«L’incertitude est le pire poison pour les acteurs du commerce international»
Retour du protectionnisme, renégociation des relations avec l’Union européenne ou encore difficultés sur le marché chinois. Dans un contexte géopolitique chahuté, avec qui et comment la Suisse doit-elle commercer? Les trois invités de notre débat filmé Let’s Talk en ont débattu.
La Suisse gagne plus d’un franc sur trois à l’étranger. Le commerce extérieur est l’une des clés de son succès, mais cela la rend aussi fortement dépendante du contexte géopolitique.
Pour maintenir sa prospérité, la Confédération mise donc sur un vaste réseau d’accords de libre-échange: elle en a signé 35 avec 45 pays ou groupes de pays. «Ces accords sont vitaux pour un petit pays comme la Suisse, dont le marché intérieur est exigu. La Confédération a intérêt à diversifier ses partenaires commerciaux», souligne Christine Kaddous, professeure de droit à l’Université de Genève, dans Let’s Talk.
Le dernier accord de libre-échange signé par la Suisse, aux côtés des autres membres de l’Association européenne de libre-échange (AELE), est celui avec l’Inde, conclu en mars dernier. Cédric Dupont, professeur de relations internationales à l’Institut des hautes études internationales et du développement, considère qu’il s’agit d’une réussite. «Nous sommes les premiers après l’Australie à avoir réussi à signer un tel accord avec l’Inde», salue-t-il.
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Qui bénéficie des accords de libre-échange avec la Suisse?
«Cela va faciliter l’accès des entreprises suisses au marché indien», se réjouit Philippe Cordonier, directeur romand de Swissmem, la faîtière de l’industrie des machines, des équipements électriques et des métaux, également invité dans l’émission. Il souligne que l’Inde est certes un partenaire commercial mineur pour la Suisse, mais qu’il s’agit d’un marché avec un fort potentiel de croissance. De manière générale, Philippe Cordonier considère ce réseau d’accords comme un véritable avantage concurrentiel pour la Suisse par rapport aux pays qui n’en ont pas.
Lakshmi Sundaram, la déléguée de l’organisation des Suisses de l’étranger pour le Royaume-Uni, qui participait à l’émission à distance, porte un regard plus nuancé sur les accords de libre-échange. Depuis le Brexit, son pays de résidence mise également sur la conclusion d’accords commerciaux avec ses partenaires. «Toutefois, les bénéfices sont moindres en comparaison avec les effets négatifs de notre sortie de l’UE, que nous ressentons au quotidien», déplore-t-elle.
Le prochain accord à l’agenda de la Confédération pourrait être celui avec les pays du Mercosur. Cependant, les discussions piétinent depuis plusieurs années. Christine Kaddous considère que le dossier n’est pas prêt de se débloquer: «D’un côté, on a une résistance importante des milieux agricoles. De l’autre, l’économie y voit une piste pour diversifier encore plus les relations commerciales de la Suisse».
Aux yeux de Cédric Dupont, ce sont avant tout les organisations de défense de l’environnement qui constituent le principal obstacle à l’aboutissement d’un accord avec l’Amérique du Sud. Ces dernières craignent les impacts écologiques négatifs d’un tel partenariat. «En revanche, les négociateurs suisses ont pris au sérieux les préoccupations des agriculteurs, qui ne semblent pas inquiets», note-t-il.
Le protectionnisme: «du perdant-perdant»
L’économie suisse doit aussi faire face à la résurgence du protectionnisme dans les relations internationales. Cette tendance devrait se trouver renforcée avec le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, qui a déjà promis d’augmenter les droits de douane. «Pour les États-Unis, cela revient à se tirer une balle dans le pied. Donald Trump n’est pas dans le domaine de l’économie, mais dans le fantasme politique», affirme Cédric Dupont.
«Le protectionnisme, c’est du perdant-perdant», estime pour sa part Philippe Cordonier. Le directeur romand de Swissmem craint également l’imprévisibilité de Donald Trump, néfaste pour l’industrie. Il identifie toutefois une opportunité pour les entreprises helvétiques: «Elles peuvent contribuer à aider les Américains à faire revivre certaines industries en leur vendant des machines, mais aussi en les aidant à mieux former leur personnel».
La politique suisse en bref: l’essentiel pour prendre des décisions démocratiques éclairées réuni dans une seule newsletter.
La Confédération n’a cependant pas intérêt à adopter à son tour des mesures protectionnistes pour protéger son industrie, dont certains secteurs sont à la peine, considèrent les trois invités de Let’s Talk. «La politique industrielle revient un peu au goût du jour sur de grands marchés, aux États-Unis, dans l’Union européenne ou en Inde. Toutefois, il s’agit d’un outil qui a été largement décrédibilisé», souligne Cédric Dupont.
Un avis partagé par Christine Kaddous, qui estime que l’approche libérale de la Suisse est avantageuse pour un petit pays. Elle est également en défaveur d’un soutien étatique à une branche industrielle en particulier. Pour soutenir les aciéries suisses qui souffrent et licencient massivement en Suisse, elle estime cependant que, comme l’a proposée une commission parlementaire, leur accorder des rabais sur l’électricité est une piste intéressante.
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Un accord entre Berne et Bruxelles attendu
Le flou qui entoure les relations entre la Suisse et l’Union européenne depuis l’abandon de l’accord-cadre en 2021 pèse également sur l’économie, considère Cédric Dupont. «L’incertitude est le pire poison pour le commerce international et la prospérité des acteurs qui y participent», déplore le professeur de relations internationales. À ses yeux, il est ainsi urgent que les négociations entre Berne et Bruxelles aboutissent. «Nous devons arriver à quelque chose qui soit plus facile à mettre à jour», ajoute-t-il.
Philippe Cordonier est du même avis. «L’industrie souffre de l’incertitude. Il est donc important que nous aboutissions rapidement à un accord avec l’UE», dit-il. Il déplore toutefois le manque de transparence autour des négociations en cours: «Nous devrions savoir ce que contient l’accord pour pouvoir nous prononcer sur son contenu, mais aujourd’hui ce n’est pas le cas».
Experte des relations entre la Suisse et l’Union européenne, Christine Kaddous se veut plutôt optimiste sur l’avancée des négociations. «La visite à Berne du vice-président de la Commission européenne Maros Sefcovic fin novembre signifie qu’une étape importante des négociations a été franchie. Cela devrait permettre la conclusion d’un accord prochainement.»
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Les relations difficiles entre la Suisse et l’Union européenne
Production: Samuel Jaberg
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