Sept choses à retenir des votations de ce dimanche 24 novembre
Avec le non à l’extension des autoroutes, le Conseil fédéral subit une troisième défaite majeure en votation populaire cette année. La crise inhabituelle de confiance que subissent les autorités est parfaitement exploitée par la gauche. Notre analyse.
1. La Cinquième Suisse s’est montrée plus ouverte à l’extension des autoroutes
Les quatre objets soumis au vote le 24 novembre étaient d’un intérêt plutôt limité pour les Suisses de l’étranger. Les deux projets relatifs au droit du bail concernaient tout au plus les personnes qui possèdent encore des biens immobiliers en Suisse et les louent, ou les locataires souhaitant sous-louer leur logement pendant un séjour à l’étranger.
L’élément vraiment étonnant concernant la Cinquième Suisse a été son niveau élevé de soutien aux élargissements autoroutiers dans le premier sondage: 60% des Suisses de l’étranger interrogés se prononçaient alors pour davantage d’investissements dans les autoroutes, alors que l’approbation de la population suisse était inférieure de 10 points de pourcentage.
Lors du second sondage, les intentions de vote favorables avaient certes baissé de manière générale, mais le schéma était le même: le soutien de l’étranger aux projets autoroutiers était plus marqué (50%) que celui de la Suisse (47%).
Nous analyserons comment les Suisses de l’étranger ont effectivement voté, mais le fait que la diaspora helvétique se soit exprimée de manière moins écologique que la population au pays est en soi remarquable.
Voici quelques pistes d’explication: lors de visites ponctuelles en Suisse, les Suisses de l’étranger sont plus sensibles aux changements dans leur pays d’origine et les comparent à la situation dans leur pays de résidence. Il se peut ainsi qu’un certain nombre de Suisses de l’étranger trouvent les autoroutes suisses plus encombrées que celles qu’ils empruntent quotidiennement.
La tendance globale est à une perte d’intérêt pour les questions écologiques, alors que la priorité est donnée à la sécurité et à la prospérité. Les Suisses de l’étranger suivront-ils cette évolution plus rapidement que la population au pays?
Si cette dernière hypothèse se vérifiait, ce serait un changement de paradigme. Mais, pour l’instant, nous ne voyons rien de plus que deux oscillations sur un sismographe; il en faudrait beaucoup plus pour tracer une ligne.
>>> À Berne, les réactions à chaud des opposants et des partisans à l’extension des autoroutes:
2. Le peuple s’est fié aux experts plus qu’au Conseil fédéral
Face à un projet des autorités, les adversaires des élargissements autoroutiers ne partaient pas avec l’avantage. Le camp du oui disposait en outre de moyens supérieurs pour la campagne: plus de 4 millions de francs (contre 2,7 pour l’opposition), soit le budget le plus élevé pour un objet de votation déclaré en 2024, selon les chiffres provisoires du Contrôle des financesLien externe et l’analyse réalisée par Année politique suisseLien externe. 93% des encarts parus dans les journaux concernant l’élargissement des autoroutes en faisaient la promotion, d’après le centre de recherche.
Surtout, l’opposition devait convaincre un électorat suisse traditionnellement peu enclin à restreindre le trafic automobile et qui avait, jusqu’à présent, quasiment toujours soutenu le développement de l’infrastructure routière – l’exception étant l’initiative des Alpes, adoptée il y a 30 ans.
Et pourtant, une majorité des votantes et votants ont dit «stop» ce dimanche. Il est intéressant de constater que la parole des experts l’a emporté, ce qui n’est pas si courant. Les adversaires du projet, avec le renfort de spécialistes de la mobilité (350 ont pris position contreLien externe), sont parvenus à convaincre avec l’argument scientifique contre-intuitif que l’augmentation de la capacité autoroutière induirait à terme autant voire plus de bouchons.
Le gouvernement a quant à lui manqué de précision factuelle sur plusieurs points. Il s’est notamment vu accuser de rétention d’informationLien externe sur l’impact environnemental et sanitaire réel des transports, de manque de transparence sur les conséquences du projet pour le prix de l’essenceLien externe ou encore d’arguments sécuritaires trompeursLien externe. Cela a peut-être instillé le doute dans un électorat pourtant initialement acquis à sa cause.
>> Notre compte-rendu détaillé de la votation sur l’extension des autoroutes:
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Les Suisses ont dit non à l’élargissement des tronçons autoroutiers
3. L’électorat a été séduit par la perspective d’une baisse des primes
Le financement uniforme des prestations de santé ambulatoires et hospitalières partait avec deux handicaps de taille: sa complexité et son manque de transparence.
Non seulement le projet ficelé par le gouvernement et le Parlement était difficile à comprendre pour l’électorat, mais l’impact de la réforme n’était pas clair. Pire, les partisans et les opposants à la réforme évaluaient ses effets de manière diamétralement opposée: les premiers promettaient une baisse des primes d’assurance maladie, alors que les seconds dénonçaient une trahison qui provoquerait même une hausse de celles-ci.
Tous les ingrédients étaient ainsi réunis pour que le financement uniforme des prestations de santé connaisse le même sort que la réforme de la prévoyance professionnelle, enterrée par le peuple en septembre.
Un autre facteur a toutefois été décisif: un nombre croissant des ménages suisses, qui assument un quart des coûts de la santé, peinent à faire face aux hausses constantes des primes. Malgré les incertitudes, la promesse de voir baisser les factures de leur caisse maladie a ainsi suffi à séduire une majorité du peuple.
>> Notre compte-rendu détaillé de la votation sur le financement uniforme des prestations de santé:
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Les soins seront financés de manière uniforme en Suisse
4. Droit du bail: un passage en force qui ne passe pas
Un projet de loi, quel qu’il soit, doit avoir été élaboré sur une base consensuelle minimale s’il veut avoir une chance de survivre à la menace du référendum facultatif.
Or cette règle implicite de la démocratie semi-directe suisse n’a pas été respectée par le Parlement – dans son ancienne composition – en septembre 2023, lorsqu’il a décidé de simplifier les résiliations anticipées pour l’usage propre du bailleur et de durcir les conditions en matière de sous-location.
A l’époque, même le Conseil fédéral, à majorité de droite lui aussi, s’était opposé à cette réforme du droit du bail, jugeant les règles en vigueur suffisantes. Contraint de faire campagne – la loi l’y oblige – en faveur de ces deux objets, le ministre de l’Economie, Guy Parmelin, a fourni le service minimum.
Pas convaincu non plus, le peuple suisse a renvoyé la balle à l’expéditeur. Dans un pays où 60% de la population n’a pas accès à la propriété immobilière, cette tentative de passage en force a été perçue comme un nouveau signe de déconnexion du Parlement avec la réalité de ce que vivent la plupart des citoyens-locataires.
La pénurie de logements, qui frappe surtout les grandes villes du pays, place en effet les locataires dans un rapport de force défavorable face aux propriétaires immobiliers. Même si les réformes proposées par le camp bourgeois pouvaient sembler pragmatiques, le puissant lobby des locataires, l’Asloca, aidé par les partis de gauche, a réussi à faire échouer de justesse cette double réforme dans les urnes.
>> Notre compte-rendu détaillé des deux votations sur la réforme du droit du bail:
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Double refus pour le droit du bail
5. La confiance entre le peuple et ses autorités est au plus bas
La Suisse est habituellement connue à l’étranger pour le degré de confiance élevé dont jouissent ses autorités. Elle est cependant en train de traverser une crise de confiance: pour la première fois, les personnes qui se montrent méfiantes envers le gouvernement (47%) sont plus nombreuses que celles qui lui font confiance (42%), selon les données récoltées par l’institut de sondage gfs.bern.
Le «non» à l’extension des autoroutes est un nouveau désaveu pour le Conseil fédéral et la majorité du Parlement, qui avaient déjà perdu sur deux thèmes de votation majeurs cette année.
Durant la pandémie de Covid-19, les citoyennes et les citoyens s’étaient pourtant largement rangés derrière la politique du gouvernement. La confiance a cependant commencé à s’effriter avec la fin des mesures sanitaires.
Le climat de méfiance exerce une influence sur la formation de l’opinion de l’électorat. On l’a constaté au cours de la campagne de votation: la tendance au non a augmenté pour les quatre objets soumis au vote du peuple, un schéma inhabituel pour des projets émanant du gouvernement.
Plusieurs facteurs expliquent cette situation. Un tournant s’est notamment produit lorsque le peuple a accepté en mars dernier l’introduction d’une 13e rente de retraite contre l’avis du gouvernement. Depuis, l’impression que les autorités ne comprennent pas les préoccupations de la population domine.
Le refus de la réforme de la prévoyance professionnelle dans les urnes et les erreurs de calcul dans les prévisions financières de l’Assurance vieillesse et survivants (AVS) ont porté un coup supplémentaire à la confiance du peuple envers les institutions.
>> A revoir: notre débat filmé sur la perte de confiance du peuple envers le Parlement:
6. La gauche en mode victoire
Les partis de gauche et les syndicats surfent sur une vague de succès dans les urnes. Le Parti socialiste (PS) a remporté neuf des douze votations populaires de la législature en cours. La gauche a remporté une première victoire au début de l’année avec le oui à la 13e rente AVS, puis une seconde avec le non à la réforme de la prévoyance professionnelle. Pierre-Yves Maillard, conseiller aux Etats socialiste et président de l’Union syndicale suisse, a joué un rôle central dans la campagne de votation.
Avec le oui au financement uniforme des prestations de santé, le poids lourd politique qu’est Pierre-Yves Maillard, les socialistes et les syndicats ont en revanche subi une défaite. Les résultats des trois autres projets consolident toutefois la tendance observée: la gauche doit certes se battre davantage au Palais fédéral, mais elle parvient de plus en plus à faire passer ses revendications à l’aide d’initiatives populaires et de référendums, contrecarrant ainsi les décisions prises par le Parlement.
Les partis de gauche remplacent ainsi l’Union démocratique du centre (UDC) dans le rôle de parti d’opposition. Cette situation ne relève pas du hasard. On observe en effet une nette volonté de la gauche de se focaliser sur la mobilisation dans les urnes.
Fait notable: alors qu’en 2023, l’électorat suisse a voté à droite lors des élections fédérales, il a plutôt voté à gauche lors des votations de la législature actuelle. Un succès pour la gauche, mais qui risque également de créer des blocages au Parlement. La concordance, qui met en avant la recherche de solutions communes, ne semble pas correspondre à cette mécanique de parti d’opposition.
7. La polarisation touche aussi la Suisse
La polarisation croissante en politique s’observe également en Suisse. Les partis les plus éloignés du centre de l’échiquier politique s’expriment avec plus de force et on les remarque davantage. Les résultats serrés de ce dimanche de votation confirment ces évolutions.
En ce qui concerne l’extension des autoroutes ainsi que pour les deux projets de modification du droit du bail, la mobilisation de la gauche a fait son effet et a amené la base électorale aux urnes.
L’acceptation du projet EFAS montre que le Parlement sait encore trouver la voie du fameux compromis suisse. Toutefois, au cours de la campagne de votation, le clivage gauche-droite s’est là aussi nettement accentué.
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Texte relu et vérifié par Mark Livingston
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