Nina Fehr Düsel, une main de fer dans un gant de velours
Comment la nouvelle conseillère nationale UDC Nina Fehr Düsel, fille d'un ancien député du même parti, concilie-t-elle sa vie de femme moderne avec les valeurs conservatrices prônées par sa formation? Portrait.
Ils et elles portent des noms comme Giezendanner, Wasserfallen, Blocher – ou Fehr. Après leurs pères qui ont siégé à la chambre basse du Parlement suisse, plusieurs descendants et descendantes ont repris le flambeau. Le défi de ces parlementaires est de sortir de l’ombre tutélaire pour se forger leur propre identité.
Fille de Hans Fehr, ancien conseiller national UDC (Union démocratique du Centre, droite conservatrice), Nina Fehr Düsel, 43 ans, aborde le sujet avec décontraction. Elle pense que le temps œuvrera en sa faveur.
De son temps, son père incarnait la ligne dure de l’UDC et avait fait de l’immigration son thème de prédilection. Les ressortissant-es d’Erythrée, du Kosovo et, surtout, les musulmans étaient dans sa ligne de mire. L’année de son départ du Conseil national après vingt ans de mandat, en 2015, sa fille a fait son entrée au parlement cantonal de Zurich.
Elle s’est déjà fait un prénom en s’opposant au port obligatoire du masque à l’école pendant la pandémie. Et en octobre 2023, elle a à son tour été élue au Conseil national. A Berne, la Zurichoise est perçue comme moins dure que son père.
En octobre dernier, 56 nouveaux et nouvelles élu-es ont fait leur entrée sous la Coupole fédérale. L’UDC, Le Centre et le Parti socialiste, les trois partis qui ont le plus progressé lors des élections fédérales 2023, comptent le plus de nouveaux venus au Parlement.
À l’inverse, les Vert-e-s, grands perdants de ces élections, ne sont pas parvenus à amener du sang neuf à Berne. Dans cette série, swissinfo.ch dresse le portrait de neuf parlementaires qui font leurs premiers pas au sein du législatif fédéral.
Agréable à côtoyer
«Les gens qui imaginent que j’ai été gâtée dès l’enfance se trompent», explique-t-elle. Au sein de son propre parti, en particulier, avoir un père incarnant la ligne dure n’a pas eu que des avantages. «Il faut aussi développer son propre style.»
Les parlementaires qui la côtoient dans la Berne fédérale décrivent la nouvelle élue comme efficace, cordiale et de contact agréable. D’autres diront le contraire. «On a parfaitement le droit de voir les choses différemment», répond-elle, estimant que cela peut même être profitable.
Nicole Barandun, conseillère nationale du Centre, qui connaît bien Nina Fehr Düsel depuis des années, la décrit comme ouverte et capable d’apprendre: «Avec elle, on ne sait pas d’emblée quelle position sera adoptée.»
Sur la Cinquième Suisse, par exemple, sa position remonte à l’époque où elle était hôtesse de l’air, après sa maturité. Dans les avions, elle rencontrait beaucoup de Suisses de l’étranger qui entretenaient un lien très particulier avec la Suisse.
«Pour moi, les Suisses de l’étranger doivent conserver la nationalité suisse et le droit de vote», dit-elle. Et même si le principe de la double nationalité reste plutôt problématique à ses yeux, «je vois les choses différemment pour les Suisses de l’étranger», ajoute-t-elle.
«Tout est facile pour elle»
Outre son mandat de parlementaire, Nina Fehr Düsel travaille à Zurich pour la compagnie d’assurance Swiss Life, le plus grand groupe d’assurance-vie du pays. Avec 20 milliards de francs de chiffre d’affaires, ce dernier appartient au ghota de la finance.
Très bien situé, directement au bord du lac, le bâtiment du siège en impose. C’est là que swissinfo.ch a rencontré Nina Fehr Düsel, cadre supérieure au service juridique. Malgré son allure décontractée, la poignée de main est ferme.
Chaque jour atterrissent sur son bureau les dossiers les plus délicats auxquels l’entreprise doit faire face: des contentieux avec la clientèle, des requêtes internes ou encore des questions juridiques liées au secteur immobilier. Un poste à hautes responsabilités.
«Ma carrière n’a pas été fulgurante», tient à préciser Nina Fehr Düsel, qui dit avoir gravi les échelons progressivement. «C’était important pour moi.» D’après son père, pourtant, «tout semble facile pour elle». «Que ce soit pour fonder une famille, devenir propriétaire ou juriste d’entreprise, elle a progressé rapidement», raconte-t-il. Sa recette: une grande confiance en soi et la propension à repousser ses limites. «Elle se dit tout simplement ‘je peux le faire’, et elle le fait», décrit son père.
Soucieuse des animaux
Le chemin vers la politique était moins intentionnel que sa carrière professionnelle. «Je pensais que le fait que mon père soit actif était suffisant. Je désirais me concentrer davantage sur ma carrière professionnelle. Mais la politique ne se planifie pas», explique-t-elle. La direction de l’UDC l’a sollicitée et beaucoup de choses se sont ensuite mises en place.
Mais le premier succès de Nina Fehr Düsel en tant que militante remonte à bien plus longtemps. Lorsqu’elle était à l’école primaire, elle a lancé une pétition contre la présence d’aquariums pour les dauphins en Suisse. Avec sa classe, elle a récolté 100’000 signatures. «Cela m’a politisée, car j’ai réalisé les possibilités dont on dispose en Suisse en tant qu’individu.» Sa pétition a été présentée sous forme de motion au Conseil national, où elle a été adoptée.
Adolescente, elle était plutôt impressionnée par les positions de gauche et écologistes d’une partie de ses professeurs. «C’est le côté rebelle qui ressortait à cet âge», explique-t-elle. En 1994, elle a confié au magazine Beobachter que si elle devait faire de la politique, ce serait plutôt pour les Vert-e-s.
«Elle a eu une adolescence normale», se souvient son père. Une anecdote marquante est sa 3e place à un concours de mannequinat, quand elle avait 17 ans.
Cheminement jusqu’à l’UDC
Un petit côté écologiste lui est resté. «Il me tient à cœur que nous gérions notre environnement de manière durable et que nous utilisions nos ressources avec parcimonie», dit-elle. Elle parle de petits renoncements personnels et des privations importantes qu’a connues son père, un garçon de ferme qui a grandi dans des conditions très modestes.
C’est après avoir travaillé un temps au département cantonal de justice à Winterthour que Nina Fehr Düsel a adhéré à la ligne de l’UDC. «J’y ai vu comment certaines personnes tiraient profit de la Suisse, notamment dans des cas de violence domestique. Ou comment certaines mentaient aussi sur leurs origines», raconte-t-elle. Des cas isolés certes, mais qui l’ont marquée.
Mais c’est en banlieue parisienne, où elle a accompli une partie de ses études de droit avant d’intégrer l’Université de Lausanne, que Nina Fehr Düsel a été frappée par la criminalité et le délabrement des quartiers. Elle ne se sentait pas en sécurité. «Je n’aimais plus prendre les trains de banlieue remplis d’Algériens. Je voyais des choses que je ne voulais pas voir en Suisse», se rappelle-t-elle.
Les mêmes mots que son père
Aujourd’hui conseillère nationale, elle dit «vouloir veiller à ce que les femmes puissent continuer à se déplacer librement sans avoir peur». Elle craint «l’émergence en Suisse de sociétés parallèles si l’immigration continue à progresser à ce rythme». Un vocabulaire que n’aurait pas renié son père.
En matière de politique migratoire, Nina Fehr Düsel est désormais totalement au diapason avec la ligne de l’UDC. C’est également le cas en ce qui concerne l’Union européenne ou la neutralité armée, deux sujets sur lesquels le parti prône l’indépendance de la Suisse.
Cette Suisse aimée, la nouvelle conseillère nationale la contemple depuis la Côte d’or zurichoise (Goldküste), la zone privilégiée où elle réside. «L’excellente qualité de vie dans le district de Meilen me plaît beaucoup, tout comme les paysages de la région d’Altdorf dans le canton d’Uri, berceau de la Suisse, et bien sûr l’Unterland zurichois, d’où je suis originaire.»
Elle porte un regard plus mitigé sur la ville de Zurich, qui s’est fortement globalisée ces dernières années. Non sans conséquences, selon elle. «Les Suisses se font maintenant refouler à Zurich», avance-t-elle. Même à Küsnacht, où elle habite, elle observe qu’il n’y a pratiquement plus que des ‘expats’ dans la classe de l’un de ses fils.
«Certains parents ne maîtrisent pas un mot d’allemand», déplore-t-elle. Et bien qu’il s’agisse d’une population immigrée hautement qualifiée et bienvenue, Nina Fehr Düsel estime là aussi qu’il faudrait davantage de mesure.
Une femme moderne
Sa ligne diffère en revanche de celle de l’UDC sur la politique énergétique. «Nous devons être ouverts à de nouvelles solutions», plaide-t-elle. Elle considère que le changement climatique est «en partie causé par les humains», contrairement à ce que pensent nombre de ses collègues de parti. «Le phénomène me préoccupe et je crois que nous avons une influence.»
Mais c’est son mode de vie en lui-même qui constitue la rupture idéologique la plus importante avec l’UDC. La manière dont elle concilie ses vies professionnelle et familiale ne correspond pas à l’image conservatrice que le parti a des femmes. Mère de deux garçons de 7 et 8 ans, Nina Fehr Düsel travaille à temps partiel. Elle a réduit son temps de travail à 50% depuis son élection à Berne.
Ses collègues la dépeignent comme une femme de son temps. «Elle est très moderne sur les questions sociétales», décrit la députée libérale-radicale Bettina Balmer, qui a fait de la politique avec elle pendant des années à Zurich. Nina Fehr Düsel souhaiterait par exemple interdire les téléphones portables dans les écoles, afin de protéger les enfants de «l’attraction du numérique».
«Message intrinsèquement féministe»
Elle aussi mère, politicienne et active professionnellement, la députée centriste Nicole Barandun ajoute: «dans cette voie, le soutien du partenaire est nécessaire, ne serait-ce que parce que de nombreuses manifestations ont lieu le soir.» «L’égalité est importante pour moi, corrobore Nina Fehr Düsel. Nous en avons parlé [avec mon mari] juste après notre rencontre.»
Son mari, Thomas Düsel, est consultant en entreprise et travaille lui aussi à temps partiel. Cette répartition rigoureusement égalitaire des rôles fait parler. «Bien que Nina Fehr Düsel ne se considère pas comme féministe, son message, lui, est intrinsèquement féministe», a ainsi écrit la SonntagsZeitung.
«Les femmes sont toujours plutôt minoritaires au sein de l’UDC», concède-t-elle. Elle a aussi été pendant un certain temps la seule femme parmi 40 hommes au conseil municipal de la ville de Zurich. Mais parallèlement, elle est aujourd’hui une adversaire déclarée du langage inclusif, estimant que la Suisse a des problèmes plus importants à régler. A commencer, souligne-t-elle encore, par l’immigration.
Texte relu et vérifié par Mark Livingston, traduit de l’allemand par Alain Meyer/ptur
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.