Un réseau de bénévoles pour épauler les migrantes victimes de violence
Les femmes migrantes victimes de violences domestiques seront mieux protégées en Suisse, grâce à une modification de la loi. Pour se défendre, elles continuent toutefois de faire face à de nombreux obstacles. Une fondation a mis en place un réseau de bénévoles formées pour leur venir en aide.
«Parmi les femmes migrantes victimes de violence domestique, la peur de perdre son permis de séjour est très présente», constate Marisa Dinis, une Neuchâteloise d’origine angolaise.
En effet, lorsque le titre de séjour a été accordé au titre du regroupement familial, il perd sa validité si l’épouse quitte le domicile conjugal. Jusqu’à présent, des exceptions étaient accordées uniquement lorsque la victime pouvait prouver l’intensité des violences et leur répétition.
Toutefois, le Parlement a accepté en juin une modification de la loi sur les étrangers, qui entrera prochainement en vigueur. Elle permet aux personnes migrantes victimes de violence d’obtenir le renouvellement de l’autorisation initialement obtenue par regroupement familial.
Malgré ces changements, il est toujours difficile pour elles d’en parler. La fondation Surgir, une organisation basée à Lausanne et active dans la défense des droits des femmes, a mis sur pied un réseau de bénévoles pour les accompagner. Appelées «les multiplicatrices», ces femmes parlent une langue de la migration ou ont un accès privilégié à une communauté étrangère.
«À travers une formation, nous leur donnons les outils pour accueillir les témoignages des victimes et les diriger vers les structures d’aide, si elles le souhaitent», souligne Victoria Molina, la responsable du projet. Pour le moment, le programme se concentre sur le canton de Vaud et de Genève, mais l’idée serait de l’étendre à toute la Suisse romande, voire un jour à tout le pays.
Marisa Dinis fait partie de ce réseau. L’étudiante en soins infirmiers de 33 ans a elle-même subi des violences psychiques et physiques infligées par un père diagnostiqué bipolaire. Son histoire personnelle l’a poussée à s’engager pour aider d’autres victimes.
Son parcours l’aide aussi à comprendre la difficulté de parler de la violence pour obtenir de l’aide. «Il faut toujours expliquer, raconter. On a parfois l’impression de ne pas avoir droit au silence», dit-elle.
Les femmes migrantes plus vulnérables
Environ 25 personnes par année meurent des suites de violences domestiques en Suisse, dont 75% sont des femmes, comme le rapporte le Bureau fédéral de l’égalité. Selon la statistique policière, en 2023, 11’479 personnes ont été victimes de violence domestique, dont 70% de femmes.
Cette violence touche tout le monde, mais les femmes migrantes y sont particulièrement vulnérables et ont tendance à moins solliciter les services d’aide à disposition, comme l’a constaté la fondation Surgir. «Cela s’explique par différents facteurs: la barrière de la langue, le manque de liens sociaux, la méconnaissance des lois et des structures en Suisse, ainsi que la peur de perdre leur permis de séjour», explique Victoria Molina.
Andrea Velandia en a fait la douloureuse expérience. «Je suis une survivante», dit la Vénézuélienne établie à Genève. Elle revient pour la première fois à l’endroit où, il y a quelques années, elle avait trouvé refuge pour fuir un mari violent. Le foyer n’existe plus. Il a été remplacé par une gare moderne. La violence, elle, n’a pas disparu des souvenirs d’Andrea Velandia. Elle la raconte avec aplomb.
Économiste de formation, elle se marie avec un Suisse rencontré dans son pays et le rejoint à Genève. «C’était une histoire d’amour parfaite», se souvient-elle. Pourtant, peu à peu, le conte de fées tourne au cauchemar. «La violence s’est installée progressivement, d’abord psychologique, puis physique», relate-t-elle.
Andrea Velandia se retrouve prise au piège. «Impossible de rentrer dans mon pays», explique-t-elle. Elle raconte que peu après son départ de la Suisse, le gouvernement vénézuélien l’a placé sur une liste de personnes recherchées en raison de son militantisme en faveur des droits humains.
Difficile aussi de chercher de l’aide, car elle est isolée. Son époux la dissuade de chercher un emploi. Elle dépend de lui financièrement et a peu de contact avec d’autres personnes. «À l’époque, je ne parlais pas bien le français, ce qui rendait la communication difficile», ajoute-t-elle.
Elle finit toutefois par ne plus supporter les insultes, coups et menaces de mort. Andrea Velandia rassemble ainsi ses économies et s’enfuit pour trouver refuge dans un foyer d’accueil.
Après des années de lutte contre la précarité et les séquelles de la violence, Andrea Velandia a aujourd’hui réussi à se reconstruire et a également le rejoint le réseau de la fondation Surgir pour venir en aide à d’autres femmes.
L’isolement et la barrière de la langue
Ruken Azik et Sultan ont également participé à la formation pour devenir «multiplicatrices». Établies à Lausanne, les deux femmes font partie de lajîn, une organisation de femmes kurdes qui militent pour les droits des femmes dans le canton de Vaud. Elles ont été confrontées à plusieurs cas de violence domestique au sein de leur communauté.
«Un jour, on m’a mis en contact avec une femme kurde qui avait besoin d’aide. Elle ne parlait pas le français. Elle était victime de violence domestique, et son mari l’a ensuite chassé de la maison», raconte Ruken Azik, qui vit en Suisse depuis deux ans. La jeune femme est désemparée face à cette situation, mais elle accompagne la victime auprès des différentes organisations d’aide, notamment en assurant la traduction.
«Ces femmes se confient à nous, car elles ne peuvent parler à personne d’autre de ce qu’elles subissent. En Suisse, elles sont souvent isolées. Elles ne peuvent pas en parler à leur famille, car le divorce est mal vu dans notre culture. Elles ne peuvent pas non plus retourner en Turquie et ne font pas confiance à la police», explique-t-elle.
Grâce à la formation, Ruken Azik et Sultan savent désormais comment accompagner les victimes. Les deux femmes tentent aussi de sensibiliser les hommes de l’association kurde, qui se réunissent dans le local voisin, en dialoguant avec eux ou en organisant des ateliers sur les droits en Suisse. «Parfois, les hommes ont un peu peur de nous», plaisante Ruken Azik.
La violence passe par les cordons de la bourse
La violence n’est toutefois pas seulement psychique et physique, elle est souvent aussi financière, constate Valérie Koudoglo, une bénévole d’origine togolaise, établie à Bex (canton de Vaud). Active au sein d’Ébène Suisse, une association qui œuvre pour l’intégration, elle est témoin de nombreuses situations problématiques, notamment dans la communauté africaine très présente dans sa région.
«Beaucoup de femmes d’origine africaine arrivent en Suisse pour rejoindre leur mari grâce au regroupement familial. Sur place, il n’est pas rare que celui-ci leur interdise de travailler et contrôle entièrement les finances. Elles vivent ainsi recluses, ont peu de contact avec l’extérieur et dépendent totalement de leur époux», décrit-elle.
Valérie Koudoglo a elle-même vécu la violence économique. Arrivée en Suisse à l’âge de 9 ans, elle s’est mariée avec un homme d’origine africaine qui avait grandi en Suisse. «Il ne voulait pas que je travaille pour que je m’occupe des enfants. Il voulait tout contrôler, mais n’était pas capable de gérer nos finances. À tel point qu’un huissier s’est un jour présenté chez nous pour nous expulser de notre appartement», raconte-t-elle.
C’est un choc pour Valérie Koudoglo qui décide de divorcer. «C’était difficile, car le divorce est stigmatisé en Afrique. La famille fait pression sur la femme pour qu’elle ne parte pas», explique-t-elle. Il lui a ainsi fallu beaucoup de courage pour trouver un travail, un appartement et subvenir aux besoins de ses deux fils en bas âge. «J’ai gagné la paix du cœur, mais j’ai dû me battre», dit-elle.
Aujourd’hui, elle a appris à repérer les femmes qui vivent sous l’emprise de leur mari. «Elles se confient plus facilement à quelqu’un de la communauté. J’essaie de les orienter vers les ressources d’aide, mais elles veulent souvent seulement parler», constate-t-elle. Un choix qu’elle doit respecter, mais qui n’est pas facile à accepter. «Parfois, cela va jusqu’à ce que la femme n’en puisse plus», regrette-t-elle.
Jusqu’à présent, les multiplicatrices formées par la fondation Surgir ont pu accompagner 12 personnes de victimes de violence en deux ans. 22 bénévoles ont participé au premier cycle de formation proposé par la fondation Surgir et une trentaine sont déjà inscrites pour le second. «Le programme a du succès. Cela prouve qu’il répond à un réel besoin», constate Victoria Molina.
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Texte relu et vérifié par Samuel Jaberg
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