Secret bancaire: «La Suisse doit être plus créative»
L'accord sur UBS passé entre la Suisse et les Etats-Unis est correct d'un point de vue juridique, tout comme l'est le transfert de données de clients, selon l'expert en droit pénal Mark Pieth. Ce qui ne l'empêche pas d'en appeler à une refonte de quelques principes de base de la justice financière suisse.
Lors d’une étape qui semble déjà bien éloignée, une solution avait été trouvée, mercredi dernier dans l’affaire d’évasion fiscale commise par des clients américains d’UBS: la grande banque helvétique a accepté le versement de près d’un milliard de francs et la transmission de noms de clients.
swissinfo a interviewé le professeur de droit Mark Pieth, spécialiste de la criminalité financière, avant que les problèmes de l’UBS ne s’aggravent une nouvelle fois avec la demande d’information concernant 52’000 citoyens américains.
swissinfo: La transmission de données bancaires au fisc américain signifie-t-elle la fin du secret bancaire?
Mark Pieth: Je ne pense pas qu’il faille automatiquement laisser tomber le secret bancaire. Mais les événements actuels montrent que les autorités suisses doivent réfléchir à leur manière de réagir aux demandes de l’Union européenne et des USA. Il y a, à n’en pas douter, une tension entre une procédure d’Etat de droit en Suisse et la pression américaine.
Le Département de justice américain a mené une enquête contre l’UBS et, manifestement, les autorités suisses ont jugé que cette menace était susceptible de mettre en péril l’existence même et les liquidités de l’UBS.
Dans ces circonstances, les autorités suisses ont appliqué une sorte de droit extraordinaire, qui n’est pas un droit d’urgence. Le feu vert a été donné à la transmission de noms de clients, alors que la procédure était pendante au Tribunal administratif fédéral, avec effet suspensif. La pression des Etats-Unis a dû être extrêmement forte.
swissinfo: Doit-on en conclure que d’autres banques suisses pourraient être impliquées dans des enquêtes de même type?
M.P.: On ne peut en tout cas pas l’exclure. Avec l’UBS, c’est le symbole même de la place financière suisse qui se retrouve attaqué. Credit Suisse réagirait certainement de la même manière. Mais je ne suis pas sûr que ce serait le cas de toutes les autres banques.
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swissinfo: 66 milliards pour sauver l’UBS et, désormais, la livraison de noms de clients: dans les deux cas, le Conseil fédéral est à la limite de son indépendance décisionnelle. Pourquoi?
M.P.: A mon avis, les deux décisions n’ont rien à avoir l’une avec l’autre. Le lien est indirect et naît du fait que le gouvernement affirme dans chaque cas que l’UBS est vitale pour le pays. C’est le dénominateur commun, me semble-t-il. Mais il serait erroné de dire que la Confédération est à la solde de l’UBS. Le procédé choisi par les autorités est prévu par le droit.
swissinfo: Vous avez déjà réclamé à plusieurs reprises des réformes dans le système financier suisse. Que faudrait-il faire en premier lieu?
M.P.: La question du respect de l’Etat de droit et la question des critères permettant d’en dévier est un aspect du problème. Mais d’un autre côté, l’Etat doit décider quels contours il veut donner à l’entraide judiciaire et à l’assistance administrative avec le secret bancaire.
Dans ce sens-là, la Suisse devrait se montrer bien plus créative. Un modèle réaliste consisterait à permettre aux autres Etats de récolter les impôts sans que les noms des clients des banques en Suisse doivent être dévoilés. Par exemple, l’impôt anticipé, que nous connaissons sur le plan national, permet à la Confédération de prélever d’autres impôts au nom d’autres autorités.
Le problème actuel est que le système suisse subtilise à nos voisins leurs moyens de financer leur Etat social. Nous devons comprendre cela. J’ai peu de compréhension pour l’argument selon lequel la Suisse doit garantir l’asile à des fuyards fiscaux parce qu’ils viennent de pays à fort taux d’impôts. Je trouve cela très cynique.
swissinfo: L’Union européenne demande à la Suisse de renoncer à la distinction entre soustraction fiscale et escroquerie fiscale, seule cette dernière étant considérée comme un délit. La Suisse doit-elle obtempérer?
M.P.: Cela dépend de comment nous abordons le problème. Une possibilité serait de prélever des impôts au nom des pays de l’UE. La question se poserait alors totalement différemment.
Mais si nous continuons à opérer sur la base de l’entraide administrative et judiciaire, nous devrons, effectivement, probablement abandonner cette distinction. J’ai de toute façon quelques doutes fondamentaux sur le modèle d’affaires des instituts bancaires suisses qui soutiennent la soustraction fiscale.
Interview swissinfo: Andreas Keiser
(Traduction et adaptation de l’allemand Ariane Gigon)
Le 18 février dernier, dans le cadre d’une enquête contre des clients américains soupçonnés d’avoir fraudé le fisc avec la collaboration d’UBS, la Suisse a annoncé qu’un accord avait été passé avec les Etats-Unis portant sur le versement, par UBS, de près d’un milliard de francs et sur la transmission de noms de clients.
Les premières réactions ont été majoritairement négatives: la Suisse a cédé aux pressions américaines alors qu’une prodécure juridique était en cours (recours contre l’entraide administrative), estiment les commentateurs.
Le ministre suisse des Finances Hans-Rudolf Merz a de son côté expliqué qu’UBS transmettrait des informations sur 250 à 300 clients américains. Il a assuré que «le secret bancaire restait intact».
L’Union européenne s’est empressée de réclamer le même traitement pour les ressortissants de ses Etats-membres.
Le 19 février, la justice américaine a exigé qu’UBS révèle l’identité de quelque 52’000 clients titulaires de comptes secrets illégaux, représentant quelque 14,8 milliards de dollars d’actifs.
Le 24 février, les avocats de huit clients américains d’UBS ont déposé une plainte contre UBS et l’Autorité de surveillance des marchés financiers (FINMA) auprès du Ministère public de la Confédération.
Le président du conseil d’administration d’UBS Peter Kurer et celui de la FINMA Eugen Haltiner sont accusés d’avoir failli au secret bancaire.
Pour sa part, le Tribunal administratif fédéral a reçu depuis lundi 10 à 12 nouvelles demandes de mesures super-provisionnelles réclamant l’interdiction temporaire de la transmission des données bancaires au fisc américain.
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