Une ‘mission’ à Berne pour les Kurdes d’Irak

De l'extérieur, ce bâtiment orné d'un drapeau et situé à Berne ressemble à une ...ambassade. Ce qu'il n'est pas officiellement. Monika Flückiger

Au cœur du quartier diplomatique de Berne, une mission a été ouverte par le 'gouvernement régional kurde' d'Irak. Selon le chef du bureau, la Suisse ne se serait pas opposée à son installation.

Une affirmation que dément formellement le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) selon lequel aucun feu vert officiel n’a été donné.

Depuis quelques jours, le ‘gouvernement régional kurde’, qui dirige la province kurde d’Irak (5’500’000 habitants a installé à Berne une sorte…d’ambassade.

Une situation quasi surréaliste puisque le Kurdistan irakien, bien que largement autonome, est partie intégrante de l’Irak. Un Etat qui est par ailleurs reconnu par la Suisse. C’est un peu comme si le Texas ouvrait une ambassade à Berne. Ou que le canton de Zurich accréditait un diplomate au Kremlin.

Mais selon Fawzi Kaddur, chef de la nouvelle mission kurde à Berne, la chose est parfaitement licite. Elle s’est faite dans les règles. Toujours selon Fawzi Kaddur, le Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE) aurait même donné son feu vert. Qui plus est, les autorités chargées de la protection des ambassades à Berne auraient indirectement laissé entendre que la représentation kurde serait protégée comme les autres missions diplomatiques. Une affirmation que la police bernoise conteste.

Aucun caractère officiel

Interrogé par swissinfo, le DFAE oppose un démenti formel aux affirmations de Fawzi Kaddur. Il n’a jamais «donné son feu vert » à l’ouverture en Suisse d’une représentation kurde.

Il ne s’agit en réalité que d’un «bureau», ne bénéficierait d’aucun privilège et d’aucune immunité diplomatique. En effet, seule la représentation d’un Etat souverain peutten effet avoir le caractère d’une mission diplomatique. Ce qui n’est pas le cas en l’occurrence.

Le DFAE reconnaît néanmoins avoir été «informé » de l’intention des personnes concernées d’ouvrir un tel bureau. Ce bureau n’ayant cependant aucun caractère officiel, il se refuse à faire un commentaire.

Pas de contacts

Le Département tient en outre à préciser qu’il n’entretient «aucun rapport officiel » avec le bureau en question ni avec son représentant. Mais il refuse de dire si cette position vaut aussi pour l’avenir.

Le porte-parole du DFAE dément par ailleurs les affirmations du chef du bureau kurde, Fawzi Kaddur, selon lesquelles ce dernier serait en contact assez régulier avec des fonctionnaires du département et aurait notamment eu des entretiens avec le chef de la Division politique Afrique/ Moyen Orient et avec la cheffe du service ‘Moyen Orient’.

Les attributs extérieurs d’une ambassade

La nouvelle mission en tout cas a tous les attributs extérieurs d’une ambassade. Bâtiment superbe dans le quartier diplomatique, drapeau flottant au vent, plaque en métal, écusson officiel et éclairage intense le soir par mesure de sécurité.

Détails piquants: la villa qui tient lieu d’ambassade – et que Fawzi Kaddur vient d’acquérir à titre personnel – est située juste à côté de l’ambassade d’Iran. Et à quelques centaines de mètres de l’Ambassade d’Irak. Elle était jusqu’à récemment une école coranique libyenne.

Selon Fawzi Kaddur, cette double représentation dans un même pays d’entités officielles irakiennes, qui peut paraître étrange, n’a cependant rien d’anormal.

Elle ne serait pas contraire à la constitution irakienne. Et la mission permanente irakienne à Genève – l’ambassade de Berne, en voie de réouverture, n’est pas encore opérationnelle – aurait donné son accord.

Une indépendance souhaitée

En vertu de la constitution irakienne approuvée après la deuxième guerre d’Irak, le Kurdistan irakien – grand comme deux fois la Suisse et riche en pétrole – jouit d’une autonomie étendue par rapport à Bagdad. Cette autonomie n’est cependant pas vraiment nouvelle puisqu’elle existe de facto depuis 1992 suite à la 1e guerre d’Irak. (Guerre dite du Golfe).

Officiellement, le gouvernement régional kurde affirme vouloir tout faire pour rester dans le giron irakien pour autant que l’Irak devienne un véritable Etat fédéral et que cessent les affrontements entre factions ennemies (chiites et sunnites notamment).

Tout le monde sait cependant que bien des dirigeants de la province aspirent à l’indépendance et que l’indépendance est aussi le scénario souhaité par d’influents milieux occidentaux.

Selon les nationalistes kurdes, un Etat kurde, s’il voyait le jour, serait la sixième puissance pétrolière du monde.

swissinfo, Michel Walter

Faits

Dentiste de profession, Fawzi Kaddur habite la Suisse depuis longtemps.
Marié à une Suissesse, il possède la double nationalité (Suisse-Irak).
Il continuera à traiter des patients de façon occasionnelle.
Il compte se consacrer à son travail diplomatique.
La mission comprend deux employés, sans compter Fawzi Kaddur.

Des représentations partout

Le gouvernement autonome du Kurdistan irakien (le terme ‘irakien’ n’est jamais utilisé) possède un réseau étendu de missions dans les cinq continents. Notamment à Moscou, dans les Emirats arabes, à Washington et à Sydney

En Europe, ces missions sont actuellement au nombre de neuf, y compris celle de Bruxelles (Union européenne).

La représentation de Berne est la dernière en date. Elle existait déjà à l’état latent depuis un certain temps puisque l’actuel chef de mission, M. Fawzi, exerçait déjà des fonctions analogues depuis son domicile de Saint-Gall.

Les Kurdes sont un peuple d’origine indo-européenne comptant une trentaine de millions de personnes vivant – en plus de l’Irak – en Turquie (estimation: entre 15 et 20 millions de personnes), en Iran et en Syrie. Il s’agit de l’un des plus grands groupes ethniques sans Etat du monde.