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Travailleurs circulez, vous êtes contrôlés

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En Suisse, quelque 150 inspecteurs du travail veillent à ce que libre circulation ne rime pas avec exploitation. Ce dispositif, qui va devoir affronter la crise, a jusqu'ici donné satisfaction aux autorités de surveillance, même dans les cantons frontaliers. Reportage à Neuchâtel.

Du rose bonbon des salons de massage aux gris métalliques mais chics des entreprises d’horlogerie, les inspecteurs de l’emploi en voient de toutes les couleurs. Employés par l’Etat neuchâtelois, Frédéric et Nelson ont pour mission de lutter contre la sous-enchère salariale dans le canton.

Cet après-midi-là, leurs visites, toujours inopinées, les mènent d’abord dans un restaurant. Qui affiche fermé. Un risque du métier, qu’ils sont forcés de prendre puisque la restauration, avec la construction, fait partie des secteurs où les infractions sont les plus nombreuses. Et où leurs contrôles nécessitent parfois un accompagnement policier.

Rien de tel dans la société de télémarketing du bas du canton ou dans l’entreprise horlogère, propriété du groupe LVMH, qu’ils visitent ensuite dans le haut. Bien que leur arrivée ne manque pas de susciter une crispation passagère sur les visages.

Finalement, c’est dans le quartier chaud de Neuchâtel que l’accueil s’avère le plus souriant. «Bonjour Madame, inspection du travail. Rosanita* est-elle là?». Originaire de la République dominicaine, la jeune femme est titulaire d’un passeport espagnol, ce qui lui permet, libre circulation oblige, de travailler au maximum 90 jours sur sol suisse.

Dans le milieu, beaucoup de ses collègues d’origine brésilienne ou asiatique mariées à des Européens sont dans la même situation. Rosanita elle, dans cet appartement minuscule et surchauffé où la télé passe un feuilleton romantique, confie qu’elle a quitté l’Espagne à cause de la crise. «J’espère que ça ira mieux ici, même s’il fait très froid !».

9% des emplois aux frontaliers

En 2000, lorsque les Suisses ont accepté en votation l’accord sur la libre circulation des personnes, un seul inspecteur était chargé de la surveillance du marché de l’emploi dans le canton de Neuchâtel. Frédéric et Nelson font aujourd’hui partie d’une équipe de six personnes, qui s’occupe également du travail au noir.

En ce qui les concerne, l’essentiel de leur travail est constitué par les contrôles qu’ils effectuent dans le cadre des mesures d’accompagnement. Introduites en 2004, celles-ci l’ont été pour servir de garde-fous à la sous-enchère salariale. A tel point que Bruxelles, dans un courrier diplomatique début 2008, en a dénoncé certaines pour leur caractère protectionniste.

Sur le terrain, le système semble en tout cas fonctionner. Le 14 janvier dernier, la Confédération et les cantons ont tiré un bilan positif. Que partage Olivier Schmid, chef de l’Office neuchâtelois de surveillance du marché de l’emploi. «Avec 600 contrôles effectués en 2008, ce qui représente près de 3000 employés, on arrive à avoir une image assez juste de la situation. Or, si nous avons dénoncé des abus, nous n’avons pas constaté de sous-enchère salariale», indique-t-il.

Dans un canton où les frontaliers exercent 9% des emplois et où leur effectif n’a pas cessé de gonfler en dix ans – 3748 en 1998 contre 9446 en 2008 -, la question préoccupe. Les autorités ont présenté plusieurs analyses à ce sujet. L’une, en 2006, établissait une «certaine corrélation» entre l’emploi frontalier et le taux de chômage. L’autre, en 2007, réfutait l’existence d’une «corrélation évidente» entre les deux.

2550 francs par mois

Pour sa part, le syndicaliste neuchâtelois Michel Gindrat, partisan du refus le 8 février prochain, estime que le dumping salarial est un fait. Selon lui, les enquêtes sur les salaires, comme celle réalisée cet été dans le secteur horloger, ne sont pas représentatives car fondées sur des données de l’Office de la statistique plutôt que sur les fiches de paie réelles.

«Jean-Claude Rennwald [député socialiste au Parlement] a parlé de salaires de 2550 francs par mois ou d’autres inférieurs de 600 francs à ceux en vigueur dans la branche. Dans le second-œuvre par exemple, il n’y a pas de CCT nationale, les abus sont très fréquents», critique-t-il.

Un constat partagé par la surveillance du marché de l’emploi. «Les salaires peuvent y être de 2 à 40% inférieurs aux normes», précise l’un des deux inspecteurs. Qui n’ont d’autres moyens que de dénoncer les sociétés prises en faute.

L’an dernier, 32 sanctions administratives ou pénales ont ainsi été prononcées dans le canton. Elles l’ont été contre des entreprises ou des indépendants européens qui ne s’étaient pas annoncés ou des sociétés qui avaient détaché des travailleurs en Suisse sans fournir leurs fiches de salaire ou sans les payer aux normes helvétiques.

Situation de plus en plus tendue

D’une voix commune, les cantons ont reconnu qu’il était encore difficile aujourd’hui de prendre des sanctions contre des entreprises ayant leur siège social à l’étranger. Ils ont aussi souligné qu’avec une économie en perte de vitesse, l’épreuve de vérité était encore à venir pour les mesures d’accompagnement.

Michel Gindrat est plus alarmiste. Citant en vrac la quasi-impossibilité de contrôler le travail qui s’effectue à titre indépendant, la zone grise qui règne en matière d’agences de placement et le fait que la CCT de l’horlogerie ne soit pas étendue à tous les ouvriers de la branche, le syndicaliste craint une situation de plus en plus tendue avec la crise.

Philosophes, Frédéric et Nelson n’imaginent quant à eux pas venir grossir les rangs des chômeurs au cas où les mesures d’accompagnement venaient à être supprimées. «Si elles n’avaient pas été mises en place, cela aurait été la gabegie. Mais des contrôles, il y en aura toujours», concluent-ils.

swissinfo, Carole Wälti

* Identité fictive

Depuis l’entrée en vigueur de la libre circulation des personnes, l’arrivée en Suisse de ressortissants de l’UE et de l’Association européenne de libre échange (AELE) est en augmentation.

Leur nombre a progressé de 2,2% entre décembre 2005 et décembre 2006, de 5,3% entre décembre 2006 et décembre 2007, et de 7,9% entre août 2007 et août 2008 selon les dernières données disponibles.

Pour ce qui est des frontaliers, ils étaient environ 208’000 à travailler en Suisse à la fin du premier trimestre 2008.

Par rapport au premier semestre 2003 (165’300), cela représente une augmentation de 26%.

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