«Les Suisses ne sont pas prêts à changer radicalement leur quotidien pour le climat»
Près de 70% de la population suisse est préoccupée par le réchauffement climatique, ce qui n’empêche pas une majorité des personnes d’être heureuses, révèle un grand sondage de la SSR. Paradoxal? Nous avons tenté de répondre à la question avec le politologue Lukas Golder et la directrice de Soliswiss, Nicole Töpperwien, dans notre débat filmé Let’s Talk.
À tout juste deux mois des élections fédérales, la Société suisse de radiodiffusion et télévision (SSR, dont fait partie swissinfo.ch) a tenté de savoir comment se portent les Suisses, de Suisse et du monde. Ce grand sondage réalisé par l’institut gfs.bern auprès de 57’000 personnes livre une photographie de ce qu’est la Suisse en 2023.
Le réchauffement climatique est au cœur des préoccupations des Helvètes, révèle notamment l’enquête. 69% des personnes interrogées estiment qu’il s’agit d’un grave problème et qu’il est urgent d’agir. La multiplication des événements climatiques extrêmes au cours des dernières années n’est pas étrangère à ce résultat, estime le politologue de gfs.bern Lukas Golder. «Les gens sont préoccupés par ce qui se passe dans leur vie de tous les jours. En 2018, nous avons déjà eu un été très chaud, et les Vert-e-s ont gagné les élections en 2019», relève-t-il.
La diaspora est également de plus en plus affectée par le réchauffement climatique, constate Nicole Töpperwien, directrice de Soliswiss, une coopérative qui vient en aide aux Suisses de l’étranger. «De plus en plus de personnes demandent notre soutien, par exemple à la suite d’une sécheresse ou d’un tremblement de terre», relate cette dernière. Par le passé, l’organisation focalisait son aide sur les Suisses de l’étranger touchés par des troubles politiques dans le pays d’accueil. Elle a récemment adapté ses statuts pour pouvoir également venir en aide à des personnes affectées par un événement climatique.
Se chauffer moins, mais manger de la viande
Pour lutter contre le réchauffement climatique, les Suisses sont toutefois prêts à peu de concessions. Une majorité des citoyennes et des citoyens est prête à chauffer moins son logement et à renoncer aux chauffages à gaz ou au mazout. Les Helvètes ne sont cependant pas disposés à ne plus consommer de viande, à ne plus se déplacer en voitures ou à renoncer à vivre dans une maison individuelle. «Les renoncements envisagés ne touchent pas la vie de tous les jours. Les Suisses ne sont pas prêts à trop changer leur comportement pour lutter contre le réchauffement», analyse Lukas Golder.
Soliswiss, qui conseille aussi des Suisses qui partent en voyage pour une longue période, n’a pas non plus constaté de changements significatifs des habitudes. «Pendant la pandémie, les gens sont davantage restés en Europe. Toutefois, ils ont désormais recommencé à partir un peu partout dans le monde et n’ont pas renoncé à prendre l’avion», indique Nicole Töpperwien.
Antoine Belaieff, qui a également participé à notre discussion, est installé au Canada depuis 25 ans. Membre du Parti vert’libéral, il siège au Conseil des Suisses de l’étranger et travaille pour une entreprise helvétique à distance. Pour concilier ses activités entre son pays d’accueil et d’origine, il est contraint de prendre régulièrement l’avion. Il envisage un retour en Suisse à moyen ou long terme, afin de diminuer ses émissions de gaz à effet de serre. «J’aimerais voyager plus en train, avoir un logement plus petit et chauffé aux énergies renouvelables», explique-t-il.
Heureuses et heureux malgré tout
Les différentes crises n’empêchent pas les Suisses d’être heureux, révèle également le sondage. «L’économie se porte bien, les institutions fonctionnent et la confiance envers le gouvernement est grande. Ce sont des éléments importants pour satisfaire la population», explique Lukas Golder.
La satisfaction est aussi le sentiment dominant au sein de la Cinquième Suisse. «Durant la pandémie, nous avons conseillé beaucoup de Suisses de l’étranger qui avaient un restaurant, un hôtel ou un commerce et qui avaient des problèmes financiers. Malgré cela, une majorité écrasante souhaitait pouvoir rester dans leur pays d’accueil», observe Nicole Töpperwien.
La guerre, le climat et la santé
Le sondage s’est également intéressé de manière plus approfondie aux principales préoccupations des Suisses. En plus du changement climatique, la guerre et la santé figurent en tête de liste. Le chômage et la pandémie en revanche n’inquiètent plus qu’une minorité des personnes.
Les Suisses de l’étranger partagent les mêmes soucis, mais Nicole Töpperwien met en évidence des spécificités. «De nombreuses personnes nous contactent pour des questions liées à la sécurité sociale et l’assurance-maladie», souligne la directrice de Soliswiss.
Elle remarque aussi que la question d’un éventuel retour préoccupe particulièrement la diaspora. «Celles et ceux qui n’ont pas cotisé à l’Assurance-vieillesse et survivants [principal pilier de la prévoyance vieillesse] craignent de ne pas avoir assez d’argent s’ils souhaitent revenir en Suisse», note-t-elle.
Le dénominateur commun de la démocratie directe
Si la Confédération est morcelée en quatre régions linguistiques, il existe tout de même des valeurs communes. La majorité des personnes sondées cite le respect des institutions et des lois, la maîtrise d’une langue nationale et le soin apporté à la nature et au paysage pour définir l’identité suisse. Le fait d’avoir le passeport rouge à croix blanche, d’être né en Suisse ou d’appartenir à une religion revêt beaucoup moins d’importance aux yeux des personnes interrogées.
98% des Suisses considèrent également que la démocratie directe à une valeur centrale. «Si on veut résumer l’identité suisse en un seul mot, ce serait la démocratie directe», commente Lukas Golder. Il rappelle que la Suisse est le seul pays au monde dans lequel le peuple a voté à trois reprises sur la loi Covid-19. «On a eu un débat très intense, mais à la fin les gens ont eu le pouvoir de décider et le résultat a été accepté», constate le politologue.
Pour Antoine Belaieff, la relation entre les Suisses et leur gouvernement est unique. «Les citoyennes et les citoyens voient les institutions comme des extensions d’eux-mêmes et pas comme un parent sévère contre lequel il faut toujours se rebeller», image le Suisse du Canada. Grâce aux initiatives populaires et au référendum, il constate que l’accès du peuple au processus décisionnel est important.
>> Comment se portent les Suisses de l’étranger? Les résultats du sondage:
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