Quel statut pour les médecines complémentaires?
Homéopathie, phytothérapie, etc.: les soins alternatifs sont appréciés, mais ils ne sont pas remboursés par l'assurance de base. Faut-il pour autant les mettre au bénéfice d'un article constitutionnel que ses adversaires jugent superflu et vague?
Le débat entre médecine classique et médecine alternative, qui constitue la toile de fond de l’un des deux objets soumis à votations le 17 mai prochain, suscite à chaque fois de violentes poussées de fièvre.
En 2005, le ministre de la Santé Pascal Couchepin avait provoqué une réaction épidermique en excluant l’homéopathie, la phytothérapie, la médecine chinoise, la médecine anthroposophique et la thérapie neurale des soins remboursés par l’assurance de base.
Sa décision avait dopé la récolte de signatures pour l’initiative «Oui aux médecines complémentaires». Lancée en septembre 2004, elle avait abouti en une année, un temps record.
Elle demandait que «la Confédération et les cantons pourvoient, dans la limite de leurs compétences respectives, à la prise en compte complète des médecines complémentaires.»
Initiative retirée
Lors de l’examen parlementaire, l’idée d’une prise en compte «complète» a cependant été jugée excessive. Il s’est par contre trouvé une forte majorité de députés pour estimer que les médecines complémentaires devaient effectivement être mieux défendues.
Un contre-projet direct sous forme d’article constitutionnel a donc été élaboré. Et il a facilement passé la rampe tant à la Chambre haute, où il a été accepté sans opposition, qu’à la Chambre basse, où il a été adopté par 152 voix contre 16 seulement, avec 24 abstentions.
Soutenu par le gouvernement et tous les partis gouvernementaux à l’exception de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice), ce texte reprend en fait à un mot près la formulation de l’initiative: seule manque l’idée de prise en compte «complète». Satisfaits, les initiants ont retiré leur texte.
Vers une réintégration?
Mais ils n’ont pas pour autant renoncé à leur objectif, soit la réintégration dans le catalogue de base des cinq pratiques médicales exclues en 2005.
Le comité favorable au contre-projet a déjà annoncé la couleur. Si le peuple dit oui le 17 mai, cela signifie à ses yeux qu’à terme ces dernières devront être définitivement remboursées, pour autant qu’elles soient pratiquées par des médecins ayant suivi une formation continue reconnue par la Fédération des médecins suisses (FMH).
Reste que le contre-projet ne dit rien de précis à ce sujet. Profitant de cette latitude, Pascal Couchepin a déjà annoncé que son acceptation ne signifierait pas une réintégration automatique de ces cinq médecines dans l’assurance de base. Le ministre de la Santé souhaite d’abord que la preuve du respect des critères fixés dans loi lui soit apportée.
En fait, la difficile question de l’évaluation de ce type de médecines est au cœur du débat. Le programme (PEK) sur lequel était fondée la décision ministérielle de 2005 a par exemple été contesté. Quant au comité pour le «oui», il brandit un arrêt du Tribunal fédéral qui a considéré en 1997 que l’efficacité ne pouvait être évaluée uniquement à l’aune des sciences naturelles ou de la médecine académique.
Plus cher, moins cher ?
Autre point controversé, la question des coûts. Le ministre de la Santé et les rares adversaires du contre-projet jugent qu’une prise en charge plus étendue des médecines douces ferait augmenter les primes de l’assurance de base.
Ce que contestent leurs contradicteurs, chiffres à l’appui. Selon eux, l’inclusion de ces cinq disciplines alternatives dans l’assurance de base entre 1999 et 2005 a généré un coût allant de 60 à 80 millions de francs, soit une part minime de ses frais.
Ils soulignent par ailleurs que les complémentaires souscrites par les personnes utilisant ces médecines permettraient aux assureurs de gagner 250 millions de francs en un an. Soit dix fois plus que ce que ce secteur a coûté à l’assurance de base en 2004 (25 millions).
Là où le comité pour le «oui» dénonce une discrimination à l’encontre de ceux qui se soignent via l’homéopathie ou la médecine chinoise, leurs adversaires évoquent la responsabilité individuelle et le danger de surconsommation médicale.
«Ceux qui se soignent uniquement avec des médecines complémentaires sont une infime minorité. La majorité ajoutent ces prestations à celles de la médecine scientifique. Le prix d’une complémentaire, entre 5 et 6 francs par mois, reste raisonnable. La collectivité ne doit pas être obligée d’adhérer à un modèle non-scientifique», juge à ce propos le député UDC Dominique Baettig.
Quelle portée réelle ?
Quant à la portée réelle d’une inscription de la médecine alternative dans la Constitution – pour laquelle un double oui, du peuple et des cantons, est nécessaire -, les avis divergent. Les opposants la jugent superflue vu qu’une reconnaissance constitutionnelle ne dispensera pas le Parlement d’avoir à fixer les modalités d’application dans la loi.
Ils craignent aussi qu’on ouvre la porte au remboursement de toutes sortes de traitements non réglementés, voire ésotériques. Un argument réfuté par la démocrate chrétienne (PDC, centre droit) Thérèse Meyer-Kaelin.
«Cette disposition de la Constitution ne dispense pas les prestations d’être soumises à un examen d’efficacité, d’économicité et d’adéquation tel que prévu par la loi sur l’assurance-maladie. Celle-ci doit permettre un choix mais ne doit pas s’élargir au point de rembourser des prestations qui ne répondraient pas à ces critères», souligne-t-elle.
Le comité en faveur du «oui» fait de plus valoir qu’un article constitutionnel permettrait de réglementer mieux la création de diplômes nationaux pour les thérapeutes non-médecins. Un domaine où règne actuellement un certain flou qui pourrait s’avérer dommageable pour la sécurité des patients.
swissinfo, Carole Wälti
Dans ses statistiques 2008, l’Union des sociétés suisses de médecine complémentaire, qui ne regroupe pas toutes les associations actives dans ce domaine, a recensé:
260 médecins homéopathes
600 spécialistes en médecine traditionnelle chinoise (en comptant l’acupuncture)
170 phytothérapeutes
150 médecins spécialisés en thérapie neurale
180 médecins spécialisés en anthroposophie
En Suisse, environ 20’000 thérapeutes non-médecins et quelque 3000 médecins utilisent près de 200 techniques de médecines complémentaires.
Les cinq principales sont celles qui ont été admises dans l’assurance maladie de base à titre provisoire entre 1999 et juin 2005.
L’homéopathie consiste à soigner le malade en employant à dose infinitésimale certains médicaments susceptibles de provoquer chez un sujet sain des symptômes analogues à ceux de la maladie que l’on veut traiter.
La phytothérapie utilise l’action des plantes médicinales. Les remèdes se présentent sous la forme de baumes, de compresses, de sirops, de tisanes.
La médecine traditionnelle chinoise, qui possède sa propre base philosophique et symbolique, voit le corps, le cœur et l’esprit comme un tout. Elle a recours à l’acupuncture, la pharmacopée et la diététique chinoises, ainsi qu’à diverses formes de massages et d’exercices énergétiques.
La médecine anthroposophique, inspirée par les conceptions spiritualistes de Rudolf Steiner, privilégie une approche systématique de l’être humain et tient compte des aspects physiques, fonctionnels, psychiques et spirituels. Elle utilise souvent l’homéopathie.
La thérapie neurale a pour but d’utiliser les capacités de régulation et de régénération de l’organisme pour déclencher un processus d’auto-guérison. Elle se pratique via l’injection ou l’infiltration de très petites quantités d’anesthésique.
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