Nouveau risque d’escalade fiscale avec les Etats-Unis
Le Parlement a refusé cette semaine de prendre une décision concernant le nouveau conflit fiscal ouvert avec les Etats-Unis. Ces derniers font monter la pression sur les banques suisses pour qu’elles remettent les noms de clients soupçonnés d’avoir fraudé le fisc américain.
La Chambre haute du Parlement a souligné cette semaine qu’elle soutenait le gouvernement dans ses efforts pour trouver une solution négociée à la nouvelle crise fiscale qui agite Washington et Berne.
Mais elle a reporté la discussion au sujet de la nécessité d’adapter l’accord de double imposition avec les Etats-Unis à la fin de l’année. Les politiciens sont en effet divisés sur les conséquences qu’un tel accord engendrerait pour le secret bancaire suisse, déjà passablement mis à mal ces dernières années.
Les autorités américaines ont déjà averti qu’elles utiliseront d’ici le mois de novembre tous les moyens légaux contre au moins dix banques suisses soupçonnés d’avoir aidé leurs clients américains à frauder le fisc de leur pays. A moins que la controverse sur l’accès aux données des détenteurs de comptes ne soit résolue jusque-là.
Point de friction
Le point de friction concerne les conditions dans lesquelles la Suisse remettra les données des citoyens américains qui ont placé de l’argent non déclaré sur les comptes de banques suisses. L’accord de double imposition signé en 1996, et toujours en vigueur, garantit l’assistance légale en cas de suspicion de fraude fiscale.
Un nouvel accord daté de novembre 2009 étend le périmètre aux cas d’évasion fiscale. Négocié il y a deux ans, l’accord a été ratifié par la Suisse, mais pas encore par les Etats-Unis. Comme des incertitudes persistent au sujet de l’étendue exacte d’un éventuel transfert de données, le gouvernement a formellement invité le Parlement à approuver les compléments à l’accord de double imposition.
Après l’accord de 2009, Hans-Rudolf Merz, l’ancien ministre des Finances, avait été vertement critiqué pour avoir affirmé que la connaissance du nom du titulaire du compte était un prérequis nécessaire à une assistance légale. Ceci conformément aux standards de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE).
Augmenter la pression
Suivant une décision de la justice suisse, le gouvernement avait ensuite revu sa copie, affirmant que les données pouvaient également être remises lorsque les détenteurs de comptes étaient identifiés d’après un «faisceau d’indices» qui permettait de détecter des opérations suspicieuses de leur part ou de l’établissement financier concerné.
Le gouvernement suisse estime que l’accord fiscal signé en 2009 peut aider à résoudre le conflit en cours avec Washington. Il exclut d’autres options pour aider les banques qui connaissent des difficultés légales.
«Il n’existe aucun motif constitutionnel pour avoir recours à des mesures urgentes. Je suis contre les ultimatums», a dit la ministre des Finances Eveline Widmer-Schlumpf. «Mais ne venez pas nous voir en novembre et en décembre lorsque la situation aura escaladé», a néanmoins averti la ministre devant des sénateurs soucieux de temporiser.
Une minorité de la Chambre haute s’est toutefois opposée à l’idée de repousser la décision à plus tard. Parmi eux, le libéral-radical tessinois Dick Marty: «Quand la maison commence à brûler le vendredi soir, on n’attend pas le lundi matin pour appeler les pompiers», a-t-il critiqué en vain, estimant que l’ajournement pourrait encourager les Etats-Unis à augmenter la pression et à ajouter de nouvelles banques à la liste. Car selon lui, les autorités américaines ont de nombreuses raisons d’être fâchées à l’encontre de certaines banques suisses.
Un accord spécifique
A l’heure actuelle, le gouvernement suisse refuse de négocier un nouvel accord «à la UBS», arguant que la situation et les circonstances sont différentes. Il y a deux ans, la Suisse avait consenti à transférer les données détaillées de plus de 4400 clients suspectés d’avoir fraudé le fisc américain, afin d’éviter un procès potentiellement dévastateur contre UBS.
Claude-Alain Margelisch, le directeur de l’Association suisse des banquiers (ASB), s’est déclaré en faveur d’un accord avec les Etats-Unis permettant la remise des données détaillées d’un compte bancaire même si le nom du détenteur n’est pas identifié. Dans une interview publiée mardi dans la Basler Zeitung, il déclare toutefois s’opposer à la conclusion d’accords similaires avec d’autres pays, comme le demande le centre-gauche.
«La Suisse bénéficie d’un accord spécifique avec les Etats-Unis depuis plusieurs années», a-t-il justifié. Et selon lui, l’accord proposé par le gouvernement est compatible avec la protection de la sphère privée des clients de banques suisses. «Les clients américains ont toujours le choix. Soit ils déclarent leurs avoirs au fisc, soit ils paient un impôt à la source de 35%».
«Pêche aux renseignements»
Les partis de droite et du centre, majoritaires à la Chambre haute, s’opposent quant à eux au gouvernement. Réputé proche des milieux économiques, le Parti libéral-radical qualifie la proposition du Conseil fédéral de «pêche aux renseignements (fishing expedition) par la porte dérobée». Cet accord ouvre la voie à un nouvel affaiblissement du secret bancaire, a pour sa part averti l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice).
Quant aux démocrates-chrétiens (PDC / centre-droit), ils estiment avoir besoin de davantage d’informations avant de se prononcer. Les pourparlers entre la Suisse et les Etats-Unis vont se poursuivre. Le Parlement se réunira quant à lui la prochaine fois au mois de décembre, alors que l’ultimatum formulé par Washington aura échu.
Le secret bancaire suisse subit de constantes attaques depuis la crise de 2008. Endettés, les pays développés cherchent à remplir leurs caisses en réprimant l’évasion fiscale, qui est devenue une priorité.
En 2009, la Suisse a dû se résoudre à un accroissement de l’échange d’informations bancaires. Elle a renégocié une série d’accords de double imposition afin de sortir de la liste noire de l’OCDE.
La même année, UBS a admis avoir aidé des contribuables américains à frauder le fisc de leur pays, amende à la clé. Le gouvernement suisse s’est ensuite vu contraint de livrer les noms de 4450 clients américains au fisc US.
En 2009 et 2010, plusieurs pays parmi lesquels la Grande-Bretagne, l’Italie, les Etats-Unis et l’Allemagne ont offert à leurs contribuables de se mettre au net sur le plan fiscal par le biais d’amnisties fiscales.
La vente illégale de données bancaires a encore accru le nombre de fraudeurs du fisc identifiés. L’Allemagne et la France ont été les principaux acquéreurs des CD controversés, mais les informations qu’ils contenaient ont diffusé dans d’autres pays.
Les Etats-Unis poursuivent actuellement leur travail d’enquête. Credit Suisse en a été informé officiellement. D’autres banques, dont des banques cantonales, seraient également dans la ligne de mire des autorités US.
Selon les médias, l’attorney général James Cole a exigé à fin août la livraison de nouveaux noms de clients de banques suisses, avec menace d’amendes et de procédures légales si la Suisse n’obtempère pas.
(Adaptation de l’anglais: Samuel Jaberg)
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