«La solidarité naît quand tous participent à la recherche d’une solution»
Après le vote de dimanche sur l'indépendance de la Catalogne et l'escalade des tensions avec le gouvernement de Madrid, l'Espagne est confrontée à une démocratie en morceaux. Des solutions d'autonomie, de fédéralisme ou de sécession semblent improbables à l'heure actuelle, souligne le politologue Wolf Linder. La première étape? Rétablir la confiance entre les parties pour trouver un compromis.
swissinfo. ch: Qu’avez-vous pensé lorsque vous avez vu les images en provenance de Catalogne lors du référendum de dimanche sur l’indépendance?
Wolf Linder: J’avais aussi peur que tout le monde. Non seulement à cause de la violence de la police espagnole contre les électeurs catalans, mais aussi parce que les images montrent une profonde fracture socio-politique entre la Catalogne et le gouvernement central.
Pourquoi la Catalogne veut-elle se séparer de l’Espagne?
On dit souvent que les Catalans versent plus au Trésor espagnol qu’ils ne reçoivent. Mais le mouvement indépendantiste a une longue histoire et va au-delà de la question purement financière. Cela remonte au moins à 1714, lorsque Barcelone tombe aux mains des Bourbons d’Espagne, ce qui marque la fin de la relative autonomie de la Catalogne. Pendant la Première République, à la fin du XIXe siècle, elle retrouve son autonomie, mais la perd à nouveau avec l’arrivée de Franco (1939) au pouvoir. Durant la période franquiste, toutes les institutions politiques sont dissoutes et la langue catalane est interdite.
En 1980, cinq ans après la mort de Franco, la Catalogne est officiellement reconnue comme une communauté autonome dans le processus de démocratisation en Espagne. En 2006, ce statut est encore élargi, donnant à la Catalogne plus de pouvoirs, en particulier dans le domaine financier.
Mais en 2010, la Cour constitutionnelle espagnole annule plusieurs articles du nouveau statut d’autonomie. La centralisation qui en résulte exacerbe encore le conflit. Pour les Catalans, c’est une question d’identité: ils veulent préserver leurs institutions, leur langue et leur culture.
Existe-t-il un droit à la sécession pour les Catalans?
En droit espagnol, ils n’ont aucun droit de faire sécession; en ce sens, la Constitution est claire. Le droit international ne fournit en revanche pas de réponse claire à cette question. D’une part, il ne prévoit aucun droit de sécession, mais d’autre part, il existe un droit à l’auto-détermination des peuples. Toutefois, le droit international ne joue pas un rôle important dans ce dilemme. Les facteurs décisifs sont les constellations de pouvoir. L’Allemagne, la Suisse et les États-Unis ont rapidement reconnu le Kosovo comme un État indépendant, parce qu’il leur convenait parfaitement. Les Catalans, cependant, sont dans une position défavorable parce qu’ils n’ont pas d’alliés internationaux.
L’Union européenne, dont on attend souvent un rôle de médiateur dans de nombreux milieux, n’a aucun intérêt ou instrument pour intervenir dans les affaires intérieures de l’Espagne. Bruxelles considère qu’il est de son devoir de respecter l’intégrité territoriale de ses États membres.
Référendums pour l’indépendance en Catalogne et en Écosse, revendications autonomistes en Lombardie, divisions en Belgique: l’Union européenne est-elle menacée d’érosion par les régions?
Les aspirations à l’autonomie ne se limitent pas à l’Espagne. Toutefois, tant qu’il s’agit de questions internes à un État membre, l’UE n’intervient pas directement. À l’époque, elle avait déclaré qu’en cas de sécession, l’Écosse ne serait pas simplement annexée, mais qu’elle devrait présenter une demande d’adhésion à l’UE.
L’Union européenne, perçue par beaucoup comme une puissance centralisatrice et technocratique, crée-t-elle un désir de détachement dans les régions?
Je ne sais pas s’il existe un lien clair. Toutefois, il est vrai que la tendance à la centralisation des réglementations au sein de l’UE est à l’origine de l’émergence de mouvements de contestation, qui peuvent inclure des demandes de renforcement de l’autonomie régionale.
Pour en revenir à l’Espagne, quelles solutions auraient pu être prises pour éviter cette spirale?
Je vois trois possibilités: l’autonomie, le fédéralisme et la sécession. Le renforcement de l’autonomie catalane serait l’option la plus faible, mais aussi celle qui serait réalisable à court terme. Il faudrait commencer par l’autonomie financière, c’est-à-dire la souveraineté fiscale. En Suisse, le canton riche de Zurich verse chaque année d’importantes sommes d’argent aux cantons les plus faibles sur le plan financier, comme Uri et Berne. Toutefois, une telle solidarité entre régions ne peut être créée que si elle n’est pas décrétée par l’État central, mais si tous les acteurs concernés sont impliqués dans la recherche d’une solution et décident d’un commun accord.
Quelle forme pourrait prendre une Espagne fédéraliste?
Le fédéralisme permettrait la plus grande autonomie possible ainsi que la participation des différents acteurs aux décisions importantes. Cependant, la Constitution espagnole devrait être amendée dans ce sens, ce qui est hors de question à l’heure actuelle, car les élites politiques madrilènes ont l’impression que l’unité du pays est menacée et refusent donc de donner plus de pouvoir aux régions.
La Constitution espagnole ne prévoit pas la sécession d’une région. La question a également été débattue en Suisse, lorsque les séparatistes du canton du Jura ont proposé l’annexion à la France dans les années 1970.
Nous sommes effectivement confrontés à un paradoxe: lorsque la possibilité de sécession est prévue dans la Constitution, elle ne se matérialise finalement pas. C’est ce qui s’est passé en Écosse et au Canada. Etant donné que le droit à la sécession existe dans ces pays, le gouvernement central est contraint de négocier avec les Etats fédéraux à la recherche d’une solution. Par un vote populaire, l’Écosse et le Québec ont confirmé leur appartenance respective à la Grande-Bretagne et au Canada.
La question jurassienne est un exemple très instructif. Si Roland Beguelin et son mouvement séparatiste parlaient au départ d’une annexion à la France, ils ont fini par revoir leurs revendications à la baisse avec la création d’un nouveau canton.
Il est intéressant de revenir sur les débats de l’époque. Berne a donné à la partie jurassienne du canton l’occasion de se séparer. Cependant, ce ne sont pas les élites politiques qui ont décidé, mais le peuple. Chaque district dans lequel la majorité de la population avait voté la séparation devait participer à la création du nouveau canton du Jura. Mais en en fin de compte, il revenait au peuple suisse dans son ensemble de décider de reconnaître le Jura comme nouveau canton dans la Constitution suisse. Et tous les cantons se sont exprimés favorablement.
Les Catalans sont partis du bon pied, mais ils ont probablement pris le mauvais rythme. La décision de soumettre cette question à la population était toutefois la bonne.
Quels sont les prochains pas à faire après cette fracture démocratique?
Des solutions d’autonomie, de fédéralisme ou de sécession sont improbables à court terme. Il faut des mesures pour rétablir la confiance, se sorte que les responsables politiques des deux parties puissent renouer le dialogue. Deuxièmement, les deux parties devraient réduire leurs revendications: la Catalogne pourrait abandonner ses exigences sécessionnistes et Madrid devrait cesser d’insister obstinément sur les principes constitutionnels sans écouter les besoins des Catalans. Il faudra une génération pour trouver une solution pacifique au conflit, je suppose d’au moins 20 ans.
(Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard)
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