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Vue de Khartoum, la Suisse est bien… loin

De par son travail, Christophe Grospierre est un homme qui voyage beaucoup. DR

L’année qui s’achève fut particulièrement accidentée pour la Suisse: UBS, Libye, Polanski, minarets... Quel impact pour l’image helvétique. Swissinfo.ch a questionné plusieurs Suisses de l’étranger. Christophe Grospierre, humanitaire au Soudan, s’est prêté à l’exercice.

swissinfo.ch: Votre situation, en quelques mots.

Christophe Grospierre: Je reviens de plusieurs mois au Soudan, où j’ai sillonné le pays pour le compte de l’OCHA, le bureau de coordination des Affaires humanitaires de l’ONU. L’atmosphère y est assez tendue, avec plusieurs enlèvements de travailleurs internationaux. En ce moment, je suis à Washington, où vivent mes deux enfants, et où je passe mon temps lorsque je ne suis pas en mission.

swissinfo.ch: Deux citoyens suisses sont bloqués en Libye depuis qu’en Suisse, la police genevoise a temporairement mis en détention le fils Kadhafi. Une affaire qui a rebondi tout au long de l’année et conduit le président de la Confédération à s’excuser auprès de Tripoli. Dans cette affaire, comment juge-t-on la Suisse au Soudan et comment explique-t-on son incapacité à trouver une solution à cette crise?

C. G.: Il faut bien comprendre qu’au Soudan, l’homme du commun ne connaît rien du monde. Il n’y a que l’élite du pays qui est au courant de ce genre d’affaires. En ce qui concerne Kadhafi, les Soudanais sont plutôt du côté de la Suisse; ils se rendent bien compte que ces arrestations sont une revanche personnelle du leader libyen.

Souvent on ne le sait pas en Europe, mais même dans le monde arabe, Kadhafi n’est pas pris au sérieux. Surtout depuis son discours à l’Assemblé générale des Nations Unies [ndlr: en septembre 2009, pour son premier discours à la tribune de l’ONU, Mouammar Khadafi s’en est longuement pris au Conseil de Sécurité et a accusé les grandes puissances de déclencher des conflits pour poursuivre leurs intérêts], qui a été perçu comme une honte dans de nombreux pays musulmans.

Mais la Suisse peut-elle trouver une solution à cette crise? Je pense que, pour les Soudanais, la Suisse s’est fait avoir. Ils sont conscients qu’elle ne peut pas faire grand-chose et que Mouammar Kadhafi est puissant, car il possède du pétrole.

swissinfo.ch: Le peuple Suisse dans sa majorité a décidé en votation d’inscrire dans la Constitution l’interdiction de construire de nouveaux minarets. Comment a été reçue cette décision au Soudan?

C. G.: Je n’étais pas dans le pays au moment du vote, mais certains de mes collègues à Khartoum étaient très inquiets par rapport à cette votation, aux réactions qu’elle allait susciter dans la population. Mais les Soudanais ont bien d’autres problèmes en tête – des conflits internes, des tensions au Darfour et dans le Sud du pays – pour se préoccuper d’un petit pays qui interdit les minarets.

Et puis, je pense que le gouvernement suisse a fait du bon travail, avec de la «diplomatie de préparation», en expliquant aux gouvernements des pays musulmans pourquoi les Suisses devaient voter sur cette initiative et pourquoi ils ne devraient pas trop mal prendre une éventuelle interdiction des minarets. Finalement, l’initiative est passée et elle n’a presque pas créé de remous.

swissinfo.ch: UBS a triché en contournant la loi pour attirer des clients américains et les aider à passer outre le fisc de leur pays. Le Soudan a-t-il réagi à cette affaire?

C. G.: Pas du tout! Comme je vous le disais, au Soudan, la plupart des gens ne savent même pas ce qu’est la Suisse. Alors la polémique sur nos banques…

swissinfo.ch: Au-delà du Soudan, vous habitez également aux Etats-Unis. Comment les Américains ont-ils réagi?

C. G.: Ce qu’il faut savoir, c’est qu’aux Etats-Unis, le fait de payer ses impôts est sacré. Ceux qui essaient d’échapper au fisc sont très mal vus – et ceux qui essaient de les aider à le faire encore plus!

En ce qui concerne le reste de la place financière suisse: est-ce que les Américains mettent toutes les banques dans le même panier? Je ne crois pas. De toute façon, il faut bien comprendre que l’Américain moyen ne sait pas ce qu’est UBS. Il s’intéresse à Polanski, emprisonné dans son chalet de Gstaad, mais pas aux banques suisses.

swissinfo.ch: Parlons de Roman Polanski, justement. Le cinéaste franco-polonais a été arrêté en Suisse pour répondre à une demande d’extradition des Etats-Unis, puis placé en résidence surveillée dans son chalet de Gstaad. Comment les Américains jugent-ils l’attitude de la Suisse?

C. G.: Les Américains sont très à cheval sur la loi et son application, le fameux «law enforcement». Ils aiment que la loi soit appliquée à tout le monde de la même manière. Dans ce cadre-là, ils apprécient que la Suisse ait pris ses accords avec les Etats-Unis au pied de la lettre et les ait appliqués.

Et puis, ils ont l’obsession du ‘politiquement correct’ et de la bonne conscience. C’est le pays des valeurs chrétiennes, de la famille, du mariage. Le viol ou l’adultère, ici, c’est très mal vu.

Imaginez un politicien américain qui aurait fait la même chose que Roman Polanski – sa carrière aurait été brisée! Donc, le comportement de la Suisse dans cette affaire est plutôt loué, même si les Américains rigolent du fait qu’il soit enfermé avec sa femme dans son chalet doré des Alpes suisses.

swissinfo.ch: Quelle est votre évaluation personnelle de ces différents événements et en quoi ont-ils modifié votre situation de Suisse de l’étranger?

C. G.: A part l’arrestation de Polanski, que je soutiens, je trouve que cette série d’événements est malheureuse. En tant que Suisse, j’ai un peu honte du comportement d’UBS. Et puis, c’est triste de se faire ridiculiser par la famille Kadhafi et de noircir notre image avec la votation sur les minarets.

Pour un humanitaire suisse, habitué à représenter un pays neutre et impartial, après le résultat de ce vote, je ne véhicule plus exactement la même image. Mais je ne pense pas que ça changera ma vie au quotidien.

Peut-être cela pourrait poser problème dans certains pays musulmans, mais, heureusement, ce vote n’a pour l’instant pas eu autant de répercussions que les caricatures de Mahomet publiées au Danemark.

Miyuki Droz Aramaki, New Delhi, swissinfo.ch

Le Soudan est le plus grand pays africain.

Riche en pétrole, il est en proie à une guerre civile depuis 1983.

Si le conflit entre la capitale arabe Khartoum et les provinces du Sud animistes et chrétiennes s’est atténué depuis les accords de paix en 2005, aujourd’hui, c’est dans l’Ouest du pays, au Darfour, que la guerre s’est déplacée.

Depuis 2003, Khartoum est accusé de soutenir les Janjaweed, des milices arabes sanguinaires, contre les rebelles. Selon les différentes organisations humanitaires, le conflit aurait déjà fait entre 200’000 et 400’000 morts et plus de 2 millions de déplacés.

C’est aujourd’hui au Darfour que se déroule la plus importante opération humanitaire au monde.

Christophe Grospierre est né à Genève en 1962.

Il débute sa carrière humanitaire auprès du CICR en 1993 et est envoyé à Sarajevo, en Bosnie, en pleine guerre. Ensuite, il travaillera dans les missions en Ethiopie, au Sri Lanka, en Indonésie et aux Philippines.

Il retournera plus tard en Bosnie pour le compte du HCR, le Haut Commissariat aux Réfugiés, puis en Indonésie pour la FISCR, la Fédération Internationale des Sociétés de la Croix-Rouge.

S’étant installé à Washington il y a quelques années, il a été envoyé cette année au Soudan, mandaté par la DDC auprès de l’OCHA, le Bureau de la coordination des Affaires humanitaires de l’ONU.

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