Le pays aux 150’000 élus
Avec 2636 communes, 26 cantons et une Confédération, la Suisse est très probablement le pays du monde où la concentrations de politiciens est la plus forte. Mais il arrive que certains sièges restent vides, car ce système de milice connaît aussi sa crise des vocations.
Pourquoi «très probablement» ? Parce que la Suisse, pays fédéraliste, ne tient pas de statistique centrale en la matière. Quant à la statistique mondiale…
Ce qui est établi, c’est que les 7,7 millions de personnes résidant en Suisse se répartissent entre 2636 communes, soit une moyenne de 2921 habitants par commune. En Europe, seule la France a plus de communes par rapport à sa population, et donc des communes en moyenne moins peuplées (moins de 1800 habitants).
Partout ailleurs, le découpage territorial hérité des paroisses de l’Ancien Régime a été revu avec l’arrivée des temps modernes, et les communes qui ne sont pas des villes sont souvent de vastes territoires ruraux, regroupant plusieurs villages.
Trois niveaux
En Suisse, chaque commune a au moins trois élus (et jusqu’à 15), qui exercent le pouvoir exécutif. Ce collège, dont le nom varie suivant les cantons (Municipalité, Conseil de ville, Conseil administratif) doit faire valider ses décisions par un «parlement», généralement nommé lui aussi Conseil, fut-il communal ou général.
A ces collèges s’ajoutent un certain nombre de commissions (jusqu’à dix dans les plus grandes communes), qui s’occupent des écoles, du cimetière ou de l’urbanisme et dont les membres sont généralement élus.
Toutefois, les communes n’ont pas toutes un législatif sorti des urnes. Sur l’ensemble du pays, c’est même plutôt l’exception, puisque quatre fois sur cinq, c’est l’ensemble de la population qui tient lieu de parlement.
Et ce n’est pas une question de taille. Si les cantons romands préfèrent en général la démocratie représentative et font élire un Conseil même par les communes de quelques centaines d’habitants, la Suisse alémanique et le Valais restent plus attachés à la démocratie directe. Ainsi, on trouve encore dans le canton de Zurich dix villes de plus de 10’000 habitants où le pouvoir législatif est confié à l’assemblée populaire.
Citoyens de leur commune, les Suisses le sont également de leur canton. Les 26 Etats qui forment la Confédération ont ainsi chacun leur constitution, leurs lois, et bien sûr leur gouvernement (5 ou 7 membres) et leur parlement (de 46 à 200 députés), élus par le peuple.
A noter que deux cantons (Appenzell Rhodes-Intérieures et Glaris) ont gardé la tradition de la Landsgemeinde, soit l’assemblée de tous les citoyens, qui se réunit une fois l’an sur la place du chef-lieu pour ratifier les grandes décisions du gouvernement et du parlement.
Enfin, la Suisse dispose d’un Parlement fédéral à deux chambres (200 + 46 députés).
Qui veut être chef du village ?
Au total, on arrive donc à plus ou moins 150’000 titulaires d’une charge élective, le plus souvent à temps très partiel et fort peu lucrative. Et ceci dans un pays où les partis politiques affichent ensemble un total de quelque 300’000 membres.
«Ce qui ne veut pas dire qu’adhérer à un parti vous donne immédiatement une chance sur deux d’être élu quelque part», précise Andreas Ladner, politologue à l’Institut de hautes études en administration publique de Lausanne et auteur de ces estimations. Dans les communes en effet, la moitié environ des élus sont hors-parti.
Des élus par ailleurs de plus en plus difficiles à recruter et à motiver pour qu’ils restent en poste. En début d’année, le gouvernement du canton de Vaud avait dû nommer une administration provisoire pour la commune de Gressy (160 habitants), dont quatre des membres de l’exécutif avaient jeté l’éponge.
Et le cas est loin d’être exceptionnel. Dans les petites communes, le mandat public est devenu un véritable apostolat, le plus souvent à peine défrayé – quelques milliers de francs par année pour un siège à l’exécutif, voire un carton de bouteilles ou… rien du tout dans certains législatifs.
«Nous faisons des enquêtes régulièrement auprès des communes et cela fait vingt ans qu’elles se plaignent de ce manque d’attrait des citoyens pour la chose publique», note Andreas Ladner.
C’est qu’aujourd’hui, le temps de la séance de travail mensuelle qui se terminait par une partie de cartes et quelques verres à l’auberge communale est révolu. Les tâches des élus locaux sont de plus en plus nombreuses, complexes et techniques. Et parallèlement, la marge d’autonomie des communes diminue.
Fusions volontaires
Les communes auraient donc tout intérêt à acquérir une certaine masse critique, et donc à fusionner. «Le problème, note le politologue, c’est que pour une commune de 2000 ou 3000 habitants, il y aura nettement plus de travail et on ne trouvera pas forcément plus de personnes pour s’engager».
C’est pourquoi on parle désormais de fusions bien plus larges. Non pas deux petites communes qui en font une nouvelle petite, mais toute une vallée, comme le Val de Travers, dans les montagnes neuchâteloises: neuf communes en une, de 11’000 habitants. Ou, plus spectaculaire encore, le cas de Glaris: dès 2011, le canton n’aura plus que trois communes au lieu de 25.
Reste qu’en Suisse, pays qui n’a jamais connu la loi d’un monarque et qui a refusé la république «une et indivisible» que prétendait lui imposer Napoléon, les communes et les cantons ont gardé un rôle prépondérant. «Et l’Etat central n’a simplement pas les moyens de procéder à une réorganisation territoriale comme on a pu la faire dans d’autres pays», remarque Andreas Ladner.
Celle-ci devient alors la tâches des cantons. Ou des communes, quand elles le veulent bien.
Marc-André Miserez, swissinfo.ch
Selon une étude conjointe des Universités de Zurich, Berne et Lausanne, près de la moitié des élus des communes suisses proviennent de listes indépendantes. Dans les communes de moins de 1000 habitants, il n’y a même pratiquement pas de représentants des partis traditionnels.
Ces politiciens indépendants ne rejettent pas fondamentalement les partis. La moitié des «sans-partis» interrogés expliquent qu’ils n’ont pas trouvé dans leur commune un parti qui leur corresponde.
Pour le sociologue zurichois Urs Meuli, cette situation reflète la crise des partis locaux entamée dans les années 1980. Jadis, assumer un mandat politique local était un tremplin aussi pour la vie professionnelle. Aujourd’hui, les gens sont plus mobiles, plus souples et plus individualistes.
A la création de l’Etat fédéral en 1848, la Suisse compte 3205 communes. Ce chiffre passe à 3164 en 1900, 3101 en 1950, 2955 en 1990 et 2636 en 2009.
Sur l’année 2008, 79 communes ont disparu, fondues dans des ensembles plus vastes. C’est la plus forte diminution depuis 1848.
1300 communes ont moins de 1000 habitants.
1028 autres en ont moins de 5000.
105 communes ont plus de 10’000 habitants et concentrent la moitié environ de la population suisse.
Commune la moins peuplée: Corippo (Tessin),
17 habitants
Commune la plus peuplée: Zurich, 345’000 habitants
Plus petite commune:
Ponte Tresa (Tessin),
28 hectares
Plus grande commune:
Davos (Grisons), qui a fusionné le 1er janvier 2009 avec Wiesen,
28’300 hectares
Le plus petit:
Bâle-Ville, 37 km2,
5000 habitants/km2
Le plus grand:
Grisons, 7’105 km2,
27 habitants/km2
Le moins peuplé:
Appenzell Rhodes-Intérieures,
15’500 habitants
Le plus peuplé:
Zurich,
1’307’600 habitants
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