Un film au-delà des clichés sur le général Guisan
Symbole de la volonté de résister à l’invasion étrangère pendant la Seconde Guerre mondiale, le général Guisan est décédé il y a exactement 50 ans. A cette occasion, un film documentaire livre un regard nouveau sur cette figure mythique de l’Histoire suisse.
Il y a une époque, pas si éloignée, où le général Henri Guisan faisait figure de mythe. Celui qui avait dirigé l’armée suisse pendant la Seconde Guerre mondiale était l’objet d’un véritable culte, phénomène bien étrange dans un pays réputé pour ne pas spécialement apprécier les «têtes qui dépassent».
Pour se convaincre de cet impact, il suffit de consulter les cartes géographiques des principales villes de Suisse. Toutes – ou presque – ont leur Rue Général Guisan, Avenue Général Guisan, voire même Place Général Guisan. Et il est bien probable que dans quelque vieux troquet de village, le portrait du général trône encore bien en évidence.
Diffusion nationale
Le diffuseur SRG SSR idée suisse présente début avril un film de 55 minutes consacré à cette figure emblématique. La diffusion sera nationale, puisque le documentaire sera transmis par les chaînes des quatre régions linguistiques du pays.
Cette date de diffusion n’est pas due au hasard. Il y a en effet 50 ans exactement – le 7 avril 1960 – que le général Henri Guisan s’est éteint. Pas moins de 300’000 personnes avaient assisté aux obsèques à Lausanne, prenant ainsi part à l’enterrement le plus suivi de toute l’Histoire suisse.
La télévision suisse de l’époque avait d’ailleurs bien saisi la portée de l’événement. Elle avait retransmis les funérailles intégralement et en direct.
Le parcours d’un homme
Cinquante ans plus tard, cette même télévision revient donc sur le mythe au travers d’un documentaire sobrement intitulé Le Général.
Lors de la présentation, à Berne, Daniel Eckmann a d’emblée insisté sur ce que ce film n’est pas. «Son rôle n’est pas de refaire l’histoire de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale, mais de montrer le parcours d’un homme», a déclaré le directeur général adjoint de SRG SSR idée suisse.
Or ce parcours peut être montré d’une manière nouvelle grâce à l’emploi d’archives inédites. Les spectateurs pourront notamment pour la première fois visionner des images du général Guisan en couleurs. Autre exemple: un document montre, pour la première fois aussi, sa rencontre avec le dictateur italien Benito Mussolini.
Le côté inédit n’est cependant pas à mettre uniquement au crédit du matériel utilisé. La trame même du documentaire est une nouveauté. «On avait vu différents angles de la vie de Guisan, mais jusqu’à présent, on n’avait jamais raconté toute son histoire», relève le réalisateur du documentaire, Felice Zenoni.
Le Général retrace donc tout le parcours d’Henri Guisan, parcours qui l’a mené de la position de petit hobereau du canton de Vaud à celle de chef de l’armée et de figure mythique du pays.
Pas un panégyrique
L’image du général qui ressort de ce documentaire est somme toute sympathique. C’est celle d’un homme proche de ses troupes, à une époque où les commandements militaires aiment encore à cultiver une certaine distance avec leurs subordonnés.
Sur un plan politique, c’est aussi l’image d’un patriote déterminé à défendre son pays face à la menace nazie. A cette fin, c’est lui qui fit du concept de «réduit national» – c’est-à-dire une défense depuis les forteresses inexpugnables des Alpes – un symbole national.
Pour autant, ce documentaire n’est pas un panégyrique à la gloire du général. Des historiens et des témoins décortiquent son action pendant cette période agitée. «On ne voulait pas faire un hymne à Guisan, explique Felice Zenoni. Pour moi, comme journaliste, le but était de raconter ce qui se passait à l’époque. Il y avait des choses qui étaient bien et qui étaient moins bien.»
Parmi les bémols à l’action militaire d’Henri Guisan: les contacts parfois étroits qu’il a pu entretenir avec les belligérants, quitte à menacer la politique de neutralité suisse. C’est ainsi qu’il a poussé très loin les contacts avec l’état-major français. Les documents découverts par les Allemands lors de la défaite de la France, au printemps 1940, mirent alors la Suisse en position délicate. Et en mars 1943, il rencontra sur le territoire suisse Walter Schellenberg, chef du contre-espionnage de la SS, sans en informer le gouvernement.
Sur un plan politique, le portrait du général laisse également entrevoir quelques zones plus sombres. On y découvre un homme très conservateur, assez hostile aux mouvements ouvriers. Ainsi, par exemple, son admiration pour Mussolini, même après la fin de la guerre, «pose question», selon les mots de Felice Zenoni.
Une image qui s’estompe
Aussi populaire qu’il fut il y a quelques décennies, force est de constater que l’image du général Guisan s’est estompée auprès de plus jeunes générations.
«Nous nous trouvons peut-être dans une période intermédiaire. Pour ceux qui ont vécu cette époque, le général reste encore un peu un mythe. Mais pour les gens qui vivent aujourd’hui, il n’est pas tellement intéressant. Je crois cependant que cela va revenir, car plus le temps passe, plus on redécouvre notre Histoire», conclut Felice Zenoni.
Olivier Pauchard, swissinfo.ch
* Le film Le Général est diffusé lundi prochain 12 avril à 20 h 40 sur TSR 2
En Suisse, le grade de général est attribué uniquement en temps de guerre.
Elu par le Parlement, le général est le commandant en chef de l’armée suisse en période de guerre.
Jusqu’à présent, l’armée fédérale a compté quatre généraux: Guillaume-Henri Dufour (Guerre du Sonderbund, 1847), Hans Herzog (guerre franco-prussienne, 1870-1871), Ulrich Wille (Première Guerre mondiale, 1914-1918) et Henri Guisan (Seconde Guerre mondiale, 1939-1945).
En temps de paix, les plus hauts gradés de l’armée suisse sont: brigadier, divisionnaire et commandant de corps. A l’étranger, ils seraient respectivement désignés du terme de général de brigade, général de division et général de corps d’armée.
Henri Guisan est né le 10 octobre 1874 à Mézières, dans le canton de Vaud.
Après des études d’agronomie, il devient gentleman-farmer à Pully (Vaud).
Nommé officier en 1894, il gravit progressivement les échelons de la carrière militaire. Lors de la Première Guerre mondiale, il est intégré à l’état-major général avec le grade de lieutenant-colonel.
Jusque-là soldat de milice, il devient professionnel de l’armée avec sa nomination au rang de brigadier (1927) puis de commandant de corps (1932).
L’Assemblée fédéral l’élit général le 30 août 1939 par 204 voix sur 231. Il reste commandant en chef de l’armée jusqu’au 20 août 1945.
Décès le 7 avril 1960 dans son fief de Pully .
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