Même à l’aube d’un changement d’époque, Berne ne change pas

Le travail parlementaire de la session de printemps a été productif et constructif. Au vu des bouleversements de la situation géopolitique globale, cette normalité peut paraître irréelle, mais il s’agit d’une force. Analyse.
Le Parlement à Berne a son propre rythme, ses propres priorités. Lorsque le gouvernement américain à la Maison-Blanche chamboule la géopolitique, créant une onde de choc à travers l’Europe, sous la Coupole fédérale, les représentants du peuple et des cantons suisses commencent à s’interroger.
Les parlementaires se demandent ce que signifie le fait que les États-Unis se détournent de l’Europe. La Suisse a-t-elle besoin d’alliances plus fortes ou le petit pays ferait-il mieux de se replier sur lui-même et d’attendre en silence que la tempête passe?
L’élection au Conseil fédéral: un point central
Dans les couloirs du Palais fédéral, les hommes et les femmes politiques appellent volontiers à des actions rapides, même dans les périodes plus calmes. Mais tout le monde sait que la politique suisse ne connaît pas d’instruments permettant des changements immédiats.
En effet, à Berne, toute proposition, petite ou grande, passe d’abord par une commission, puis par une Chambre, par la seconde, avant d’éventuellement revenir à la première. Enfin, elle arrive sur la table du Conseil fédéral, qui doit élaborer une mise en œuvre, qui reviendra au Parlement de nombreux mois plus tard.
C’est aussi pour cette raison que, lors de cette session de printemps, l’élection d’un nouveau membre au Conseil fédéral a fait office de substitut à ce que la politique suisse ne parvient pas à réaliser rapidement.
La désignation d’un futur ministre de la Défense est devenue une affaire de taille. Elle est intervenue après la démission abrupte de la conseillère fédérale Viola Amherd, arrivée presque aussi vite qu’une décision de Donald Trump et dans une situation sécuritaire empreinte de nervosité. Les deux candidats du Centre ont ainsi cristallisé tout le besoin d’action d’une nation en quête de repères.
«Un bon signe pour la démocratie»
La campagne des deux candidats au Conseil fédéral a été un spectacle, une course, un drame. L’élection elle-même s’est en revanche déroulée de manière peu spectaculaire, sans jeux ni intrigues. «C’est un bon signe pour la démocratie. Nous avons aussi pu montrer à la population notre capacité de fonctionnement en tant que Parlement», a estimé la vice-présidente du Conseil national Katja Christ. «Dans un monde imprévisible, la stabilité est une valeur en soi», commente le quotidien alémanique Neue Zürcher Zeitung (NZZ).

Martin Pfister devient ainsi conseiller fédéral. Ce politicien cantonal jusqu’ici peu connu, colonel à l’armée, historien, considère la neutralité comme un instrument flexible et veut coopérer avec l’OTAN, comme il l’a encore répété le jour de son élection. «Cette élection montre que même la Suisse neutre ressent le besoin urgent de renforcer sa défense», a fait remarquer le Financial TimesLien externe.
Plus de collégialité au gouvernement
La plupart des parlementaires font également confiance à Martin Pfister pour ramener plus de collégialité au sein du Conseil fédéral. Celle-ci a été mise à mal par les dernières tempêtes et les débats autour des économies. Cela a débouché sur des indiscrétions et des jeux de pouvoir.
La tension baisse. Nous sommes mercredi après-midi, au milieu des trois semaines de la session de printemps. Le nouveau Conseil fédéral est élu. Avec les médias, l’agitation a également disparu du Palais fédéral. Le soleil brille à travers les fenêtres du bâtiment du Parlement, une fraîcheur printanière s’y engouffre. Les quelques membres du Conseil des États (Chambre haute) et du Conseil national (Chambre basse) qui sont encore au Palais fédéral quelques heures après l’élection au gouvernement travaillent en silence sur leurs dossiers. C’est le moment de se concentrer.
Pas de décision est une décision
Travailler dans la politique suisse, c’est souvent laisser délibérément traîner les choses, «ne pas entrer en matière» dans le jargon. Il y a toujours des choses qui ne changent pas, même après de longues tergiversations. Lors de cette session, c’est le cas pour l’agriculture suisse. Elle continue à recevoir ses subventions, même si la Confédération fait des économies dans de nombreux autres domaines.
Ou encore l’hôtellerie suisse: elle continue à bénéficier d’un taux de TVA réduitLien externe. Cette subvention de 270 millions de francs par année, introduite il y a 20 ans comme aide d’urgence, est donc prolongée pour la septième fois, pour une durée indéterminée, même si la Confédération est en train de faire économies.
L’UNRWA toujours soutenue
Les élus ont également décidé de continuer à soutenir l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les Palestiniens (UNRWA). Cette organisation onusienne controversée, dirigée depuis de nombreuses années par la Suisse, est depuis des années un sujet de discussion sous la Coupole fédérale. Le Parlement avait déjà réduit de 20 à 10 millions de francs sa subvention à l’UNRWA l’an dernier, et le Conseil national voulait cette fois la supprimerLien externe.

Le Conseil des États n’a pas suivi la Chambre basse, et la Suisse n’a donc symboliquement pas renoncé à l’UNRWA. Il faut reconnaître qu’elle a du mérite: mis à part Israël, aucun autre pays n’a discuté aussi intensément de l’UNRWA. L’un des résultats de ces longues discussions est l’exigence que le Conseil fédéral s’occupe de trouver une solution de remplacement à l’organisation.
Une petite discrimination à l’encontre des Suisses subsiste aussi toujours, malgré de nombreux débats et de multiples allers-retours entre les Chambres du Parlement. Par rapport aux citoyennes et citoyens des pays de l’Union européenne et de l’AELE, les Suisses sont moins bien lotis lorsqu’ils souhaitent faire venir en Suisse des membres de leur famille en provenance d’États tiers, par exemple des grands-parents du Sri Lanka ou du Brésil.
La discrimination concerne potentiellement aussi les Suissesses de l’étranger qui rentrent au pays. L’Organisation des Suisses de l’étranger (OSE) plaidait donc pour une adaptation de la loi. Le Parlement a toutefois choisi la voie qui lui semblait la plus sûre: ne rien changer, et ainsi ne pas avoir de surprises avec une éventuelle immigration incontrôlée.
La politique des petits pas
Finalement, le véritable cœur du travail des Chambres est constitué de nombreux petits pas. La décision du Conseil des États de rendre imprescriptibles l’assassinat et les abus sexuelsLien externe commis sur des mineurs en est un. Le Conseil national devra à son tour examiner le projet.
Une petite décision a également été prise concernant la 13e rente AVS: elle devrait être versée pour la première fois en décembre 2026. Mais le dossier doit encore franchir une grande étape, puisque la manière de financer cette rente supplémentaire n’a pas encore été déterminée.
La question de savoir comment la Suisse entend gérer les cas où d’autres États achètent des entreprises suisses n’est pas non plus résolue. Une «Lex China» visant à contrôler de tels investissementsLien externe est sur la table depuis des années. Le Conseil des États a au moins désormais décidé qu’il souhaitait en débattre.
Durcissement de l’asile
Dans le cadre de cette session s’est à nouveau tenue une session spéciale sur l’asile, à la demande de l’Union démocratique du centre (UDC). C’est le thème phare du parti de la droite conservatrice, mais il préoccupe aussi de plus en plus les autres partis bourgeois. Philipp Burkhardt, responsable la rédaction politique fédérale de la radiotélévision suisse alémanique SRF, observe à ce propos un «changement d’attitude du Parlement en faveur de nouveaux durcissements».
Im Parlament findet im #AsylLien externe– und Ausländerbereich zunehmend ein Umdenken in Richtung weitere Verschärfungen statt.
— Philipp Burkhardt (@BurkhardtPhilip) March 13, 2025Lien externe
Wie am Montag der Nationalrat hat heute auch der #StänderatLien externe eine Reihe von entsprechenden Vorstössen angenommen – gegen den Widerstand des Bundesrates. (1/7) pic.twitter.com/XeoKOYekGLLien externe
En effet, dans ce domaine, les nombreux petits pas s’additionnent peu à peu pour former une action lisible. Le Conseil national et le Conseil des États ont notamment décidé de restreindre la liberté de mouvement des demandeurs d’asile criminels et de les exclure des procédures d’asile.
Le ministre de la Justice Beat Jans a tenté en vain de mettre en garde contre le risque que le Tribunal fédéral annule ces décisions. Les frontières doivent également être contrôlées de manière plus intensive et les séjours illégaux enregistrés de manière plus systématique.
Le Parlement renforce la règlementation bancaire
L’examen de la chute de Crédit Suisse s’est révélé substantiel et approfondi. Une Commission d’enquête parlementaire (CEP) a mené une enquête minutieuse et a proposé un catalogue précis de réglementations renforcées à appliquer aux banques d’importance systémique. Le Parlement a adopté le paquet et l’a envoyé au Conseil fédéral pour qu’il le mette en œuvre. Le lobbying des banques n’a ici rien pu faire.
>> Le durcissement des règles pourrait avoir des répercussions sur les relations bancaires des Suisses de l’étranger:

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Restent les grandes lignes de la politique mondiale. Comme nous l’avons mentionné, rien n’est décidé rapidement et la politique étrangère est de toute manière du ressort du Conseil fédéral. Il ne restait donc au Conseil national qu’un seul moyen d’action: une déclaration non contraignante, adoptée par 115 voix contre 66. Elle affirme qu’«une Europe souveraine et fondée sur des règles» est nécessaire pour la paix et la sécurité. La Suisse devrait y contribuer «dans le cadre de ses obligations légales de neutralité».
Relu et vérifié par Samuel Jaberg / traduit de l’allemand par Katy Romy
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