Les vignerons suisses défendent leur rosé à Bruxelles
Les producteurs helvétiques de vin «traditionnel» s'opposent, avec leurs homologues français, italiens et espagnols, au projet européen d'autoriser le coupage entre des vins blancs et rouges. Ils redoutent que Berne s'aligne sur l'Union européenne s'il est adopté.
C’est ça, l’Europe: «On nous a informés, à Berne, que dans le domaine de l’agriculture, la Suisse alignerait désormais sa législation sur celle de l’Union. Alors, c’est à Bruxelles qu’on vient se battre contre l’industrialisation de nos vins», explique Claude Bocquet-Thonney, la présidente de l’Association suisse des vignerons encaveurs indépendants.
Aux côtés de ses homologues français, italiens et espagnols, elle a battu en brèche, mardi, une proposition de règlement de la Commission européenne sur les pratiques œnologiques.
Celle-ci vise à lever, dans l’Union européenne (UE), l’interdiction de coupage entre des vins blancs et rouges pour élaborer des vins rosés sans indication géographique.
Cette proposition sera soumise le 19 juin au vote d’un comité d’experts des vingt-sept Etats membres du club communautaire.
Le rosé en Europe
D’après l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV), le rosé constitue aujourd’hui 8% du total de la production mondiale de vin. En Suisse, la moyenne s’établit à 10% environ, avec un pic de 30% dans le canton de Neuchâtel.
La France est le principal pays producteur de rosé (5,9 millions d’hectolitres en 2006, soit 29% du total mondial). Elle est suivie par l’Italie (4,5 millions d’hectolitres), l’Espagne et les Etats-Unis (3,8 millions d’hectolitres).
Concurrence australienne
La Commission européenne justifie sa proposition par la nécessité de concurrencer les producteurs de vin non européens – australiens ou sud-africains notamment -, qui peuvent déjà vendre du rosé coupé dans les supermarchés. Elle fait en outre remarquer que la pratique du coupage n’est pas interdite par l’OIV.
«En plus, cette proposition répond à une demande du secteur et une majorité d’Etats membres de l’UE, dont la France, qui l’a approuvée» lors d’un vote indicatif qui a eu lieu en janvier, affirme Michael Mann, le porte-parole de la commissaire européenne à l’agriculture, la Danoise Mariann Fischer Boel.
Bruxelles avait alors réussi à amadouer les Vingt-Sept en leur suggérant un compromis sur l’étiquetage: il permettrait aux pays qui le souhaitent d’ordonner l’apposition de la mention «rosé traditionnel» ou «rosé par coupage» sur les bouteilles contenant du vin produit sur leur territoire.
Encouragement à la contrefaçon
Malgré cela, le projet de la Commission, dont Paris est soudainement devenu le principal contempteur, «est inacceptable» en France, relève Xavier de Volontat, le président de l’Association générale de la production viticole, car «les producteurs de rosé ont investi beaucoup de temps et d’efforts ces dernières années dans l’élaboration d’un produit noble.»
«Ce que la Commission propose, ce n’est ni plus, ni moins qu’une tromperie du consommateur, un encouragement à la contrefaçon et une dérive vers une viticulture et une œnologie à logique industrielle que nous refusons!», ajoute Jean-Jacques Bréban, le président du Conseil interprofessionnel des vins de Provence.
Il n’y a pas que cela. «La proposition, si elle était acceptée, entraînerait de très graves conséquences sur le plan économique, de l’emploi et de l’aménagement du territoire de nombreuses régions de l’Union mais aussi dans certains pays tiers comme la Suisse, où la production de vin rosé contribue de façon importante au dynamisme de la filière», souligne Claude Bocquet-Thonney.
Même langage pour les agriculteurs
«Les coûts de production en Suisse sont élevés, les salaires des ouvriers viticoles sont les plus hauts d’Europe et les producteurs travaillent en respectant des normes écologiques qui sont toujours plus strictes», poursuit la Suissesse.
«Vouloir à tout prix faire des vins bon marché pour concurrencer des vins produits outre Atlantique, dans des pays où les employés sont payés 200 euros par mois, où les consommateurs ne savent plus ce qu’est un légume frais, boivent des colas en mangeant du fromage en tube et où l’écologie est le dernier des soucis est utopique et irréaliste. Nous devons miser sur des vins de qualité qui permettent aux vignerons de vivre de leur travail.»
Des agriculteurs helvétiques ont à peu près tenu le même langage, lundi à Bruxelles, en participant à une manifestation européenne dénonçant la suppression des quotas laitiers prônée par la Commission européenne. A qui le tour, maintenant?
Tanguy Verhoosel, Bruxelles, swissinfo.ch
Ni rouge, ni blanc. Du point de vue technique, le vin rosé n’est ni un vin blanc, ni un vin rouge. Il possède un mode d’élaboration spécifique, raison pour laquelle le projet de la Commission européenne est inacceptable aux yeux de certains producteurs
Ni rouge. La différence entre le rosé et le vin rouge porte sur le moment et la durée de la macération pelliculaire. Dans le cas du rosé, celle-ci se déroule dans le moût avant fermentation alors que pour le vin rouge elle a lieu avant, pendant et après la fermentation en présence d’alcool.
Ni blanc. La différence entre le rosé et le vin blanc porte sur la nature des cépages et sur leur composition. Outre par la couleur, ils diffèrent par leur composition aromatique et leur texture.
Cépages. Les cépages (cabernet franc, merlot, pinot noir, gamay, syrah, etc.) qui servent à l’élaboration des rosés, sont très nombreux et ne sont pas spécifiques de ce type de vinification puisqu’ils servent aussi à la production de vins rouges.
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