Populisme de droite: la Suisse n’est pas un cas à part
En Europe, les partis de la droite populiste ont le vent en poupe. Ils exacerbent la peur de l’islamisation de la société et demandent l’expulsion des criminels étrangers. Pour le politologue autrichien Reinhold Gärtner, la Suisse suit la même tendance que le reste du continent. Interview.
Il y a un an, les Suisses avaient accepté, d’une manière assez inattendue, une initiative populaire de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) demandant l’interdiction de construire de nouveaux minarets. Et le 28 novembre prochain, les citoyens pourraient bien accepter une autre initiative de ce parti qui demande l’expulsion automatique des étrangers qui ont commis un crime grave.
Pour remettre ces événements suisses dans un contexte européen, swissinfo.ch s’est entretenu avec le politologue autrichien Reinhold Gärtner, de l’université d’Innsbruck.
swissinfo.ch: Peut-on dire que la Suisse suit une tendance européenne, c’est-à-dire un virage à droite?
Reinhold Gärtner: Je crois que l’on peut l’exprimer ainsi. La Suisse est un exemple parmi d’autres en Europe. En Autriche aussi, il y a des initiatives qui demandent l’interdiction de nouveaux minarets. C’est ainsi que le droit de la construction a déjà été modifié en ce sens en Carinthie et dans le Vorarlberg. Et à Cologne, en Allemagne, un projet de grande mosquée provoque une vive opposition.
Par ailleurs, ce n’est pas uniquement en Suisse que l’on parle de renvoyer les étrangers qui ont commis des crimes. En Suisse, 350’000 personnes nées dans le pays mais qui n’ont pas le passeport helvétique pourraient potentiellement être affectées. En Autriche, on compte 120’000 étrangers dans le même cas.
Que devrons-nous faire avec ces gens? Vers quelle destination les renvoyer? Pour eux, l’expulsion ne serait pas la bonne solution.
swissinfo.ch: Le 28 novembre, le peuple suisse doit aussi se prononcer sur un contre-projet accepté par le gouvernement et le parlement et dont les objectifs sont similaires à l’initiative de l’UDC. Est-ce le signe que le centre-droit est sous pression?
R. G.: Il est vrai que les partis du centre-droit ont tendance à virer vers la droite. C’est ce qui s’est passé en France avec Nicolas Sarkozy ou en Autriche avec le Parti populaire autrichien. Mais c’est un faux calcul de penser pouvoir dépasser les partis de droite sur leur droite. Cela ne fonctionnera pas et cela n’a pas non plus fonctionné par le passé.
Les partis du centre-droit devraient au contraire réaffirmer clairement leurs positions et se distancer de ces campagnes marquées par l’agitation et le dénigrement. Ils pourront ainsi marquer davantage de points qu’en glissant vers la droite.
swissinfo.ch: Selon vous, qu’est-ce qui fait le succès des partis populistes de droite?
R.G. : Dans chaque société, il existe – objectivement parlant – des problèmes réels qui sont considérés subjectivement comme non résolus ou seulement en partie résolus. Or, ces partis utilisent la peur, les émotions négatives pour faire passer leur message. Ils ont compris que l’on peut ainsi toucher les électeurs, spécialement ceux qui ont des peurs subjectives.
Beaucoup de ces gens ont en fait peur de perdre quelque chose. Nous vivons dans une période de mondialisation et de nombreuses personnes en souffrent, car elles ont peur de perdre leur emploi ou de ne pas être en mesure de maintenir leur niveau de vie. Ces peurs rapportent des voix aux partis qui les thématisent.
swissinfo.ch: Et en cette période de grande insécurité, les musulmans servent-ils de boucs émissaires?
R.G. : C’est ce que je pense. Il y a toujours eu des têtes de Turc et des boucs émissaires. Désormais, surtout après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, les musulmans ou l’islam assument ce rôle.
L’islam est assimilé au crime et au terrorisme, les étrangers aux Turcs et aux musulmans. Mais c’est un raccourci très grossier: l’islam est perçu comme une entité homogène; or c’est aussi faux pour l’islam que pour d’autres communautés religieuses.
Le fait est que l’islam est devenu une réalité dans de nombreux pays européens. En Autriche, il a été reconnu en 1912 et il représente probablement la deuxième religion d’Europe en importance. Il y a même des Etats musulmans en Europe, comme le Kosovo et la Bosnie-Herzégovine.
swissinfo.ch: La peur de l’islam fait le succès de ces partis. Mais ces craintes sont-elles fondées?
R.G.: A mon avis non. Les têtes de Turcs sont interchangeables. Aujourd’hui nous avons l’islam, autrefois c’était les Juifs, ce sont les Roms en Europe de l’Est.
Nous ne pouvons pas faire prévaloir le principe de liberté religieuse et dire en même temps: «mais s’il vous plaît sans mosquées». C’est hypocrite.
swissinfo.ch: Actuellement, il semble qu’un grand front contre l’islam se développe en Europe. Les partis de la droite populiste sont-ils reliés à un niveau transnational?
R.G. : Il y a toujours des rencontres, comme ce fut récemment le cas à Vienne. Et en 2007, il y a eu une tentative au parlement européen pour créer un groupe parlementaire de la droite populiste. Mais ce groupe a été dissous la même année, suite à des dissensions internes.
Ces partis entrent très souvent en conflit les uns avec les autres. Le nationalisme ne fait manifestement pas bon ménage avec l’internationalisme.
swissinfo.ch: Quelle est l’importance de figures charismatiques comme Jean-Marie Le Pen, feu Jörg Haider ou Geert Wilders?
R.G.: Dans presque tous ces partis, il existe un guide qui contribue fortement à l’identité du parti. Sans Jörg Haider, le FPÖ autrichien n’aurait pas pu progresser. C’est la même chose avec Christoph Blocher, la grande figure de l’UDC suisse, ou avec Jean-Marie Le Pen en France.
swissinfo.ch: Les partis de la droite populiste peuvent-ils encore progresser ou ont-ils atteint leurs limites?
R.G.: C’est difficile à dire. Si nous considérons ceux qui ont le plus de succès, comme l’UDC, qui a recueilli 29% des suffrages lors des dernières élections fédérales suisses, une progression semble possible.
Mais la progression ne sera pas éternelle, parce qu’il existe d’autres opinions politiques et parce que notre société est hétérogène. Mais je ne peux pas dire à quel moment ces partis atteindront leur zénith, ni si leur maximum se situe à 25, 30 ou 35% des voix.
swissinfo.ch: Pour la démocratie, est-il préférable que ces partis soient intégrés au gouvernement, comme c’est le cas en Suisse et en Italie, ou qu’ils restent dans l’opposition?
R.G.: Avec sa formule magique, la Suisse a une tradition et une culture politiques différentes. En Autriche, le FPÖ a échoué au gouvernement. En Italie, la Ligue du Nord continue de faire partie du gouvernement. Il n’y a pas de recette.
Mais pour les partis de la droite populiste, il est difficile de mettre en œuvre leur programme lorsqu’ils assument des responsabilités politiques. Car les solutions simples qu’ils préconisent n’existent pas.
Reinhold Gärtner est professeur à l’Institut des sciences politiques de l’université Leopold-Franzens à Innsbruck.
Ses domaines de recherche incluent le racisme, l’extrémisme et la politique de migration.
Belgique: Nouvelle Alliance flamande de Bart de Wever; 17,45 aux élections législatives 2010.
Danemark: Parti populaire danois de Pia Kjaersgaard; 13,9% aux élections législatives 2007.
France: Front national de Jean-Marie Le Pen; 4% aux élections législatives 2007.
Italie: Ligue du Nord d’Umberto Bossi; 8,3% aux élections législatives 2008.
Pays-Bas: Parti de la liberté de Geert Wilders; 15,5% aux élections législatives 2010.
Autriche: Parti de la liberté de Heinz-Christian Strache; 17,5% aux élections législatives 2008.
Suède: Démocrates suédois de Jimmie Akesson; 5,7% aux élections législatives 2010.
Suisse: Union démocratique du centre de Toni Brunner; 28,9% aux élections législatives 2007. Ligue des Tessinois de Giuliano Bignasca; un représentant à la Chambre basse. Mouvement Citoyens Genevois d’Eric Stauffer; seulement représenté au niveau régional.
Hongrie: Jobbik (Mouvement pour une Hongrie meilleure) de Gabor Vona; 16,7% aux élections législatives 2010.
(Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard)
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