Six leçons à tirer de ce dimanche de votations sur l’assurance maladie
La population suisse ploie sous un système de santé par certains côtés luxueux en comparaison internationale. Mais le peuple a une nouvelle fois refusé deux initiatives qui proposaient des solutions. Pourquoi? Et quelle sera la suite? Analyse.
1. La 13e rente AVS a agi comme un boomerang
La gauche suisse pensait surfer sur la vague du succès. Après le oui à la 13e rente AVS au mois de mars, c’est un Parti socialiste presque euphorique qui s’est lancé dans la campagne de votation sur la limitation des primes d’assurance maladie à 10% du revenu.
Or, la victoire historique acquise lors du vote sur l’AVS (Assurance vieillesse et survivants) s’est transformée en boomerang. Le financement de la 13e rente AVS vire au fiasco politique. La logique qui veut que quelqu’un paie le coût de la réforme a frappé les consciences au moment même du lancement de la campagne de votation sur le projet de limitation des primes du PS. Et ceci, dans un contexte de finances publiques fédérales tendu.
De quoi apporter de l’eau au moulin aux partis de droite, opposés à l’initiative. L’argument selon lequel l’initiative sur la limitation des primes pouvait engendrer des coûts jusqu’à deux fois plus élevés que ceux de la 13e rente AVS a fait mouche.
Un autre élément a joué. Dès le départ, celui et celle qui aurait eu à payer la facture d’une limitation des primes était connu: le ou la contribuable. Au contraire de la campagne sur la 13e rente AVS, durant laquelle des idées de financement irréalistes (taxation sur les transactions financières notamment) ont été mises sur la table, personne ne pouvait espérer cette fois-ci passer entre les gouttes.
2. Les Suisses de l’étranger ont soutenu les personnes à bas revenu
Les Suisses de l’étranger ont contribué à combler une lacune en s’engageant plus fortement en faveur des personnes disposant de revenus modestes que leurs concitoyens de l’intérieur. Car les bénéficiaires potentiels qui auraient le plus profité d’une limitation des primes, à savoir les familles à bas revenu, ne sont pas les plus coutumiers des urnes. Souvent, ils n’ont même pas le droit de vote. Beaucoup appartiennent aux 27% qui, vivant en Suisse et y payant des impôts, n’ont pourtant pas voix au chapitre. Car pour cela, il faut posséder le passeport rouge à croix blanche.
Les Suisses de l’étranger ne sont certes pas concernés par les primes d’assurance maladie, car ils n’ont – sauf exception – pas le droit de s’assurer en Suisse. Ils n’auraient pas non plus eu à subir d’éventuelles hausses d’impôts en cas d’acceptation de l’initiative.
Mais comme pour chaque objet de votation, ils ont leur mot à dire au titre de citoyens suisses. Ils se sont montrés, selon les sondages menés avant le vote, sensiblement plus favorables que les indigènes à l’initiative sur la limitation des primes.
>> Les intentions de vote des Suisses de l’étranger à fin mai. Notre analyse détaillée suivra lundi:
3. Le peuple – alémanique – est attaché à son système de santé unique
Ce dimanche, le peuple suisse a confirmé son attachement à un système de santé qui fait figure d’exception en Europe. Avec son financement qui repose en grande partie sur les ménages et des primes réparties de manière égale entre les individus, le modèle actuel, introduit en 1996, peut paraître antisocial, du moins vu de l’extérieur.
Cela ne semble toutefois pas déranger les Suisses, qui ont refusé à cinq reprises au cours des 30 dernières années des initiatives issues des rangs de la gauche prônant la création d’une caisse maladie unique ou la mise en place de primes selon le revenu.
Car même s’il pèse de plus en plus sur les épaules de la classe moyenne, le système de santé suisse a le mérite de fonctionner. Que l’on soit riche ou pauvre, citadin ou habitant de la campagne, Suisse ou étranger résidant en Suisse, on peut bénéficier, dans ce pays qui a l’une des concentrations en hôpitaux les plus denses du monde, de prestations médicales de qualité dans des délais raisonnables.
Durant la campagne, le modèle anglais, entièrement financé par l’impôt, a d’ailleurs été brandi en contre-exemple. Même les initiants ont reconnu qu’à trop vouloir élaborer un système pour tout le monde, sans franchise ou quote-part, on risquerait de reproduire un système à plusieurs vitesses et engorgé.
Au pays de la responsabilité individuelle et de l’omniprésence des acteurs privés de la santé, le modèle de santé libéral, soutenu par une majorité du peuple, semble encore avoir de beaux jours devant lui.
Le cri de douleur lancé dans les urnes par la Suisse romande et le Tessin, deux régions minoritaires où les habitants paient les primes maladie les plus élevées du pays, ne doit pas pour autant être sous-estimé. Le monde politique doit désormais trouver de vraies réponses à la hausse continue des coûts de la santé. Faute de quoi ce thème hautement sensible continuera à mettre à mal la solidarité nationale lors des futurs dimanches de votation.
4. On n’a jamais vraiment su qui aurait profité de l’initiative
L’initiative des socialistes semblait simple mais, de fait, était compliquée. Et rien n’effarouche plus l’électeur suisse que les initiatives complexes. Elle paraissait simple vu que 10% du revenu est un chiffre que tout un chacun peut visualiser le concernant.
C’est ensuite que tout se compliquait. Célibataire ou en famille, famille monoparentale ou retraité, cet ensemble de facteurs déterminait qui aurait ou non pu profiter de la limitation de prime, selon les cantons.
Autre élément de flou: pour quel modèle d’assurance voulait-on plafonner les primes? Vouloir redistribuer de l’argent et réclamer de la solidarité exige d’indiquer pour quoi. Le Parlement aurait dû définir les détails du modèle d’assurance de même que les contours du «revenu disponible».
Autre erreur: les initiants n’ont pas exclu le modèle d’assurance avec accès direct aux médecins spécialistes. Or, cette variante coûteuse concorde mal avec un objectif de politique sociale. L’impression qui demeure est que la Suisse se permet une option de luxe dans l’assurance maladie de base.
5. L’initiative du Centre n’était pas adaptée à la voix du peuple
L’initiative «Pour des primes plus basses. Frein aux coûts dans le système de santé» lancée par Le Centre souffrait d’un même problème de complexité. D’abord, elle reposait sur le conditionnel. Elle n’aurait produit ses effets qu’à certaines conditions. Ensuite, elle exigeait des mesures non spécifiques de la part des institutions et des organisations qui, jusqu’ici, ne sont pas parvenues à s’entendre sur des solutions propres à contenir l’explosion des coûts de la santé.
Enfin, cette initiative opérait au seul sein du système politique, loin du porte-monnaie des citoyennes et citoyens. Loin aussi du vécu des patientes et patients. En clair, elle avait plutôt les caractéristiques d’une intervention parlementaire. Le peuple n’était pas la bonne adresse.
En conséquence de quoi la campagne n’a jamais vraiment décollé. Même les représentants du parti ne semblaient pas unis derrière l’idée de leur président Gerhard Pfister.
6. La discussion va se poursuivre et la pression ne faiblira pas
La Suisse se classe certes parmi les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui dépensent le plus d’argent pour la santé, soit entre 11 et 12% du PIB. Si la croissance économique se maintient, l’État en a toutefois les moyens.
Le porte-monnaie des citoyennes et des citoyens est toutefois moins extensible, mais c’est tout de même à lui d’éponger quelque 60% des coûts de la santé. La pression sur les ménages à faible revenu reste élevée.
Personne ne remet en question la nécessité de mieux maîtriser les coûts de la santé. Et ce ne sont pas les idées qui manquent. Une meilleure répartition du fardeau reste l’option privilégiée à gauche de l’échiquier politique. À droite et au centre, la planification hospitalière est dans le collimateur.
Le net refus de dimanche n’a donc pas mis fin à la discussion, mais l’a au contraire relancée. Car le problème de fond reste entier: les réformes envisagées peinent à réunir des majorités politiques. La faute notamment aux nombreux acteurs présents sur un marché de la santé qui pèse plus de 90 milliards de francs et qui exerce une forte influence sur le Parlement.
Texte relu et vérifié par Mark Livingston
Les réactions à Berne des opposants et des partisans à l’initiative:
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