»
Un Christoph Blocher crédible
Le parti qui a rencontré le plus de succès au cours des vingt dernières années est l’UDC. Celui aussi qui dépense probablement le plus d’argent pour des campagnes politiques. Mais ce parti a aussi moins à lutter pour son image, à montrer qu’il n’est pas aux ordres des banques ou de l’industrie, que les autres grands partis bourgeois, note encore Mark Balsiger.
Même le fait que la figure tutélaire de l’UDC, le multimillionnaire Christoph Blocher, soit l’un des principaux bailleurs de fonds du parti ne provoque pas de grandes critiques auprès d’une large partie de la population.
«Ce sont justement les gens avec un salaire modeste, qui tempêtent contre les arnaqueurs et ceux qui gagnent énormément, qui considèrent Christoph Blocher comme l’un des leurs, analyse le politologue. J’ai le sentiment que cela a à voir avec son comportement et sa rhétorique, et donc avec le fait qu’ils le comprennent.»
Virage à 180 degrés
Pour une grande partie du public, le PLR et le PDC n’échappent en revanche pas au soupçon d’être trop sous l’influence de l’économie.
Il y a un an, un groupe de députés libéraux-radicaux a tenté d’entraîner le parti dans une stratégie de lutte contre l’argent sale. Ils souhaitaient que les banques soient contraintes de refuser l’argent d’origine douteuse de leurs clients. Cette proposition a fait la une des journaux pendant quelques semaines, avant que l’assemblée des délégués du PLR ne la torpille. Résultat: «la poursuite de cette proximité supposée ou réelle avec les grandes banques, note Mark Balsiger. C’est un peu comme un boulet attaché à la jambe du parti.»
Le PDC a de son côté été soupçonné d’avoir modifié ses positions en raison de liens trop étroits avec l’économie. Mark Balsiger cite l’exemple des importations parallèles de produits pharmaceutiques. A la base, le PDC y était favorable. «Mais après que la chimie bâloise a fait fortement pression, le groupe PDC a pris un virage à 180 degrés. C’était certainement dû à l’argent que l’industrie pharmaceutique accorde à ce parti. Concrètement, on évoque un chiffre situé entre 170’000 et 180’000 francs par année.»
Argent tabou
Bien que le manque de transparence en matière de financement des partis puisse aussi être préjudiciable, les partis bourgeois ne veulent pas d’une divulgation du nom des bailleurs de fonds et des donateurs. Mark Balsiger explique ce refus avant tout par la tradition de discrétion dans ce domaine. A cela s’ajoute que, de manière toute à fait générale, «l’argent est un thème fondamentalement tabou en Suisse», conclut-il.
Des experts du Groupe d’Etats du Conseil de l’Europe contre la corruption (Greco) se sont rendu en Suisse au mois de mai pour évaluer le financement des partis. Ils doivent rendre leur rapport en fin d’année.
La Suisse devrait prendre des mesures sur la base des recommandations qui seront formulées dans ce rapport. Ce texte aura en effet une valeur «politiquement contraignante», a expliqué un membre du secrétariat du Greco. «Les Etats s’engagent sur une base volontaire, ce qui implique qu’ils acceptent d’être évalués», a-t-il ajouté.
La plupart des Etats du Conseil de l’Europe disposent déjà d’une réglementation en matière de financement des partis politiques. En Suisse, les tentatives d’introduire une loi ont toujours échoué.
En février dernier, une commission de la Chambre basse a ainsi rejeté une initiative parlementaire socialiste en ce sens. Mais la ministre de la Justice Simonetta Sommaruga a demandé une expertise pour savoir comment créer davantage de transparence.
Pour la mise en œuvre des recommandations, la Suisse disposera de 18 mois à partir d’octobre. Si elle ne donne pas satisfaction, un délai de 18 mois supplémentaires lui sera accordé.
Le Greco dispose de mesures pour faire pression sur les Etats réticents. Elles prévoient par exemple l’intervention du secrétaire général du Conseil de l’Europe auprès des autorités ou encore l’envoi de délégations de haut niveau pour rappeler le message.
Source: ATS
Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard
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