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Le foyer qui divise les Suisses de Marseille

Un foyer qui ressemble de plus en plus à une pomme de discorde. Les Charmerettes

L’avenir du Foyer helvétique des Charmerettes devait se décider cette semaine au tribunal de Marseille. L’audience a été reportée. Retour sur un conflit qui s’éternise.

Même les journaux du Midi en font des gorges chaudes: «Le trésor qui déchire la colonie suisse de Marseille», titrait La Provence en février dernier.

Le trésor? Une superbe demeure du XVIIIe siècle entourée de 3,5 hectares de jardins, en plein cœur de Marseille.

Ce petit paradis, presque unique dans la cité phocéenne, abrite depuis 1930 le foyer helvétique des Charmerettes,  une maison de retraite où vivent une vingtaine de pensionnaires, dans un cadre idyllique. Propriétaire des lieux, la Fondation Helvetia Massilia, dont le siège est à Genève, veut récupérer son bien et presse le foyer de s’installer ailleurs. Motif ? Seuls cinq  des vingt pensionnaires sont suisses.

Les consuls généraux suisses qui se sont succédé à Marseille ont tenté de régler l’affaire à l’amiable. Sans succès. C’est désormais à la Justice de trancher. Le tribunal d’instance de Marseille devait examiner le dossier cette semaine, mais les avocats du foyer ont demandé un report.

«Nous avions besoin de plus de temps pour examiner les conclusions de la partie adverse», affirme Roland Gay, président du foyer. «Ils jouent la montre», rétorque Alfred Bähler, président de la Fondation et ancien consul général suisse à Marseille.

Plus moyen de faire dialoguer les deux parties. Côté foyer, on défend la vocation philanthropique des Charmerettes contre les «prédateurs» de la fondation. « Ils veulent nous tuer pour des raisons immobilières» estime M. Gay.  Le domaine vaudrait aujourd’hui entre 15 et 20 millions d’euros. «Mais c’est justement pour aider les Suisses de Marseille que nous voulons récupérer les lieux», répond Alfred Bähler.

Longue histoire et grosse bisbille

Retour sur une décennie de brouille. A la fin des années 1920, deux familles suisses installées à Marseille, les Angst et les Zollinger, rachètent le domaine des Charmerettes et le transforment en foyer pour les vieux Suisses nécessiteux.

À l’époque, quelque deux mille familles suisses habitent la cité phocéenne. «Des négociants, hommes d’affaires, horlogers et pâtissiers, mais aussi, plus bas dans l’échelle sociale, des domestiques et des employés de l’hôtellerie», rappelle l’historienne Renée Lopez-Théry. «La colonie helvétique était bien encadrée par les notables, l’église protestante et le consulat. Une population plutôt privilégiée, qui ne faisait guère parler d’elle.»

En 1940, le foyer s’ouvre aux résidents français. Après-guerre, la présence suisse à Marseille s’étiole peu à peu. «Le foyer helvétique représente une belle page d’histoire. Mais aujourd’hui, il faut penser à l’avenir, estime le consul général François Mayor. La vocation de la fondation Helvetia Massilia n’était pas de prendre en charge des pensionnaires majoritairement français.»

Et M. Mayor d’évoquer les projets d’assistance que la fondation pourrait réaliser dans tout l’arrondissement consulaire si elle n’était pas empêtrée dans cette affaire. «Si nous ne faisons rien, l’organe chargé à Berne de surveiller les fondations pourrait décider de dissoudre Helvetia Massilia. Tout le monde y perdrait bien sûr.»

Président du foyer, Roland Gay tempête contre la «collusion» entre le consul général et la Fondation. «Tout s’est gâté à partir de 1989. Le consul général de l’époque, Alfred Bähler, entre dans le conseil de fondation. Il emmène depuis lors le petit clan des partisans de la vente. L’église protestante a été bradée en 1996. Aujourd’hui, c’est notre tour.» Roland Gay ne reconnaît plus son beau domaine des Charmerettes. «Il est laissé dans un état catastrophique par la Fondation, qui ne fait plus rien. À l’évidence, elle veut que le foyer perde tout son attrait».

De report en report

Vendre les Charmerettes ? « Il n’y a pour l’heure aucun projet de vente, assure Alfred Bähler. Nous verrons en temps voulu. Ce qui est sûr, ajoute l’ancien consul, c’est que vendre une moitié n’aurait pas de sens: seule une partie du terrain est constructible.»

Difficile, à Marseille, de trouver chez les Suisses un zeste de neutralité. Président de la Société suisse de bienfaisance, Pierre-Henri Gygax se désole de cette vieille querelle. Les derniers épisodes «suscitent beaucoup de curiosité, voire d’inquiétude, au sein de notre association. Et même au-delà.» Lors du dernier grand rendez-vous des Suisses de France, fin avril à Bordeaux, Roland Gay a bousculé l’agenda pour évoquer, à la surprise de l’ambassadeur suisse, la situation des Charmerettes.

Après six reports d’audience, rendez-vous est fixé au tribunal de Marseille le 13 septembre. «Ici, certains appellent le Palais de justice le palais de l’injustice, remarque M. Gygax. Alors allez savoir!»

À propos de la communauté suisse de Marseille de la première moitié du XXe siècle, l’historienne Renée Lopez-Théry écrit: «Face à leur milieu d’accueil, les Suisses ont tendance à n’entretenir que peu de rapport avec la population locale quitte à tourner leurs regards vers les autres Suisses restés au pays ou dispersés dans le monde entier. Ainsi toutes les sociétés mis à part le Stade helvétique et la Chambre de commerce, sont uniquement réservées aux Suisses. Peu nombreux, ils préfèrent rester entre eux.

Accueil des compatriotes. Dans cette logique ils accueillent volontiers leurs compatriotes qui passent par Marseille, ce qui est fréquent pour les groupes de musiciens ou de gymnastes qui se rendent en Algérie.

Correspondance. Ils entretiennent aussi une abondante correspondance comme la Société de Bienfaisance qui reçoit en 1894 des lettres de plus de 15 pays différents. L’attachement à la nationalité s’exprime par la faiblesse des naturalisations, les Suisses représentant le taux le plus faible (24) de cas et ceci, malgré l’ancienneté de l’implantation.

La famille Bornand. Il n’est pas rare de rencontrer des Suisses nés et établis en France depuis plusieurs générations et qui ont gardé la nationalité de leurs ancêtres, l’un des cas les plus remarquables étant celui de la famille Bornand qui, bien que présente à Marseille depuis 1776, est restée attachée à ses origines helvétiques.»

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