Ventes d’armes: l’interdiction ne convainc pas
Pas d'armes pour la guerre en Irak. C'est la position officielle de la Suisse. Mais cela ne l'empêche pas de vendre du matériel militaire aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne.
La gauche, les Verts, les démocrates-chrétiens et l’opinion publique demandent une interdiction plus claire.
Mardi matin, la Commission parlementaire des affaires extérieures a longuement débattu du conflit en Irak et de la question des exportations d’armes.
La veille, les socialistes et les écologistes avaient adressé une lettre ouverte au gouvernement pour lui demander d’interdire toute vente de matériel militaire vers les pays belligérants. Une position proche de celle du Parti démocrate-chrétien, qui a pourtant refusé de se joindre à la démarche rose-verte.
Au final toutefois, la Commission s’est contentée de voter (à l’unanimité) son soutien à la politique du gouvernement. A contrecœur, le camp rose-vert s’est rendu à l’évidence: le Parlement n’a pas les moyens légaux de faire prononcer une interdiction totale.
Pour autant, l’opposition ne baissera pas les bras. Au sortir de la séance, les socialistes ont rappelé qu’ils restaient en faveur d’une réglementation plus stricte. Quant aux démocrates-chrétiens, ils ont indiqué leur intention de s’adresser directement à leurs deux ministres.
Une position pragmatique
C’est que le gouvernement est, lui aussi, divisé sur la question des exportations d’armes.
Mardi, c’est la ministre socialiste des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey qui est venue parler à la Commission des affaires extérieures. Et son discours sur l’engagement humanitaire de la Suisse pendant et après le conflit en Irak a visiblement fait mouche.
En revanche, en matière de ventes d’armes à l’étranger, c’est le président de la confédération Pascal Couchepin qui incarne la position officielle de la Suisse.
Le président de la Confédération l’a affirmé dès le lancement du conflit: la Suisse (neutre) prohibe toute vente de matériel militaire qui pourrait être utilisé sur le théâtre des opérations en Irak.
Plus en détail, le gouvernement a décidé d’interdire toute exportation de matériel de guerre par la Confédération. Mais – et c’est en partie là que subsisite un certain flou – une interdiction moindre frappe les entreprises privées.
Dans leur cas, les exportations ne sont prohibées que si elles apportent une contribution aux opérations militaires ou si elles dépassent les volumes usuels.
Cette position très pragmatique – soutenue par la fomation de Pascal Couchepin, le Parti radical – peine toutefois à convaincre l’opinion publique helvétique.
D’ailleurs, dimanche, l’hebdomadaire alémanique SonntagsBlick publiait un sondage dans lequel 70% des personnes interrogées se déclaraient en faveur d’une prohibition totale des ventes d’armes aux pays engagés dans cette guerre.
Des grenades suisses en Irak
Car, malgré ses déclarations officielles, la Suisse exporte bel et bien du matériel militaire vers deux pays dont les armées sont actuellement engagées Irak.
En chiffres, sur les 280 millions de francs d’exportations de la branche en 2002, une cinquantaine correspondent à des livraisons vers les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.
Le cas le plus problématique est celui de la grenade à fragmentation HG 85. Fabriquée sur mesure pour l’armée britannique, elle sort des ateliers de la Ruag, nouvelle raison sociale des anciens arsenaux et fabriques de munitions helvétiques.
Or, la Ruag a beau s’être dotée d’une structure de droit privé, elle n’en reste pas moins détenue à 100% par l’Etat fédéral.
Selon le quotidien Le Temps, les Britanniques auraient passé commande des 360 000 pièces à l’automne 2000. Et ce contrat de 19 millions de francs prévoirait des livraisons échelonnées jusqu’en 2006.
Ce qui permet au journal d’affirmer que ces grenades «made in Switzerland» sont actuellement utilisées sur le théâtre des opérations en Irak.
Une technologie helvétique
Autre gros morceau: les pièces de haute technologie qui équipent les F/A-18 américains. Et qui sont notamment fabriquées par l’entreprise genevoise Derendinger, filiale à 100% de la Ruag.
Il s’agit ici d’une affaire négociée à l’époque de l’achat de ces chasseurs américains par l’armée suisse. Or, selon la Ruag, il s’écoule plus d’un an entre le moment où ces pièces sont livrées et celui où elles équipent un avion en état de voler.
Tout comme les grenades, dont on imagine que l’armée britannique avait assuré ses stocks avant de partir en guerre, ces pièces ne tombent donc pas sous le coup de l’interdiction prononcée jeudi dernier par le gouvernement.
La logique économique
«La solution choisie est une solution de bon sens, qui respecte parfaitement la loi», résume le député Claude Frey.
«Renoncer aux échanges technologiques que nous avons avec les Etats-Unis autour du F/A-18, ce serait se tirer une balle dans le pied», affirme le radical neuchâtelois qui est membre de la Commission des affaires extérieures.
Et Claude Frey de conclure: «Nous aurions tout à y perdre, et rien à y gagner».
Pour l’instant, c’est donc le pragmatisme qui l’emporte. Chez les radicaux et dans les milieux économiques, on ne manque pas de rappeler que l’industrie d’armement fait vivre son lot de travailleurs, et que ce secteur est aussi touché par la crise.
Il y a peu, la Ruag annonçait la disparition de 76 de ses 4200 emplois. Et le dernier géant helvétique de l’armement prévoit d’en supprimer encore 220 prochainement.
swissinfo, Marc-André Miserez
En 2002, la Suisse a vendu pour près de 50 millions de francs de matériel militaire aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne.
Il s’agissait essentiellement de pièces de haute technologie pour les avions américains et de grenades pour l’armée britannique.
Selon la presse, ces grenades seraient utilisées actuellement dans les combats en Irak.
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