Les sénateurs prennent la culture en otage
Les milieux culturels dénoncent les sénateurs qui ont décidé de sanctionner Pro Helvetia parce qu’elle a soutenu l’artiste iconoclaste Thomas Hirschhorn.
Mardi, la majorité bourgeoise du Conseil des Etats a décidé de couper un million dans le budget de la fondation à cause de l’exposition controversée du Centre culturel suisse à Paris.
L’énervement à propos de l’exposition de Thomas Hirschhorn est certes compréhensible, reconnaît le directeur de l’Office fédéral de la culture David Streiff. Mais la coupe chez Pro Helvetia frappe les mauvaises personnes, soit les créateurs et le public.
«La pression politique n’a pas sa place dans le travail culturel. Pro Helvetia n’est pas là pour faire de la publicité à la Suisse, mais bien pour en montrer toutes les facettes», commente pour sa part l’écrivain alémanique Adolf Muschg.
Une décision «inacceptable»
Mathias Knauer, président de Suisseculture, l’association faîtière des auteurs et artistes interprètes, est consterné. Pro Helvetia, en tant qu’institution autonome, est précisément là pour maintenir une distance entre l’Etat et les décisions de nature culturelle.
Cette action de représailles est une attaque contre la liberté culturelle garantie par la Constitution, estime la présidente de la Société des artistes visuels suisses Roberta Weiss. A ce titre, la décision est inacceptable.
Couchepin juge la sanction déplacée
Même le ministre suisse de la culture Pascal Couchepin, en visite mardi à Paris, s’est dit «surpris» face à la décision des sénateurs.
«Le Parlement est souverain, mais il n’est pas souhaitable que des décisions budgétaires soient prises à l’occasion d’une polémique qui provoque des émotions», a déclaré Pascal Couchepin, en lançant un appel à un «débat de fond».
Pour le conseiller fédéral, manifestement mécontent de la tournure prise par la polémique, cette sanction n’a pas lieu d’être.
«Cela ne sert à rien de punir un délit d’opinion qui a déjà lieu», a-t-il déclaré, tout en souhaitant que le budget total soit rétabli.
«Je suis indépendant»
Pour sa part, Pro Helvetia n’a pas souhaité commenter la décision des sénateurs. Elle n’est pas définitive, le Conseil national devant encore se prononcer, souligne le directeur Pius Knüsel.
Mais si les responsables politiques ne veulent pas d’une fondation culturelle indépendante, c’est l’affaire de la Suisse, et non de Pro Helvetia, s’empresse-t-il de préciser.
La démocratie est «en danger» si l’on punit les artistes, observe pour sa part le principal intéressé, Thomas Hirschhorn. «Je suis indépendant et je ne travaille pas que pour faire de l’argent. Mais quelques politiciens utilisent cette exposition pour justifier des coupes budgétaires».
«Si, de Paris, avec une expo de cette nature, on déclenche une affaire d’Etat, c’est qu’il y a vraiment un problème en Suisse», commente encore Thomas Hirschhorn.
Sanction de la majorité bourgeoise
Par 24 voix contre 13, la Chambre des cantons a décidé mardi de réduire d’un million les subventions versées à Pro Helvetia, qui risquent de passer à 33 millions si le National se rallie à cette décision.
L’assaut est venu du démocrate-chrétien Peter Bieri. Pour lui, cette exposition donne une «image méprisante de la Suisse à l’étranger».
«L’art peut certes être critique, mais s’il piétine nos valeurs – en montrant en particulier un conseiller fédéral (Christoph Blocher) qui se fait uriner dessus – le Parlement se doit d’intervenir», a-t-il lancé.
«Il salit notre démocratie»
La présidente de la commission de la culture Christiane Langenberger a abondé en ce sens.
«Je ne peux accepter les excès d’un artiste suisse à l’étranger, qui salit notre démocratie, mais qui est subventionné par l’Etat et donc par les contribuables», a affirmé la radicale.
Le socialiste Pierre-Alain Gentil a tenté en vain de rappeler le conseil à de meilleures dispositions.
«Les goûts et les couleurs sont toujours discutables, mais le Parlement n’a pas à mener des actions de représailles contre la culture dans le cadre du budget, surtout si celles-ci sont guidées par la lecture de journaux à sensation».
Un parfum de censure
Tout en jugeant les oeuvres qu’elle a vues dans la presse vulgaires, sa collègue de parti Anita Fetz s’est inquiétée d’une manœuvre qui «sent la censure».
D’autres orateurs ont rappelé en vain que la provocation était le propre des artistes et que la démocratie helvétique était assez solide pour résister à quelques critiques.
2000 visiteurs
Entre-temps, l’exposition a attiré «près de 2000 personnes» en trois jours.
Deux tiers des visiteurs sont Français, selon le directeur du Centre culturel suisse de Paris Michel Ritter, qui souligne que la presse française n’en a pas encore parlé.
swissinfo et les agences
Thomas Hirschhorn est né à Berne en 1957.
Son exposition «Swiss-Swiss Democracy» se tient au Centre culturel suisse de Paris jusqu’au 30 janvier.
Thomas Hirschhorn a reçu le prix Joseph Beuys 2004, doté de 33’000 euros.
– Pro Helvetia a versé 180’000 francs pour soutenir l’exposition Swiss-Swiss Democraty.
– Pro Helvetia a un budget annuel de 34 millions de francs.
– Le Conseil des Etats a décidé de le réduire d’un million, suite à l’exposition controversée au Centre culturel suisse de Paris.
– Le Conseil national doit encore se prononcer.
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