Le Parlement repousse l’assaut de la droite conservatrice
Les parlementaires suisses ont opté mercredi pour le statu quo. Payant peut-être une suite d’erreurs, la droite conservatrice ne parvient donc pas à reconquérir un deuxième siège gouvernemental. Côté socialiste, la logique est respectée avec l’élection d’un homme du sérail.
«Tout ça pour ça…» serait-on tenté de dire. Depuis des jours, politiciens et commentateurs spéculaient sur les chances d’Eveline Widmer-Schlumpf de conserver son siège menacé par l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice).
Une stratégie habile
Mais, la ministre du Parti bourgeois démocratique (PBD / centre-droit) a été facilement réélue. Son résultat montre que la plupart des partis ont voté en sa faveur. Seules les voix de l’UDC et du Parti libéral-radical (PLR / droite) lui ont manqué. Cette issue est somme toute logique, car Eveline Widmer-Schlumpf pouvait compter sur un double soutien.
Elle a d’une part pu capitaliser sur la bonne santé que le centre-droit a démontré lors des élections fédérales d’octobre. Les trois partis qui le composent (Parti démocrate-chrétien, Verts libéraux et PDB) ont recueilli ensemble presque 23% des voix. Un résultat qui peut justifier le maintien d’Eveline Widmer-Schlumpf, malgré le fait que son propre parti n’ait obtenu qu’un peu plus de 5%.
Mais la ministre des Finances, à la base placée très à droite de l’échiquier politique, a d’autre part réussi à ratisser plus large que son propre camp grâce à une stratégie habile. Sa conversion antinucléaire et son projet de fiscalité écologique lui ont attiré les sympathies de la gauche.
Ce à quoi s’ajoute une bonne connaissance des dossiers, notamment en matière de franc fort et de secret bancaire. Les parlementaires n’ont donc pas souhaité sacrifier une ministre jugée compétente.
UDC en petite forme
De son côté, l’UDC avait tout fait pour se donner les chances de récupérer son deuxième siège, perdu il y a quatre ans, en présentant les candidats les plus susceptibles de suivre une politique consensuelle au sein du gouvernement. Mais le succès n’a pas été au rendez-vous, peut-être parce que l’UDC paye la politique d’opposition suivie ces dernières années, ainsi que quelques erreurs.
La plus grande erreur fut probablement d’exclure de ses rangs ses deux ministres – Eveline Widmer-Schlumpf et Samuel Schmid – suite à la non réélection de son leader Christoph Blocher à son poste de ministre. Ce psychodrame interne – dont le parti aurait pu aisément faire l’économie – a débouché sur une scission et la création du PBD. La réélection de la ministre PBD confirme que par cette décision, l’UDC semble bel et bien s’être «tiré une balle dans le pied».
Plus généralement, le changement de ligne de l’UDC laisse songeur. Après plusieurs tentatives pour imposer des représentants de sa ligne dure au gouvernement et son opposition au gouvernement sur des dossiers tels que la politique européenne, le parti a cette fois misé sur sa capacité à suivre une politique de consensus. Pour bon nombre de parlementaires, ce changement aura certainement été un peu trop soudain pour être crédible.
Enfin, l’UDC a s’est aussi quelque peu décrédibilisée en présentant un candidat «idéal» qui a dû être retiré à peine quelques jours plus tard pour cause de possible malversation dans la gestion d’un héritage. Là aussi une maladresse assez étonnante pour un parti qui, il y a peu encore, faisait peur et donnait le diapason de la politique suisse.
Ajouté au recul des élections d’octobre, l’échec de mercredi montre que l’UDC semble actuellement en «petite forme». Reste à voir maintenant si elle saura ou pourra rebondir.
Problème mathématique
Reste que le problème exposé par l’UDC reste entier. Le plus grand parti du pays (26,6% des voix) ne compte qu’un représentant au gouvernement, alors que le PLR (15,1%) en compte par exemple deux et le PBD (5,4%) un. La tradition politique suisse, qui consiste à faire correspondre le nombre de sièges gouvernementaux à la force des partis, continue d’être mise à mal.
Face à une telle situation, l’UDC crie au «scandale» et menace de quitter le gouvernement. Le parti devrait prendre sa décision à la fin janvier.
Il y a fort à parier que ces menaces pourraient bien ne rester que de l’esbroufe. Jusqu’à présent, aucun parti n’a volontairement choisi de quitter le gouvernement. Le Parti socialiste, dont plusieurs candidats officiels avaient été refusés, avait aussi brandi cette menace. Mais jusqu’à présent, l’avis qu’il est plus profitable d’agir à l’intérieur qu’à l’extérieur d’un exécutif l’a toujours emporté.
Le cas de figure le plus probable est donc que l’UDC restera au gouvernement et qu’elle retrouvera son 2e siège au moment du départ «naturel» d’Eveline Widmer-Schlumpf.
Election sans surprise
Cette idée selon laquelle il est plus profitable d’agir depuis l’intérieur que depuis l’extérieur s’est vérifiée pour Alain Berset. Le sénateur socialiste, connu dans les travées du Parlement, l’a facilement emporté sur son rival Pierre-Yves Maillard, membre du gouvernement cantonal vaudois. A de rares exceptions près, l’Assemblée fédérale préfère des candidats issus du sérail que des candidats extérieurs.
Outre sa notoriété sous la Coupole, Alain Berset est catalogué «moins à gauche» que Pierre-Yves Maillard. Nul doute que cet élément aussi a favorisé le sénateur fribourgeois dans un Parlement qui reste très largement de droite.
Faisant office de favori et depuis longtemps pressenti pour succéder à Micheline Calmy-Rey, Alain Berset s’est donc imposé en toute logique.
Décidément, ce n’était guère le jour des surprises…
Les six sortants sont réélus au premier tour:
Doris Leuthard (PDC) 216 voix (majorité: 114), voix éparses 11.
Eveline Widmer-Schlumpf (PBD) 131 voix (majorité: 120), Hansjörg Walter (UDC) 63, Jean-François Rime (UDC) 41, voix éparses 4.
Ueli Maurer (UDC) 159 voix (majorité: 114), Hansjörg Walter (UDC) 41, Luc Recordon (Verts) 13, voix éparses 13.
Didier Burkhalter (PLR) 194 voix (majorité 117), Jean-François Rime (UDC) 24, voix éparses 14.
Simonetta Sommaruga (PS) 179 voix (majorité: 122), Jean-François Rime (UDC) 61, voix éparses 2.
Johann Schneider-Ammann (PLR) 159 voix (majorité: 118), Jean-François Rime (UDC) 64, voix éparses 11.
Pour le septième siège, laissé vacant par la socialiste Micheline Calmy-Rey, il a fallu deux tours:
1er tour (majorité: 122): Alain Berset (PS) 114, Pierre-Yves Maillard (PS) 59, Jean-François Rime (UDC) 59, Marina Carobbio (PS) 10, voix éparses 1.
2e tour (majorité: 123): Alain Berset (PS) 126, Pierre-Yves Maillard (PS) 63, Jean-François Rime (UDC) 54, voix éparses 2.
Alain Berset est élu.
Né à Fribourg en 1972, marié et père de trois enfants, il a étudié les sciences politiques et économiques à l’Université de Neuchâtel.
Après avoir travaillé comme chercheur scientifique et conseiller politique, il est entré en 2003 à la Chambre haute du parlement, dont il a été le président en 2009.
Professionnel de la politique, il fait partie de nombreuses commissions parlementaire et est vice-président du groupe socialiste des Chambres fédérales.
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