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Les Kosovars de Suisse exigent des preuves

La communauté kosovare de Suisse comprend près de 200'000 membres. Keystone

Le rapport du sénateur tessinois Dick Marty dénonçant un trafic d’organes dirigé par Hashim Thaci à la fin des années 90 affecte la communauté kosovare de Suisse. Avant de croire à la culpabilité du Premier ministre, elle demande des preuves.

Des accusations «graves, inacceptables et infondées». Sur les ondes de la Radio suisse romande (RSR), Naim Malaj, ambassadeur du Kosovo en Suisse, a rejeté avec la plus grande vigueur les accusations de Dick Marty. Selon le rapport du sénateur tessinois rédigé pour le Conseil de l’Europe, l’actuel premier ministre du Kosovo Hashim Thaci serait impliqué dans un trafic d’organes prélevés sur des prisonniers serbes durant la guerre d’indépendance du Kosovo.

Cette affaire préoccupe la communauté kosovare de Suisse, qui compte près de 200’000 membres. «Ces allégations ne sont pas nouvelles. Je ne peux pas vous dire si elles sont justifiées ou non. Pour moi, l’important, c’est qu’on puisse les prouver. Je condamne toutes les activités criminelles, quelles que soient leur origine», affirme Ylfete Fanaj, élue communale à Lucerne et originaire du Kosovo.

Pour elle, le timing de ces révélations a cependant quelque chose de déroutant, puisque les Kosovars viennent de reconduire Hashim Taci dans ses fonctions. Pourquoi n’ont-elles pas été dévoilées plus tôt, si on en connaissait déjà l’existence?, s’interroge-t-elle.

Mauvaise réputation

Autre membre de la diaspora kosovare de Suisse, Hilmi Gashi pose également la question du manque de preuves matérielles dans le rapport de Dick Marty.

Et la communauté kosovare a été «quelque peu ennuyée» par ces révélations, qui surviennent dans un contexte déjà difficile. «Un sondage pointant l’impopularité dont souffrent les Albanais en Suisse vient d’être publié. De plus, il y a eu cette votation populaire pour l’expulsion des criminels étrangers. Ce n’est pas facile pour les Kosovars, ils sont préoccupés par la réputation de leur pays», soutient Hilmi Gashi.

«Le rapport tente d’inverser les rôles entre victimes et agresseurs. Au vu des réactions de la Serbie et de l’ambassadeur de Serbie en Suisse, on constate qu’ils sont clairement satisfaits, même si rien n’est prouvé dans le rapport», affirme encore Hilmi Gashi, qui tient à rappeler les crimes commis par Slobodan Milosevic et ses hommes à l’encontre des Albanais durant la guerre de 1998-99.

Motivations politiques?

Pour certains, le rapport de Dick Marty cacherait des motivations politiques. Bashkim Iseni, politologue à l’Université de Neuchâtel et responsable de la plate-forme albinfo.ch, affirme que Dick Marty s’était opposé à l’indépendance du Kosovo en 2008.

Et il souligne que ce rapport survient au moment où Hashim Thaci se prépare à mener des négociations visant à normaliser les relations entre Pristina et Belgrade. «Avec ce rapport, la Serbie se retrouve dans une position de force. De plus, la minorité serbe qui doit intégrer le gouvernement de coalition de Thaci se retrouve sous pression.»

Shemi, autre membre de la communauté kosovare désireux de garder l’anonymat, va encore plus loin: «Je pense que les Serbes sont derrière tout ça. Je n’ai pas de preuve, bien sûr, mais je pense qu’il y a une influence importante de la diplomatie serbe sur Dick Marty».

Déception

Pour Bashkim Iseni, le rapport donne du grain à moudre aux adversaires de l’indépendance du Kosovo au sein de la communauté internationale.

Les accusations à l’encontre du premier ministre kosovar avaient tout d’abord trouvé écho dans un livre de l’ancienne procureure du Tribunal pénal international (TPI) Carla del Ponte. Plusieurs Kosovars se demandent pourquoi elle n’a pas donné suite à ces allégations alors qu’elle était encore en fonction.

Les Kosovars de Suisse sont également préoccupés et déçus par la position de Berne et le fait que certains politiciens ont appelé à revenir en arrière sur la question de la reconnaissance du Kosovo, alors que ce fut l’un des premiers pays à reconnaître le jeune Etat.

La défense de Dick Marty

Dick Marty a reconnu jeudi qu’il manquait des preuves tangibles pour confirmer ses accusations. Il a affirmé que ceci était du ressort de la justice. Il a également nié toute influence politique de la Serbie sur son travail.

Suite au rapport, la Commission des questions juridiques de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a adopté à l’unanimité un projet de résolution exigeant la mise sur pied d’enquêtes nationales et internationales sur le présumé trafic d’organes au Kosovo.

Dick Marty a par ailleurs reçu le soutien d’Ueli Leuenberger, président des Verts suisses et directeur durant six ans de l’Université populaire albanaise de Genève. «En tant que procureur et politicien, Dick Marty a toujours réalisé un travail excellent et honnête. Certes, il existe certaines faiblesses dans le rapport et il faudra encore apporter des preuves. Pour cela, tous ceux qui ont la possibilité de faire apparaître la vérité à la lumière du jour doivent s’y atteler.» 

Un rôle à jouer

La communauté internationale et la Suisse ont un rôle à jouer dans ce sens, estime Ueli Leuenberger. Et la diaspora kosovare soutient les efforts de recherche de la vérité qui doit aboutir à la condamnation des coupables, peu importe dans quel camp ils se trouvent.

Pour conclure, Ylfete Fanaj souligne le besoin de changement dans un Kosovo aujourd’hui en proie au doute. «Nous avons besoin de démocratie, d’un Etat de droit et de personnes intéressées à servir les intérêts de la société.» 

L’ancienne province serbe du Kosovo s’est déclarée indépendante le 17 février 2008.
 
Le gouvernement suisse a reconnu le Kosovo le 27 février 2008. Il a été l’un des premiers à le faire.
 
Près de 200’000 Kosovars vivent en Suisse, qui est aussi l’un des premiers pays donateurs de la République pour permettre sa reconstruction après la guerre.

Après la 2e Guerre mondiale, la province du Kosovo a bénéficié d’un statut d’autonomie. Ce statut a été ancré en 1974 dans la Constitution de la Fédération yougoslave.
 
En 1989, le président serbe Slobodan Milosevic annule le statut d’autonomie et envoie l’armée au Kosovo pour faire cesser les protestations.
 
En 1998, des dizaines de milliers de Kosovars abandonnent leur maison suite à une offensive menée par Belgrade contre l’Armée de libération du Kosovo (UCK).
 
En 1999, l’OTAN bombarde la Serbie pour mettre fin au conflit entre les forces serbes et les indépendantistes albanophones. Après deux mois et demi, 50’000 soldats de l’OTAN sont stationnés au Kosovo. La province est placée sous l’administration de l’ONU.
 
En 2007, le leader séparatiste Hashim Thaci remporte les élections parlementaires et annonce que l’indépendance du Kosovo sera prochainement proclamée.
 
Le 17 février 2008
le Parlement du Kosovo proclame l’indépendance. La Suisse la reconnaît dix jours plus tard.

(Adaptation de l’anglais: Samuel Jaberg)

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