Le renvoi contesté des Tamouls au Sri Lanka
Selon un récent jugement du Tribunal administratif fédéral, la Suisse peut renvoyer au Sri Lanka les requérants d’asile tamouls qui n’ont pas obtenu le statut de réfugié. Selon les ONG, ce feu vert est prématuré et dangereux.
A. va devoir très prochainement quitter la Suisse. La plus haute instance judiciaire du pays n’a pas cassé la décision de renvoi de l’Office fédéral des migrations (ODM) à l’encontre de ce Tamoul qui a quitté le Sri Lanka et déposé une demande d’asile à l’aéroport de Zurich en septembre 2006.
Commentaire de son avocat Matthias Rupp: «La redoutable police criminelle du Sri Lanka a envoyé une convocation à mon client. Mais le tribunal n’a pas retenu cette preuve évidente de risque de persécution. Je ne comprends pas pourquoi la Cour peut ignorer ce document (la convocation de la police) sur la base d’arguments indéfendables.»
Matthias Rupp s’étonne également que l’ODM veuille maintenant précipiter le rapatriement de son client: « Le fait que mon client doive quitter si vite (en moins d’un mois) la Suisse, alors qu’il y réside depuis 5 ans est absolument intenable. »
Modifiant sa jurisprudence sur le Sri Lanka, le Tribunal administratif fédéral estime que le renvoi de requérants déboutés provenant des provinces du nord et de l’est (région à majorité tamoule) est désormais en principe exigible. Depuis la fin des hostilités entre l’armée et le mouvement des Tigres de libération de l’Îlam Tamoul (LTTE), le tribunal estime qu’une amélioration est intervenue sur le plan sécuritaire.
Un jugement prématuré
Inquiète, l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) qualifie ce jugement de «prématuré», puisque la situation sur le terrain au Sri Lanka est encore instable.
La Société pour les peuples menacés, une autre ONG suisse, critique également cette décision en se référant aux intimidations, arrestations, voire tortures subies par des rapatriés tamouls accusé par le gouvernement d’être partisans de l’opposition.
Comme le relève l’ONG, le tribunal reconnaît pourtant l’aggravation de la situation des droits humains au Sri Lanka. Et ce en notant que tout opposant est considéré par le gouvernement comme un ennemi de l’Etat.
«C’est vraiment un peu choquant de dire qu’il y a un risque pour ces gens, y compris ceux venant de Suisse, tout en estimant qu’ils peuvent être renvoyés. Je ne comprends vraiment pas ce jugement», déclare Christoph Wiedmer, directeur de la Société pour les peuples menacés.
2100 demandes
A la fin de l’année dernière, quelques 2100 demandes d’asile de Sri lankais étaient pendantes. Et ce, alors que les Sri Lankais sont l’un des plus grands groupes de migrants en Suisse.
Une diaspora qui a grossi au fil de la guerre qui a opposé la guérilla des Tigres tamouls au gouvernement de Colombo de 1983 à 2009. Un affrontement marqué par de nombreux crimes de guerre contre les civils commis aussi bien par la guérilla que par les forces gouvernementales, comme l’a souligné un récent rapport des Nations Unies.
L’Office fédéral des migrations a déclaré que chaque rapatriement potentiel serait examiné «individuellement et en détail».
De son coté, Christoph Wiedmer, directeur de la Société pour les peuples menacés, avertit: «Nous espérons que l’ODM va gérer cela très attentivement et qu’il est conscient que chaque personne renvoyée est réellement menacée.» Son organisation prévoit de maintenir la pression sur l’office, tout en reconnaissant qu’il n’était pas possible de renverser la décision du tribunal.
Selon Christoph Wiedmer, un demandeur d’asile tamoul en Suisse est rentré il y a deux mois visiter sa mère malade. Il a depuis disparu. Raison pour laquelle, l’OSAR estime que «tant que la situation est instable, aucun demandeur d’asile doit être renvoyé contre son gré vers le nord ou l’est du Sri Lanka.»
Le Sri Lanka annonce qu’il accorderait la citoyenneté aux milliers de réfugiés qui envisagent de rentrer dans le pays en provenance d’Inde au cours des mois à venir.
Le vice-ministre sri lankais de la Réinstallation Vinayagamoorthi Muralitharan a déclaré que des milliers de réfugiés sri lankais qui se sont déplacés dans l’Etat indien de Tamil Nadu au cours de la guerre de 30 ans contre les rebelles des Tigres tamouls s’enregistreraient à leur arrivée et obtiendraient les documents nécessaires.
Depuis la fin des conflits au Sri Lanka en mai 2009, les réfugiés déplacés dans des pays étrangers ont commencé à rentrer au pays.
Selon l’ONU, plus de 141’000 réfugiés sri lankais ont été recensés dans 65 pays, dont la majorité se trouve en Inde, en France, au Canada, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Suisse, en Australie, en Malaisie, aux Etats-Unis et en Italie.
(Source: xinhua)
Au Sri Lanka, la Commission enquête sur des allégations d’atrocités durant la guerre civile doit rendre son rapport final le 20 novembre. Le document est très attendu par les défenseurs des droits humains et les puissances occidentales.
Cette année, un panel désigné par l’ONU a déclaré qu’il avait trouvé «des allégations crédibles» que des dizaines de milliers de civils ont été tués et des crimes de guerre commis dans les derniers mois de guerre au Sri Lanka.
(Source: Reuters)
Traduction et adaptation de l’anglais: Frédéric Burnand
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