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Le vote de la peur

L'interdiction des minarets fait bien évidemment les gros titres de la presse nationale. swissinfo.ch

La presse suisse de lundi est unanime à dénoncer la décision du peuple d'interdire la construction de minarets. Les éditorialistes estiment que ce vote traduit avant tout un sentiment de peur et de méconnaissance. Ils reprochent aux responsables politiques de ne pas s'être suffisamment engagés pour éviter cette issue.

La lecture des titres de la presse donne immédiatement le ton: les journalistes suisses sont à la fois surpris et insatisfaits du vote de dimanche. C’est ainsi, par exemple, que l’on peut lire «Le oui de la peur» dans la Tribune de Genève ou encore «Le coup de massue» dans Le Temps.

Une peur diffuse

Les éditorialistes n’ont aucun doute sur le fait que la décision des Suisses est fondée sur la «peur», un mot qui revient dans presque tous les commentaires et dans les trois langues nationales.

Il règne une «peur diffuse» de l’islam, juge ainsi la Südostschweiz, pour qui «les initiants sont parvenus à jeter un éclairage sur les côtés sombres de l’islam». Pour le quotidien La Liberté, les Suisses ont été motivés par «des craintes liées à l’islamisation du pays et à un brassage de populations qui va trop vite».

Cette analyse est partagée de l’autre côté des Alpes. C’est ainsi que La Regione Ticino écrit: «Le vote exprime un malaise qui va plus loin que le thème spécifique de la construction des minarets. Il exprime et fait la somme de sentiments d’insécurité et de peur. On y lit la crise d’identité à laquelle sont confrontés aujourd’hui les citoyennes et les citoyens suisses…».

Mais pour certains commentateurs, la peur de l’islam n’explique pas tout. Ce vote peut aussi être perçu comme un vote de protestation contre toutes une série de facteurs: la crise économique, les changements de société, l’affaire Kadhafi et les actions contestées du président de la Confédération pour la résoudre, etc.

«A ces sentiments diffus – de peur envers le fondamentalisme islamique – s’est ajouté ces derniers mois pour les Suisses l’arrogance d’une tyran musulman comme Kadhafi qui retient deux de nos concitoyens en otages et a demandé de rayer la Suisse de la carte du monde», note ainsi le Corriere del Ticino.

Et pour la Tribune de Genève «certains, polytraumatisés de la crise, ont glissé dans l’urne un vote de protestation et de méfiance plus que de haine et de défiance».

Paix des religions

Quoi qu’il en soit, les faits sont bel et bien là; en interdisant la construction de minarets, les Suisses ont choisi de stigmatiser une religion. Or pour les commentateurs, cette attitude ne cadre pas avec la Suisse qui a toujours recherché la paix entre les religions.

Les éditorialistes comprennent d’autant moins cette attitude que les musulmans de Suisse ne sont globalement pas intégristes et qu’ils s’intègrent bien dans la société. «Les musulmans de Suisse ne méritent pas l’injustice de ce vote sanction inspiré par la peur, les fantasmes et l’ignorance», juge ainsi Le Temps.

Pour les commentateurs, cette remise en cause de la paix religieuse pose en tout cas la question de la volonté de former une nation (Willensnation). Pour la Südostschweiz, ce concept doit donc être redéfini, car «les préjugés et une image romantique de soi-même sont plus forts que la réalité».

Un travail donc que les Suisses devront faire. Mais les musulmans ont aussi un effort à fournir. «Ils doivent résoudre leur problème d’image avec une ouverture accrue», juge ainsi le Bund.

Campagne trop timide

On l’a dit, le résultat de dimanche a constitué une surprise pour bon nombre de commentateurs. Cette surprise passée, d’aucuns, surtout en Suisse romande, tentent d’expliquer les raisons de ce vote.

Pour certains éditorialistes, le résultat s’explique par la campagne trop timide du gouvernement, des partis politique ainsi que des milieux économiques et religieux. «On ne les a pas beaucoup entendus», remarque ainsi La Liberté.

Les critiques fusent également dans plusieurs autres journaux romands. «Plutôt que de compter sur l’impossible sagesse populaire, le Conseil fédéral et le Parlement auraient mieux fait de prendre leurs responsabilités et de récuser une telle initiative», écrivent par exemple L’Express et L’Impartial.

Quelles conséquences?

Pour conclure, les éditorialistes s’inquiètent des conséquences possibles de ce vote. Pour l’heure, il n’est pas facile de déterminer qu’elle en sera la nature. Sanctions économiques, problèmes juridiques, voire même attentats?

En revanche, une chose est sûre. Ce vote ne peut que ternir l’image de la Suisse dans le monde. «Sa crédibilité risque de s’écrouler à la faveur d’un coup de gueule, certes de portée symbolique, mais aux conséquences incalculables», estime ainsi Le Temps. Et 24heures de rajouter: «l’interdiction de construire des minarets vient s’ajouter à une liste déjà embarrassante d’affaires économiques et politiques, qui place notre pays en position de faiblesse sur l’échiquier international».

Et, conséquence logique, l’autre chose de certaine, c’est que la Suisse aura désormais beaucoup à faire pour redorer son blason. «Nos diplomates auront beaucoup à faire», conclut la Neue Zürcher Zeitung.

Olivier Pauchard, swissinfo.ch

57,5% des Suisses ont accepté dimanche l’initiative anti-minarets.

Le taux de participation a été inhabituellement élevé (53%) lors de ce scrutin.

Seul un canton alémanique, le demi-canton de Bâle-Ville, a refusé l’initiative.

Trois cantons romands ont également dit non: Genève (59,7%), Vaud (53,1%) et Neuchâtel (50,8%).

Avec un taux d’approbation dépassant les 70%, Appenzell Rhodes-intérieures (71,5%) se pose en champion du oui à l’initiative, suivi par Glaris (68,8%) et St-Gall (65,9%).

Le Valais, le Jura et Fribourg figurent aussi dans le camp des anti-minarets, bien qu’avec des scores plus modestes (respectivement 58%, 51,2% et 55,9%).

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