Rendre à l’aviation ce qui est à l’aviation
Actuellement, l'impôt prélevé sur le kérosène n'est pas affecté au trafic aérien. Une partie de cet argent va à la circulation routière. La modification constitutionnelle sur laquelle les Suisses se prononceront le 29 novembre veut corriger la situation au profit de l'aviation.
L’imposition du kérosène rapporte environ 60 millions de francs par an en Suisse. Et c’est une partie de cette somme qui pourrait aller dans les poches du secteur aérien si c’est un oui qui sort des urnes le 29 novembre prochain.
Ce montant – plutôt modeste comparé aux quelque 5 milliards que rapporte l’imposition des autres huiles minérales (carburants, mazout, etc.) – provient de la seule taxation du kérosène utilisé pour les vols internes.
Les vols commerciaux effectués dans le cadre du trafic avec l’étranger ne sont en effet pas taxés, conformément à la Convention de Chicago de 1944 relative à l’aviation civile internationale.
Rendre à César…
Avec ce projet, le Parlement et le gouvernement veulent en fait rétablir une situation qu’ils ont jugée anormale. Ils ont estimé qu’elle contrevenait à la fois au principe de la vérité des coûts et à celui de l’égalité de traitement.
Jusqu’ici, le produit de l’imposition du kérosène est en effet redistribué pour deux tiers à la circulation routière (40 millions) et pour le tiers restant à la caisse fédérale (20 millions). Pour rendre à César ce qui est à César, la nouvelle clé de répartition prévoit d’attribuer quelque 44 millions de francs par an au trafic aérien.
Une mesure qui trouve son origine dans le programme énoncé dans le Rapport sur la politique aéronautique de la Suisse publié en 2004. Le Conseil fédéral (gouvernement) y manifestait alors son intention de s’engager en faveur d’une politique aéronautique «cohérente, globale et prévoyante, tenant compte des principes du développement durable.»
Opposition de la gauche
S’agissant d’une modification de la Constitution fédérale (article 86), la double majorité du peuple et des cantons sera nécessaire pour créer ce financement spécial. Il devrait servir à mettre en place des mesures dans trois domaines: protection de l’environnement, défense contre les attentats et renforcement de la sécurité technique.
Au Parlement, cette réaffectation de l’impôt sur le kérosène a passé la rampe en octobre 2008. Largement à la Chambre des cantons, qui a dit oui par 33 voix contre 7. Et de manière beaucoup plus serrée à la Chambre du peuple, qui l’a acceptée par 124 voix contre 63.
L’opposition la plus déterminée est venue du parti socialiste (PS) et des Verts. Critiquant la formulation trop vague du texte, le bloc rose-vert a notamment craint que la part consacrée à la protection de l’environnement soit réduite à la portion congrue par rapport aux tâches liées à la sécurité.
Discussions en vue
En l’état, le texte soumis au peuple ne précise en effet pas quels types de mesures seront financées par ces nouvelles recettes, ni d’ailleurs à quelle hauteur. Ce qui laisse penser que les discussions sur le partage de cette nouvelle manne qui ont eu lieu lors des débats parlementaires se reproduiront lorsqu’il sera question de régler les modalités d’application.
Certains députés emmenés par le démocrate du centre (UDC/ droite conservatrice) Thomas Hurter auraient par exemple voulu que le produit de cet impôt soit utilisé exclusivement pour lutter contre le bruit lié au trafic aérien. Ils estimaient trop floue la mention de la seule protection de l’environnement.
D’autres ont craint que la mise en place de ce financement spécial n’amène la Confédération à se décharger de certaines tâches de sécurité liées à la souveraineté étatique sur le secteur aérien.
De son côté, le ministre socialiste des Transports et de l’Environnement Moritz Leuenberger s’est dit optimiste fin septembre en lançant la campagne au nom du gouvernement. Il a indiqué qu’il s’attendait à une décision populaire positive et à une campagne de votation peu animée.
Taxer l’ensemble des vols?
A plusieurs égards, l’avenir de ce financement spécial est néanmoins ouvert. D’autant qu’il pourrait se voir redéfini dans un futur peut-être pas si lointain. L’idée de taxer le kérosène employé par la navigation aérienne internationale, à l’image de ce qui se pratique pour les carburants routiers, est dans l’air.
Le Conseil fédéral s’est déjà dit favorable aux efforts de la communauté internationale pour lever l’exonération des carburants d’aviation ou pour intégrer l’aviation dans le système d’échange de quotas d’émission de CO2. Il a toutefois souligné que ces mesures devaient être mises en place de manière coordonnée sur le plan international pour que la Suisse y adhère.
Les Chambres semblent être du même avis. Jugeant que la Suisse ne pouvait pas faire cavalier seul, les parlementaires ont refusé en septembre dernier une initiative du canton de Berne qui demandait l’application d’une taxe sur le kérosène généralisée à tous les vols de l’aviation civile.
Carole Wälti, swissinfo.ch
La Suisse compte 3 aéroports d’importance nationale (Zurich, Genève, Bâle) et 11 aéroports d’importance régionale.
Le trafic passager n’a cessé d’augmenter ces dernières années. Il est passé de 33,5 millions en 2006 à près de 38 millions en 2008.
L’Office fédéral de l’aviation civile (OFAC) estime que seul 3% du kérosène consommé par le secteur aérien en Suisse en 2008 l’a été par des vols internes.
La taxation du carburant aérien concerne essentiellement la petite aviation, les vols de sauvetage de la Rega et les vols héliportés.
En 2000, la Commission européenne s’est dite favorable à l’idée de taxer le carburant d’aviation et de le soumettre ainsi au même traitement que les carburants utilisés par d’autres moyens de transport.
En 2001, l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) a débattu de cette proposition, mais aucun accord à ce sujet n’est apparu possible.
L’OACI s’est en revanche dite favorable à l’élaboration d’un système d’échange des droits d’émission dans l’aviation internationale.
En Suisse, la fédération faîtière de l’aéronautique Aérosuisse estime que l’extension de la taxation du kérosène à tous les vols n’est pas un instrument approprié, même appliquée au niveau international.
Aérosuisse est plutôt favorable au système d’échange de quotas d’émission de CO2, à la condition que celui-ci soit mis en place au niveau mondial et non pas seulement européen.
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