Marché du livre: «La peur est mauvaise conseillère»
Le marché du livre vit des heures difficiles en Suisse, à cause de la crise, du franc fort, du commerce électronique et du livre numérique. Les professionnels placent leurs espoirs dans le prix réglementé et la spécialisation.
«Notre chiffre d’affaires est en baisse pour la troisième année consécutive, et les pertes sont nettement plus fortes que dans les autres domaines de la vente de détail». Ce constat alarmant, c’est Daniel Landolf, directeur de l’Association des libraires et éditeurs alémaniques (SBVV), qui le tire.
Selon lui, la crise du secteur du livre a plusieurs explications. Le franc suisse, la pression des chaînes de discounters et la disparition – en Suisse alémanique, où le système a existé jusqu’en 2007 – du prix unique du livre. La montée en force du livre électronique participe aussi à la chute des ventes. En clair: le marché du livre se trouve confronté au défi de changements structurels profonds.
«Nous avons tous les problèmes imaginables», confirme Francine Bouchet, directrice des Editions La Joie de lire, qui avait cette année un stand à la Foire du livre de Bâle. «Par exemple, la France, où nous réalisons 70% de notre chiffre d’affaires, a augmenté la TVA, et ce pour les livres également.»
Pourtant, l’intérêt pour les livres ne semble pas faiblir. Ainsi, à la Foire du livre de Bâle, qui s’est tenue du 18 au 20 novembre, le nombre d’exposants a augmenté de 20% et le nombre de visiteurs de 4%.
Votation sur le prix réglementé
Les milieux du livre – en tout cas la grande majorité de ses acteurs – espèrent beaucoup de la réintroduction d’un prix réglementé. La solution adoptée par le Parlement a cependant été attaquée par référendum et les Suisses se prononceront dans les urnes le 11 mars prochain. Les référendaires estiment qu’un prix unique n’est pas favorable aux consommateurs et mènera à la création d’un «cartel du livre».
«Depuis que le système du prix unique a dû être abandonné en Suisse alémanique, la guerre des prix s’est installée sur le marché», affirme Anne Riesen, responsable pour les médias, la distribution et les licences de l’éditeur bernois Zytglogge, lui aussi présent à Bâle.
«Des prix fixes feraient que tout le monde a les mêmes chances sur le marché. Il n’est pas juste que certains attirent les clients avec des rabais», renchérit Heinz Scheidegger, de la maison d’édition Edition 8, appartenant, comme Zytglogge, à l’alliance des Swiss Independent Publishers (Swips), qui regroupe plus de vingt maisons.
«Préserver la diversité»
La SBVV fera campagne contre «le dumping sur les prix et la concurrence des discounters», explique Daniel Landolf. Le prix réglementé permettra aussi de conserver la diversité des librairies en Suisse. «Nous ne voulons pas d’une situation anglaise, où plus de la moitié des villes n’ont plus de librairie et s’appauvrissent culturellement», fustige le directeur de l’association alémanique.
En attendant, beaucoup de librairies voient leur avenir dans la spécialisation. «L’expérience des dernières années montre que les échoppes qui se spécialisent ou se positionnent dans un secteur spécifique ont des chances de traverser la crise», note Fritz Hartmann, représentant suisse de l’éditeur allemand Suhrkamp.
E-book: danger ou chance?
Le stand de Thalia, une des plus grandes chaînes de librairies en Suisse alémanique, était particulièrement frappant: la marque avait choisi de ne présenter que des livres électroniques. «Nous sommes convaincus que la lecture numérique va prendre de l’ampleur en Suisse également et qu’elle sera un pilier de nos activités», annonce Irina Jermann, directrice du marketing et de la communication de Thalia Suisse.
L’écrivain Guy Krneta ne rejette pas cette évolution. Présent sur le stand de Thalia, il estime que le livre électronique peut «redonner une nouvelle importance à des textes qui avaient disparu.» Il n’en demeure pas moins, selon lui, que le livre reste une «invention incroyable, avec de nombreux avantages.»
Le livre électronique fait partie des trois stratégies de Thalia pour endiguer les effets négatifs de l’évolution actuelle. «La deuxième est la vente en ligne et la troisième consiste à compléter l’assortiment de livres par ce que l’on appelle des objets proches du livre», explique Irina Jermann.
Secteur affaibli
«Les milieux du livre essayent depuis des années de ne pas répéter les erreurs commises par l’industrie du disque», explique Daniel Landolf. Les grands éditeurs ne sont pas seuls à ne pas manquer le virage de la numérisation. Les petites maisons s’y sont aussi mises. Mais pour l’heure, personne ne fait de bénéfices avec le livre électronique.
«La peur est mauvaise conseillère, assure Francine Bouchet. Rien ne sert d’ignorer les changements en cours. Nous avons commencé à numériser tous les titres littéraires de notre catalogue, avec l’aide du Centre National des Lettres de Paris.»
Zytglogge s’équipe aussi. «C’est une grande chance pour les livres épuisés ou n’existant plus qu’en petites quantités», précise Anne Riesen. Heinz Scheidegger (Edition 8) est même convaincu que l’e-book ne fera pas disparaître le livre en papier et qu’il y aura, ces prochaines années, «une coexistence des deux supports.»
Comme pour confirmer la pérennité du papier, Amazon, la plus grande plateforme de ventes en ligne du monde, vient de décider d’investir dans l’édition de livres. Une nouvelle concurrence? «Oui, mais cette concurrence fait vivre le marché, dit Daniel Landolf. D’autant plus qu’Amazon n’est intéressé que par les auteurs déjà connus.»
La fixation d’un prix unique du livre a été interdite au début des années 1990 en Suisse romande, en mai 2007 en Suisse alémanique. La Suisse italienne n’a jamais connu un tel système.
Des prix uniques du livre existent en Allemagne, en Autriche, en France, en Italie, en Grèce, aux Pays-Bas, en Espagne et au Portugal.
La Belgique, l’Estonie, la Finlande, la Grande-Bretagne, l’Irlande, l’Islande, la Pologne, la Suède et la République tchèque en revanche connaissent des prix libéralisés dans le marché du livre.
Source: Wikipédia
Selon l’Association des libraires et éditeur alémaniques (SBVV), les statistiques concernant le marché du livre en Suisse sont très rudimentaires. «Il y a très peu de chiffres officiels qui permettraient une vision d’ensemble fiable», explique l’association sur son site Internet.
Mais un fait est néanmoins certain: le nombre de librairies ne cesse de diminuer en Suisse.
Selon l’Office fédéral de la statistique, leur nombre est passé de 622 à 599 entre 1991 et 2005. En 2005, il y avait 415 librairies en Suisse alémanique, 154 en Suisse romande et 30 au Tessin.
Le journal économique Handelszeitung a indiqué que 290 librairies subsistaient en Suisse alémanique à fin 2010, que neuf éditeurs avaient dû fermer boutique depuis 1990 et que vingt autres maisons avaient pu survivre en étant reprises par des concurrents.
Les statistiques de
Media Control
montrent une chute du chiffre d’affaires dans le secteur du livre de plus de 13% entre août 2010 et août 2011.
(Traduction de l’allemand: Ariane Gigon)
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