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Libye: l’horreur d’un conflit en vase clos

Des opposants au régime Kadhafi face à un puits de pétrole en feu, mercredi, sur la route entre Ras Lanuf et Bin Jawad. Reuters

Alors que la Libye s’enfonce un peu plus dans la guerre civile, le CICR annonce à Genève qu’il faut «se préparer au pire». De son côté, le HCR s’inquiète du blocage des frontières libyennes.

«Nous devons craindre une intensification du conflit et l’arrivée de nombreux blessés dans les hôpitaux», a affirmé Jakob Kellenberger, président du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui a convoqué la presse pour la première fois depuis le début de la crise en Libye. 

«Nous sommes maintenant en présence d’une situation de conflit armé non international et de guerre civile», a-t-il souligné.

De plus en plus de victimes

Le CICR ne pouvant travailler dans tout le pays, Jakob Kellenberger a refusé de quantifier le nombre de victimes. Mais selon lui, les médecins locaux ont constaté une hausse importante du nombre de victimes, mentionnant notamment les hôpitaux d’Ajdabya et de Misrata, cette dernière ayant été le théâtre de violents combats et de frappes aériennes ces derniers jours.

Contacté en Libye par swissinfo.ch, Hicham Hassan, l’un des délégués du CICR parmi la vingtaine qui travaillent à Benghazi et à Ajdabiyah, confirme l’augmentation du nombre de victimes. «Ces derniers jours, des dizaines de blessés ont été accueillis à Ajdabiyah, Brega et Misrata», dit-il.

«Des médecins font appel à nous, en tant que Croix-Rouge, pour nous demander de l’aide, mais nous n’avons pas accès à l’ouest. J’ai eu un appel d’un docteur de Zawiya qui mentionnait des dizaines de blessés, et j’ai reçu un rapport d’un médecin de Ras Lanuf qui parle également de nombreux blessés et de disparus».

A Genève, Jakob Kellenberger s’est déclaré «très préoccupé par le manque d’accès de l’aide humanitaire dans l’ouest de la Libye». Malgré des démarches répétées, les autorités de Tripoli ont refusé jusqu’à présent de donner accès au CICR à la partie occidentale du pays sous le contrôle des forces pro-Kadhafi.

Selon Jakob Kellenberger, les autorités de Tripoli répondent aux demandes du CICR en déclarant que «tout va bien», que «la situation est sous contrôle» et qu’«il n’y a pas de besoins dans les hôpitaux».

Les frontières se ferment

Mercredi, lors d’une conférence de presse mettant un terme à une visite de deux jours en Tunisie durant laquelle ils se sont rendus dans la zone frontalière tuniso-libyenne, le Haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) Antonio Guterres et le directeur général de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) William Swing ont également évoqué la situation libyenne.

Ils ont notamment constaté la baisse sensible du flux de réfugiés, qui a chuté de quelque 15’000 personnes par jour à moins de 2000 ces derniers jours à la frontière avec la Tunisie.

«Nous sommes très préoccupés par le fait que des gens soient empêchés de sortir de Libye», constate Melissa Fleming, porte-parole du HCR, jointe par téléphone. «Nous avons entendu parler de barrages routiers, où les gens sont stoppés, intimidés, on saisit leurs téléphones, leurs appareils photos. Il semble que certaines routes de Tripoli soient fermées – on ignore si c’est une mesure permanente, mais en tout cas, de nombreux témoignages nous sont parvenus à ce propos hier». 

Si la situation des citoyens libyens est grave, celle de certaines communautés étrangères l’est tout autant, voire plus encore. «Nous avons des collaborateurs libyens à Tripoli qui font de leur mieux pour aider les réfugiés qui entrent en contact avec le HCR. En particulier des réfugiés d’Afrique subsaharienne – Somalie, Erythrée – qui craignent vraiment pour leur vie. Ils sont pourchassés, des Libyens armés vont de maison en maison à leur recherche, ils se sentent pris au piège, c’est une situation horrible», explique Melissa Fleming.

Les attentes du HCR? «Nous demandons que l’aide humanitaire puisse entrer en Libye et que les gens qui veulent s’enfuir le puissent… Il est clair que nous n’entrons pas dans le débat concernant une zone d’exclusion aérienne, mais nous appelons à la fin de ces combats qui affectent terriblement les civils: des gens souffrent, des gens meurent…»

Soutien diplomatique

Interrogé sur la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye, Jakob  Kellenberger a également répondu que c’est une question politique et que ce n’est pas au CICR de proposer des mesures. Il a toutefois ajouté que «la communauté internationale a la responsabilité de faire respecter le droit humanitaire dans un pays tiers».

Sur cette même question, Ahmed El Gasir, de l’ONG libyenne «Human Rights Solidarity», basée à Genève, reste prudent. «Une telle zone implique une action militaire. Et cela compliquerait les choses. Il est important que le soutien international reste indirect», dit-il.

C’est-à-dire diplomatique tout d’abord. «Nous attendons que la communauté internationale reconnaisse maintenant le Conseil national libyen de transition (le CNT, fondé le 27 février à Benghazi, ndlr) comme la nouvelle autorité légitime de la Libye. C’est le message le plus clair que la communauté puisse envoyer, et signifier ainsi que Kadhafi ne représente plus rien, qu’il est un hors-la-loi. Il doit être déféré au Tribunal international à La Haye. La reconnaissance du CNT par la communauté internationale accélérera la chute de ce régime de terreur.»

Chose faite ce jeudi, à la surprise générale, par la France, qui a reconnu le CNT comme le seul «représentant légitime du peuple libyen». Paris dit d’ailleurs vouloir envoyer prochainement un ambassadeur à Benghazi.

A noter que mercredi, la présidente de la Confédération Micheline Calmy-Rey a reçu un représentant du CNT. Mais la Confédération, pour le moment, n’ira pas plus loin: «Vous savez que dans notre pratique en matière de reconnaissance, on reconnaît non pas les gouvernements, mais les pays», a déclaré jeudi Micheline Calmy-Rey sur les ondes de la Radio Suisse Romande.  

France. La France est le premier pays à reconnaître le CNT en tant que seul représentant «légitime» du peuple libyen.

Bruxelles. La décision française a profondément surpris les pays de l’UE dont les ministres des Affaires étrangères étaient réunis à Bruxelles pour discuter de la Libye.

 

Allemagne. A Berlin, le secrétaire d’Etat allemand aux Affaires étrangères, Werner Hoyer, s’est montré sceptique quant à une telle reconnaissance du CNT. Berlin juge la situation «encore trop confuse pour décider comment on doit procéder».

 

Italie. Le chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi, a jugé quant à lui «préférable d’attendre la position de l’ensemble de l’Union européenne».

Grande-Bretagne. «Le Royaume-Uni reconnaît des Etats, pas des gouvernements. Le Conseil national de transition est un interlocuteur valable avec lequel nous souhaitons travailler étroitement», a déclaré plus tard une porte-parole du ministère britannique des Affaires étrangères.

Libye. Tripoli a annoncé envisager de rompre ses relations diplomatiques avec la France après la reconnaissance par Paris du CNT, a indiqué l’agence officielle Jana, citant un responsable du ministère des Affaires étrangères.

  

USA. Les Etats-Unis sont en train de suspendre leurs relations avec l’ambassade de Libye à Washington afin de pousser à sa fermeture.

Contre-offensive. Selon la télévision d’Etat libyenne, la ville pétrolière de Ras Lanouf, bastion de l’opposition le plus avancé dans l’Est, a été «purgée» des «insurgés» et les forces pro-Kadhafi se dirigent vers Benghazi, fief de l’insurrection.

 

OTAN. L’Otan estime que le temps presse en ce qui concerne l’évolution des événement en Libye et se tient prête à agir si elle en reçoit le mandat, a déclaré jeudi le secrétaire général de l’Alliance atlantique, Anders Fogh Rasmussen.

 

France. Selon une source anonyme, le président Nicolas Sarkozy s’apprêterait à proposer à ses partenaires de l’UE des «frappes aériennes ciblées» en Libye. Le brouillage des systèmes de transmission du commandement du colonel Kadhafi serait aussi envisagé.

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