Schengen/Dublin, entre craintes et espoirs
Les rapports entre la Suisse et l’Union européenne sont à nouveau sous les feux de la rampe. Le 5 juin, le peuple vote sur la participation à Schengen/Dublin.
Soutenue par le gouvernement et la majorité du Parlement, cette proposition est rejetée par la droite anti-européenne.
La Suisse et l’Union européenne (UE) avaient conclu un premier paquet d’accords bilatéraux en 1999. Les deux parties avaient alors exprimé le vœu d’étendre cette collaboration à d’autres secteurs.
Après quelques hésitations sur l’opportunité de poursuivre sur la voie des bilatérales, l’UE avait finalement exprimé son intérêt pour une collaboration avec la Suisse dans les domaines de la fiscalité de l’épargne et de la lutte contre la fraude fiscale (en particulier la contrebande de cigarettes).
La Suisse, de son côté, s’est très vite intéressée à une coopération avec Bruxelles dans les domaines de la sécurité et de l’asile via une association aux traités européens de Schengen (sécurité) et de Dublin (asile).
Après des négociations complexes, marquées en particulier par la volonté de la Suisse de préserver son secret bancaire, les deux parties sont finalement parvenues à un accord en mai 2004. Outre la participation à Schengen/Dublin, ce 2e paquet d’accords (bilatérales II) concerne également l’environnement, les statistiques, les médias, les retraites et des produits agricoles transformés.
Frontières ouvertes
Les accords de Schengen, adoptés en deux étapes en 1985 et 1990, ont fourni le cadre légal visant à une abolition progressive du contrôle des personnes aux frontières internes de l’UE.
Pour compenser cette ouverture des frontières internes, Schengen prévoit toute une série de mesures destinées à garantir la sécurité des pays membres. Ce but est notamment atteint par un renforcement des contrôles aux frontières externes de l’UE, par une meilleure collaboration transfrontalières des services de police, par la simplification de l’entraide judiciaire et par une politique commune en matière de visas.
Parmi les instruments les plus importants mis sur pied dans le cadre de l’accord, figure aussi le Système d’information de Schengen (SIS). Il s’agit d’une banque de données informatique qui contient actuellement 11 millions de fiches relatives à des personnes recherchées ou à des objets disparus.
Une seule demande d’asile
Signée par les pays membre de l’UE en 1990, la Convention de Dublin traite du domaine de l’asile. Avec Dublin, un requérant d’asile ne peut présenter qu’une seule demande d’asile dans un seul pays membre de l’UE.
Concrètement, si un requérant se voit refuser sa demande en France et qu’il va ensuite tenter sa chance en Allemagne, les autorités allemande refuseront d’entrer en matière et renverront le requérant vers les pays du premier accueil, en l’occurrence en France.
Comme Schengen, pour bien fonctionner, le système de Dublin repose sur une base de données électronique. Dans ce cas, il s’agit d’Eurodac, qui recueille les empreintes de toutes les personnes qui ont déposé une demande d’asile dans l’un des pays membre de la Convention de Dublin.
Les 25 pays membres de l’UE font partie de Schengen et de Dublin. Deux autres pays – la Norvège et l’Islande – y sont associés. A noter encore que le Royaume-Uni et l’Irlande disposent d’un statut particulier, car ils n’ont pas totalement renoncé au contrôle des frontières.
Secret bancaire garanti
Du point de vue du gouvernement suisse, l’intérêt d’une association à Schengen réside surtout dans l’accès à la banque de données SIS. Cela permettrait une lutte plus efficace contre la criminalité organisée et le terrorisme.
Le secteur touristique espère de son côté qu’une participation à Schengen amènera davantage de touristes extra-européens en Suisse. Aujourd’hui en effet, les touristes munis d’un visa valide pour tout l’espace Schengen doivent redemander un second visa pour entrer en Suisse.
Durant les négociations, Berne a obtenu une importante concession dans le domaine de l’entraide judiciaire. La Suisse craignait que l’évolution future de l’acquis de Schengen puisse conduire à une obligation pour les Etats membres d’accorder cette entraide également pour les cas d’évasion fiscale. Or, en Suisse, l’évasion fiscale n’est pas un délit.
Si une telle évolution devait avoir lieu, le compromis trouvé octroie à la Suisse une dérogation de durée indéterminée. En outre, les informations fournies dans le cadre d’enquêtes internationales ne peuvent pas être utilisées dans d’autres procédures concernant l’évasion fiscale. En d’autres termes, l’accord garantit la protection du secret bancaire suisse.
Evolution des accords
D’une manière générale, c’est l’évolution de l’acquis de Schengen et Dublin qui représenterait un problème, comme le soulignent les opposants à l’accord. Ne faisant pas partie de l’UE, la Suisse ne pourra pas décider du développement des accords. Elle n’a que le droit d’être consultée et d’influer ainsi sur les décisions.
L’accord bilatéral concède cependant à la Suisse une période de transition de deux ans pour décider d’adhérer ou non aux nouveaux actes juridiques relatifs aux traités. Chaque changement pourra donc être soumis au débat parlementaire et, si nécessaire, au vote populaire.
En cas de refus suisse, l’accord prévoit en plus de nouvelles possibilités de négocier. Mais si aucune solution n’était alors trouvée, la Suisse devrait se retirer de Schengen/Dublin. C’est ce que l’on nomme la «clause guillotine».
Afflux de criminels?
Les opposants contestent par ailleurs l’apport de Schengen en termes de sécurité. A leurs yeux, la suppression des contrôles systématiques aux frontières suisses débouchera sur un «afflux de criminels».
Il faut cependant remarquer que, la Suisse ne faisant pas partie de l’union douanière européenne, les douaniers helvétiques continueront à contrôler les marchandises, même sous le régime de Schengen. S’ils découvrent des trafics illicites, ils pourront contrôler l’identité des personnes impliquées.
Par ailleurs, aujourd’hui déjà, la Suisse ne contrôle plus qu’un petit pourcentage des personnes qui traversent ses frontières. De plus, l’accord de Schengen prévoit le rétablissement des contrôles systématiques des personnes lors de grands événements tels que les Championnats d’Europe de football ou le G8.
Soutien du gouvernement et du Parlement
L’accord d’association de la Suisse aux traités de Schengen et Dublin a été approuvé par le gouvernement suisse et une majorité du Parlement. Ce dernier a décidé de soumettre chacun des accords des Bilatérales II au seul référendum facultatif et non au référendum obligatoire.
C’est pour cette raison que les citoyens sont appelés à s’exprimer seulement sur Schengen/Dublin. L’Union démocratique du centre (UDC / droite dure) et l’Action pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN) ont en effet obtenu le référendum.
Mais la droite dure part pratiquement seule au combat avec seulement le soutien – certes un peu marginal – de l’extrême gauche. Le reste de la classe politique soutient la participation de la Suisse à Schengen/Dublin.
Mathématiquement, le nombre semble être du côté des partisans de l’accord. D’ailleurs, un récent sondage donnait le camp du oui vainqueur à 62%. Cependant, les votes concernant les relations avec l’Europe réservent parfois des surprises – tout le monde se souvient du fameux vote sur l’Espace économique européen du 12 décembre 1992. Réponse donc au soir du 5 juin.
swissinfo, Andrea Tognina
(Traduction de l’italien: Olivier Pauchard)
05.06.2005: le peuple suisse vote sur Schengen/Dublin
06.04.2005: dépôt d’un référendum contre Schengen/Dublin muni de 86’732 signatures
décembre 2004: le Parlement suisse accepte les Bilatérales II
26.10.2004: la Suisse et l’UE signent les Bilatérales II à Luxembourg
19.05.2004: accord et fin des négociations entre la Suisse et l’UE sur les bilatérales II
11.07.2000: le conseiller fédéral Joseph Deiss et le Commissaire européen Chris Patten évoquent pour la 1ère fois l’ouverture de négociation sur un nouveau paquet d’accords bilatéraux
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